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30/06/2013

Simple Biographie du Père Alexis Clerc

TABLE DES MATIÈRES.

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Chaque chapitre est également téléchargeable en version PDF. 

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PREFACE.

CHAPITRE I. — Alexis Clerc, avant sa vingt-septième année. — Son entrée dans la marine et sa première campagne.

CHAPITRE II. — Séjour en France. — Nouvelle campagne. – Conversion.

CHAPITRE III. — Progrès d’Alexis dans la vie chrétienne. — Service à terre. — Lorient, Indret, Brest.

CHAPITRE IV. — Alexis Clerc pendant les événements de 1848.

CHAPITRE V. — Essais de controverse épistolaire.

CHAPITRE VI. — Préludes de vocation. — Préparatifs — d’un nouvel embarquement.

CHAPITRE VII. — Alexis Clerc, lieutenant à bord du Cassini. — De Lorient à Chang-haï.

CHAPITRE VIII. — Une conversion à bord du Cassini.

CHAPITRE IX. — Chang-haï et la mission des Jésuites.

CHAPITRE X. - Alexis Clerc dans la Compagnie de — Jésus. - Saint-Acheul.

CHAPITRE XI. — Vaugirard. — École Sainte-Geneviève. — Laval.

CHAPITRE XII. - Le P. Clerc et ses élèves.

CHAPITRE XIII. - Le P. Clerc et ses anciens camarades.

CHAPITRE XIV. — Le P. Clerc à Saint-Vincent de Laon et à l’ambulance de Vaugirard. — Ses derniers vœux.

CHAPITRE — XV. — Le P. Clerc, prisonnier et victime pour l’amour de Jésus-Christ. — Mazas. — La Roquette.

 oOo

RECENSION par A. de Pontmartin.

VIE DU PERE ALEXIS CLERC PAR CH. DANIEL (Chapitre 15)

VERSION PDF

CHAPITRE XV.

 

le p. clerc, prisonnier et victime pour l’amour
de Jésus-Christ
. mazas. — la roquette.

 

 

Au point où nous voilà parvenu de cette tâche chère et sacrée, nous avons devant nous un guide dont l’autorité est grande et que nous suivrons pas à pas. Qui ne connaît les Actes de la captivité et de la mort des PP. Olivaint, Ducoudray, Caubert, Clerc, de Bengy, par le P. Armand de Ponlevoy ? On ne peut lire ces pages véridiques, écrites par le témoin ému d’une immolation sanglante, sans songer à l’ère des persécutions et aux catacombes. Là se retrouvent la plupart des lettres écrites par le P. Clerc sous les verrous, à la Conciergerie et à Mazas ; je n’aurai qu’à les reproduire. Cependant, ayant à s’occuper des cinq otages à la fois, le P. de Ponlevoy a négligé plusieurs pièces d’un réel intérêt, mais qui auraient trop compliqué son récit d’une sobriété remarquable. Il m’a donc laissé à glaner. Je ramasse avec joie quelques épis qui ne seront pas le moindre ornement de ma gerbe.

Le P. de Ponlevoy a tout observé de Versailles, où l’avait fixé l’avis unanime de ses consulteurs, afin qu’il pût continuer à correspondre avec tous les religieux dont il était supérieur. C’est à Versailles que lui écrivaient de leur prison les PP. Olivaint et Ducoudray et les autres otages. Il leur a répondu, mais ses lettres ne leur sont jamais parvenues. Ce qu’il a souffert alors est inexprimable. Les blessures de son cœur ont saigné trois ans encore et puis il est mort, victime de son dévouement sans mesure et de ses angoisses paternelles, hélas !trop souvent renouvelées.

Voici, dans toute leur simplicité, les faits tels qu’il les présente dans les Actes. J’abrège encore son récit.

Dans la nuit du lundi au mardi saint, 4 avril, entre minuit et une heure, l’école Sainte-Geneviève est complètement cernée par un bataillon de gardes nationaux, tous armés jusqu’aux dents. On frappe à coups redoublés à la porte du numéro 18. Le Frère portier se lève et dit qu’il va chercher les clefs déposées, selon l’usage, dans la chambre du Père Recteur ; la porte s’ouvrira donc dans un instant. Cet instant paraît long à nos braves ; le clairon sonne trois fois en guise de sommation et une décharge générale sur toutes les fenêtres jette l’alarme dans le quartier. Le P. Ducoudray comprit bien vite que toute protestation était inutile ; son attitude pleine de sang-froid et de dignité faisait dire à ces misérables : « Quel homme ! et quelle énergie de caractère ! » Pendant toute la nuit, la maison fut fouillée à fond. On prétendait trouver des armes ; on n’en trouva pas. On en voulait surtout à la caisse ; elle était épuisée par les dépenses du siège. Alors on s’en prit aux personnes, que l’on retint comme otages ; et telle fut la récompense des soins prodigués pendant six mois aux blessés dans l’ambulance de l’école.

A cinq heures, le clairon donne le signal du départ pour la Préfecture de police et les prisonniers défilent entre deux haies de gardes nationaux. En tête, à une petite distance de tous les autres, marche le Père Recteur ; viennent ensuite les PP. Ferdinand Billot [1], Émile Chauveau, Alexis Clerc, Anatole de Bengy, Jean Bellanger, Théodore de Regnon et Jean Tanguy, les FF. Benoît Darras, Gabriel Dedébat, René Piton, Pierre Le Falher et sept domestiques. A la hauteur du pont Saint-Michel, vers l’entrée de la cité, le P. Ducoudray se retourne et, d’un air radieux, dit au P. Chauveau qui se trouve plus près de lui : « Eh bien ! Ibant gaudentes, n’est-ce pas ? — Que vous a-t-il dit ? » demandent à ce dernier les gardes inquiets. Celui-ci répète la phrase suspecte. « Dieu sait ce qu’ils y pouvaient comprendre ! » ajoute l’historien. Vrais imitateurs des apôtres, ils s’en allaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes d’être outragés pour le nom de Jésus-Christ [2].

A la Préfecture de police, les clairons sonnent aux champs pour annoncer le succès de l’expédition et la riche capture. Je fais grâce au lecteur des grossières injures qui accueillent les captifs et de l’interrogatoire sommaire que subit le P. Ducoudray. Le Père Recteur est renfermé seul au secret dans une cellule de la Conciergerie ; les autres sont conduits au dépôt et entassés, avec une trentaine de détenus, dans une salle commune destinée jusque-là aux femmes sans aveu que la police ramasse la nuit dans les ruisseaux de la capitale.

Quand il se vit ainsi séparé de tous les siens, par esprit religieux et amour de la vie commune, le P. Ducoudray demanda et obtint d’avoir au moins un de ses frères pour compagnon. Il avait nommé le P. Alexis Clerc ; celui-ci répondit avec allégresse à cette consigne qui l’appelait à la mort. Dès qu’ils furent réunis, ils organisèrent ensemble un petit service de ravitaillement en faveur de leurs frères privés, comme eux, des objets de première nécessité, et chacun d’eux expédia au dehors des billets qui arrivèrent à destination et qui portent encore le timbre et le visa de l’état-major de la place. Le P. Clerc s’était adressé à son frère, toujours si dévoué, et ne tarda pas à recevoir, selon sa demande, des serviettes, des mouchoirs et des cuillers en fer battu, dont l’apparition causa une soudaine éclaircie de joie dans la salle commune. « La propreté étant une grande consolation du prisonnier, » le Père s’empressa de remercier sa belle-sœur, qui avait pourvu à tout en l’absence de son mari ; ses frères bénissaient la charité si attentive qui leur procurait ces humbles dons et en doublait le prix.

« Un geôlier du dépôt de la Préfecture, chargé de visiter les deux reclus dans leur cellule commune, donnait ces détails sur leur vie à deux : « Ils ne manquent de rien, sont gais et paraissent très-heureux, prient ensemble presque continuellement. » Le P. Ducoudray avait souvent exprimé ce vœu à un de ses plus intimes confidents : « Ah !si nous pouvions aller tous deux sur une montagne avec notre crucifix, nous prierions bien le bon Dieu. » Le souhait était exaucé [3]. »

Mais cette prison était trop douce pour nos chers détenus, qui savaient y trouver encore l’image de la vie religieuse et y respirer le parfum de la charité fraternelle. Aussi ne firent-ils qu’y passer. Le jeudi soir, 6 avril, une voiture cellulaire, partagée en cases soigneusement fermées et séparées les unes des autres, les emporta de la Conciergerie à Mazas avec Mgr. l’Archevêque de Paris et M. le Président Bonjean. Le P. de Bengy, enlevé à la salle commune, faisait aussi partie du convoi et une cellule l’attendait à la prison de Mazas. Plus tard (le 13 avril) la même prison reçut le P. Olivaint et le P. Caubert, arrêtés dans notre maison de la rue de Sèvres dans la soirée du 4 avril. Deux autres Jésuites y furent encore enfermés le 18 avril, mais ceux-ci échappèrent à la mort. Quant aux seize habitants de l’école Sainte-Geneviève, Pères, Frères et domestiques, restés dans la salle commune, leur sort fut quelque temps incertain ; mais il y eut à l’Hôtel de Ville un moment d’indulgence, à la faveur duquel ils furent relâchés le 12 avril, après neuf jours d’emprisonnement.

Voilà donc le P. Clerc entièrement séparé de ses frères et enfermé dans son étroite cellule de la prison de Mazas. Certes, le logis n’est pas gai ; il commence à être connu : tant d’honnêtes gens ont eu, par la grâce de la Commune, le loisir de l’étudier de près et en ont publié des descriptions exactes ! Ce qu’il y a de certain, c’est que notre cher prisonnier n’y perdit pas la joie de l’âme ; au contraire, il éprouva une dilatation inexprimable. Sur ces murs nus et froids il vit resplendir la croix de Notre-Seigneur, et il s’écria en entrant : O bona Crux !

Puis, il se souvint qu’il avait là, comme dans sa cellule de la rue Lhomond, son devoir à remplir. Il était professeur de mathématiques spéciales, et la rentrée des élèves allait se faire à la maison de campagne d’Athis. Ira-t-il jamais les rejoindre ? Cela est fort douteux ; mais il n’importe ; son devoir pour le moment est de préparer son cours et il se met aussitôt à l’œuvre. Dès la première lettre qu’il adresse à son frère Jules, il demande non-seulement une Bible et un bréviaire, mais encore des livres de géométrie analytique, avec une insistance d’autant plus méritoire que ces matières, dont il a été saturé, ont maintenant pour lui moins d’attrait. Un de ses confrères, qui le connaissait bien, a été jusqu’à dire que cette préparation anticipée de ses classes, dans sa cellule de Mazas, n’était ni plus ni moins qu’un acte héroïque. « Je me porte très-bien, dit-il en terminant sa lettre, suis très-content et, avec ces livres, défierai indéfiniment l’ennui qui ne s’est point encore présenté. » Imaginez, si vous le pouvez, un homme plus facile à contenter.

Arrive la fête de Pâques (9 avril), et les privations les plus sensibles du pauvre prisonnier ne sont pas celles que la réclusion inflige à la nature. Mais l’Alléluia, qui chante le triomphe de Jésus-Christ sur la mort, n’en retentit pas moins au fond de son cœur, et empruntant le langage du Martyrologe en ce jour, il écrit à son frère bien-aimé :

« Mon cher Jules,

« C’est aujourd’hui la fête des fêtes, la Pâque des chrétiens, le jour que le Seigneur a fait ! Il n’y a eu pour nous messe ni à dire ni à entendre, mais il y a eu la joie et la paix dans le Seigneur.

« Comme tes envois sont beaucoup plus copieux qu’il ne faut pour moi, ton intention de venir au secours de mes compagnons de captivité m’est démontrée, et si je suis heureux de t’exprimer ma reconnaissance pour ta fraternelle amitié, je le suis bien davantage de le faire pour ta charité ; c’est la plus excellente de toutes les vertus, et qui ne sera remplacée par rien de plus excellent, même dans le ciel. Et aussi, non-seulement je te remercie, mais je te félicite, parce que je sais que Dieu ne te laissera pas sans récompense pour ton zèle à subvenir aux besoins de ceux qui souffrent pour son nom.

« Ce m’est une nouvelle et vive consolation que de te voir associé à notre tribulation. Je n’en suis pas seulement heureux et fier pour mon compte, mais aussi pour le tien ; et j’espère que c’est là pour toi et pour les tiens la première des grâces, dans une série plus abondante qu’auparavant, que Dieu répandra sur vous tous.

« Ne t’inquiète plus de moi ; mets ta famille en sûreté, c’est le plus pressé. Je n’ai du reste aucun besoin à te faire connaître. J’ai du linge suffisamment et j’ai de l’argent pour me procurer des aliments.

« Je m’étais préparé ce matin à déjeuner : juste arrive ton envoi ; j’ai fait honneur à tout. Cette rencontre si opportune est une des mille délicatesses de la providence de Notre Père qui est aux cieux. Qu’il en soit béni, et l’instrument qu’il a choisi pour me faire arriver ses bienfaits ! Je ne veux pas demander à la Préfecture la permission de prendre des livres chez moi, non pas par crainte d’un refus, ni pour m’épargner la reconnaissance, mais pour de meilleures et plus hautes raisons. D’ailleurs, avec la Bible, j’ai de quoi nourrir mon âme pendant plus de temps que je ne serai en prison, y dussé-je mourir de vieillesse. Que Charles, qui m’enseigne à prendre le mal en patience, veuille enfin apprendre de moi à le supporter avec Notre-Seigneur ; il trouverait le secret de souffrir avec joie et avec fruit [4]. »

Après cette lettre il se fait un long silence, et ce n’est que quinze jours plus tard, le samedi 22 avril, que le P. Clerc fait parvenir à son frère les lignes suivantes. Elles sortent d’une prison muette comme la tombe, dont les échos ne sont réveillés que par la canonnade. « On entend nuit et jour gronder le canon ; donc on se dispute les forts et nous faisons, après les Prussiens, le siège de Paris ; mais les Prussiens en auraient eu pour longtemps encore à le prendre de vive force. J’en conclus, et tu vois que mes données ne sont pas nombreuses, j’en conclus néanmoins que le siège et ma détention peuvent ne pas finir demain. J’en ai bien pour quelques jours encore avec le livre que tu m’as donné, mais j’en voudrais un autre. »

Là-dessus nouvelle demande de livres de mathématiques. Mais cela ne suffit pas pour des loisirs qui peuvent se prolonger encore plusieurs semaines. « Si tu peux, ajoute-t-il, me procurer la Somme théologique de saint Thomas, je serai pourvu pour longtemps. » Il va donc reprendre dans sa prison ses habitudes de travail, et renouer ce commerce assidu avec saint Thomas que n’interrompaient pas même, dans sa vie d’officier, les expéditions lointaines. La lettre se termine par ces mots :

« Ne m’as-tu pas répondu ? Ta réponse à ma dernière lettre ne m’a-t-elle pas été donnée ? Je n’en sais rien. On parle de la clôture des couvents de religieuses : celle de Mazas n’est pas à dédaigner.

« Je te recommande surtout de ne te compromettre en rien pour moi ; ce que je te demande est de l’abondance et non pas du nécessaire. Ainsi ne va pas te faire incarcérer pour me venir en aide ; cela ne servirait à rien, et tu n’es pas dans les mêmes conditions que moi pour le prendre patiemment. »

Le 25 avril, il écrit encore sur le ton d’un reproche affectueux : « Tu pourrais peut-être ne pas me laisser si ignorant. Il ne te faut pas conspirer avec tout le système de la prison cellulaire pour faire silence autour de moi. Puisque je ne sais absolument rien du dehors, il m’est impossible d’en savoir moins, et une de tes lettres ne m’arriverait pas ou serait mutilée, qu’elle m’en apprendrait toujours autant que si tu n’y mets rien.

« Par exemple, je voudrais savoir si nos compagnons de la Conciergerie ont été relâchés, si l’on a arrêté d’autres Pères, pillé leurs maisons ; si notre École préparatoire s’est ouverte quelque part, si les petits garçons sont encore au collège, et je ne pense pas qu’on m’empêche de l’apprendre. C’est là ce qui m’intéresse le plus.

« Peut-être aussi pourras-tu savoir si c’est une chose arrêtée que nous ne devions voir personne, contre l’usage cependant de la prison, et ensuite si l’on pense à faire quelque instruction contre nous. »

Insistant sur ses demandes de livres, motivées par le temps assez long qui lui reste probablement à passer dans la solitude : « La Somme de saint Thomas, dit-il, est un livre qu’il te faut emprunter, en temps ordinaire je saurais bien te dire où, mais aujourd’hui je ne sais pas. Tout prêtre un peu instruit ou studieux la possède certainement dans sa bibliothèque. Toute bibliothèque qui n’est pas exclusivement futile le contient aussi, et un bibliothécaire un peu complaisant te le prêterait pour un pauvre prisonnier.

« Je ne manque de rien, si ce n’est que le régime delà prison ne comportant plus d’aumônier, nous n’avons ni messe ni sacrements. Jamais, je crois bien, les prisonniers ne les ont tant désirés.

« Je prie le bon Dieu, j’étudie, je lis, j’écris un peu, et je trouve que le temps passe vite, même à Mazas.

« Il y a vraiment des pressentiments : je n’avais, je crois, jamais passé sur le chemin de fer de Vincennes sans regarder cette prison, et me dire que j’y serais peut-être un jour. J’ai, pendant qu’on la construisait, visité avec beaucoup de soin celle de la Santé, toujours avec la même préoccupation. Pour ne pas exagérer les pressentiments que je reçois, je dois ajouter que j’imaginais que cela se ferait par le moyen régulier et officiel d’un monsieur Bonjean quelconque, magistrat des vieux Parlements , tandis que ce pauvre M. Bonjean trouve moins étonnant de se voir lui-même en prison, que de s’y voir avec les Jésuites. Oh !fortune ! Je puis dire aussi : Oh ! Commune, voilà de tes coups ! »

En effet la rencontre est singulière, et M. Bonjean ne l’avait sans doute pas prévue plus que lui. Combien ce magistrat n’eut-il pas à se féliciter, à la Roquette, d’un voisinage qui lui permit d’ouvrir son âme à celui qui s’étonnait à bon droit de l’avoir pour compagnon de captivité !

Le P. Clerc reçut bientôt les détails qu’il sollicitait sur le sort de ses confrères et des établissements de la Compagnie ; et, parmi tant d’amertumes, il éprouva quelque consolation en apprenant que les œuvres d’éducation, qui lui étaient chères entre toutes, se poursuivaient, dans la mesure du possible, en dépit de l’horrible lutte qui mettait Paris à feu et à sang. Les élèves de l’école Sainte-Geneviève étaient réunis à Athis, ceux de Vaugirard à Saint-Germain-en-Laye, et son frère Jules n’était pas étranger à cette dernière installation. Grâce à une espèce de sauvetage, organisé par ses soins, on put enlever du collège de Vaugirard, comme d’un bâtiment échoué à la côte, une partie du matériel dont on avait le plus grand besoin à Saint-Germain et qui autrement eût été la proie de la Commune. Les deux neveux du prisonnier de Mazas, Alexis et Henri Clerc, jeunes élèves de Vaugirard, continuaient leurs études à Saint-Germain, où ils ne tardèrent pas à recevoir les plus touchants témoignages de la tendresse de leur oncle.

« A la bonne heure, répond-il après avoir reçu ces nouvelles (lettre du 28 avril), voilà qui est écrire ! En deux mots tu me renseignes sur tout ce qui m’intéresse le plus. Maintenant mon ignorance de tout ce qui se passe m’est beaucoup moins pénible.

« Ne fais plus de démarches pour me voir, je crains qu’elles ne t’attirent quelque désagrément et je n’en espère pas de résultat. Cette barrière s’ouvrira par une autre main que la tienne ; et si elle ne s’ouvre pas, nous saurons nous y résigner.

« Tu accepteras de bon cœur les compliments qu’on te fait pour moi. Je suis heureux et fier de souffrir quelque chose pour le nom que je porte. Tu sais assez que le coup ne m’a pas surpris, je n’ai pas voulu l’éviter, et je veux le supporter.

« Je n’espère pas la délivrance dont tu me parles, et je ne sais s’il faut craindre quelque chose, de la peur, de la colère, du besoin de se compromettre encore davantage. Moins je suis maître de moi, plus je suis dans la main de Dieu ; il arrivera ce qu’il voudra, et il me donnera de faire ce qu’il veut que je fasse. Omnia possum in eo qui me confortat [5]. »

Huit jours plus tard il recevait enfin la visite de son frère. Celui-ci ne vint pas seul ; une femme d’un grand cœur, qui avait déjà fait preuve de dévouement à l’ambulance de Vaugirard, ayant obtenu pour elle-même de voir le prisonnier à travers les grilles de Mazas, s’était fait accompagner par M. Jules Clerc.

L’entretien fut aussi gai qu’il aurait pu l’être au parloir de Vaugirard ou de l’école Sainte-Geneviève. Il fut marqué par un incident qui, selon l’expression du P. de Ponlevoy, ne manque pas d’un certain cachet chevaleresque. L’entrevue ayant été ménagée, à la faveur du népotisme, par le crédit d’un grand dignitaire de la Commune, on dit au P. Clerc que ce puissant personnage daignerait se rendre lui-même à Mazas pour lui proposer de le comprendre dans une négociation d’échange de prisonniers. « Mais à l’idée seule d’un pareil traité, l’ancien officier de marine, qui s’entendait en honneur, bondit sur sa chaise. — « De grâce, contenez-vous, lui dit-on, et surtout si l’offre vous en est faite, n’allez pas vous compromettre ; il vous en arriverait malheur. — Quel malheur ? Et qu’ai-je à craindre ? Nous ne pouvons guère être plus mal qu’à la Conciergerie et à Mazas. — Pardon, mon Père, pardon. — Alors, s’écria-t-il en tressaillant, nous serions fusillés !quelle bonne fortune !« Tout droit en Paradis ! » Et il avait l’air radieux, les mains étendues, les yeux au ciel. »

Il était ravi d’apprendre que les établissements de la rue Lhomond et de Vaugirard s’étaient heureusement réorganisés à Athis et à Saint-Germain, et que la Commune avait relâché, entre autres, deux de ses confrères absolument nécessaires pour le cours des spéciaux, qui pourraient bien, pensait-il, se passer de lui quelque temps encore.

Dès le lendemain il écrivait à son frère : « Je suis vraiment dans la joie depuis hier. Les nouvelles que tu m’as apportées sont très-bonnes, et le mal pouvait être beaucoup plus grand. En définitive, nos œuvres sont gênées, mais ne seront point empêchées. Mais ce qui me fait le plus de plaisir, c’est de te voir rendre service à M. Gravoueille [6], et tu comprends que tout en estimant ces services, ce qui me touche surtout, c’est l’excellence de la bonne œuvre que tu fais là. Notre-Seigneur récompense toujours ce que l’on fait pour lui ; il est assez généreux pour ne se laisser vaincre par personne. Je suis fier de toi.

« Je t’ai dit qu’on nous laisse arriver des journaux [7]. J’en ai lu trois, j’ai écrit je ne sais combien de lettres et je n’ai pas ouvert un livre de mathématiques de la journée. Quelle débauche ! »

Cette lettre porte la date du 5 mai. Le 6, avant de l’expédier, il ajoute ces lignes qui prouvent combien peu il conservait d’illusions : « Ils remplissent leur prison. L’heure de leurs plus mauvais conseils sera, je crois, l’heure de leurs plus grands revers. »

Il ne manqua pas d’acquitter sa dette de reconnaissance envers la personne dévouée qui avait surmonté tant d’obstacles pour le visiter et lui procurer la visite de son frère.

« Ce n’est pas assez, lui écrivait-il, de vous avoir remerciée une fois, je vous dois trop, et je veux vous remercier encore.

« Je vous dirai, pour cela, la joie que m’a causée votre visite inattendue. Je vous croyais en province, et, pendant ce temps, vous reveniez à Paris ; vous fourrant dans la gueule du loup, vous forciez la porte de cette impénétrable prison. Croyez bien que j’imagine ce que vous ont coûté les démarches qu’il a fallu faire, et puis tous les ennuis et toutes les fatigues de ces dérangements, de ces voyages multipliés de Versailles, de Paris, de Saint-Germain. Mais la charité, dit saint Paul, est pleine de bénignité, elle ne se recherche pas, elle sait tout espérer et tout souffrir. Aussi elle surmonte tous les obstacles. C’était donc vous qui deviez abaisser cette barrière, inébranlable malgré tous les efforts de mon frère pendant un mois ; car c’est juste après un mois d’emprisonnement que j’ai eu la joie de vous voir. Cela convient : la charité, qui est meilleure, doit l’emporter sur l’amitié fraternelle. Mais quelle attention et encore quelles peines !aller chercher et attendre mon frère, pour me l’amener avec vous !

« Voyez, comme Dieu justifie sa Providence dès ce monde, et si les horreurs de ces temps n’ont pas leur raison d’être, puisqu’elles amènent des dévouements si aimables et si délicats.

« Il faut que je vous dise encore, après ce mois d’une séparation absolue, tandis que j’entends sans cesse, nuit et jour, gronder le canon, quelle consolation c’est de voir ceux qu’on aime et d’apprendre des nouvelles d’un tel intérêt ! De plus, toutes les nouvelles que vous m’avez données sont bonnes. Les coups qui nous ont frappés ne nous ont causé qu’un mal assez limité, nos collèges en sont à peine gênés, tandis qu’un petit nombre, souffrant pour le nom de Jésus, rendront les travaux des autres plus efficaces et plus fructueux.

« J’ai donc rapporté dans ma cellule un cœur bien joyeux. La mortification de la vie solitaire est peu de chose pour un religieux habitué au silence et à l’étude, et dont la vie se passe dans sa cellule religieuse. Mais l’ignorance sur de si grands intérêts est très-pénible, et toute la résignation possible à la volonté de Dieu ne peut ni ne doit nous y rendre indifférent.

« Comment donc faire pour vous témoigner quelque reconnaissance ? Je veux continuer mon office auprès de vous, vous exciter à la fidélité à vos résolutions, et surtout à vous rapprocher toujours davantage de Notre-Seigneur, non-seulement spirituellement, par la prière et la pratique de tous vos devoirs, ainsi que par vos œuvres de charité, mais encore de vous en rapprocher corporellement par la sainte communion. Ici pas de confession, pas de messe, même le dimanche. Nous sommes logés, nourris ; c’est assez pour des animaux. Profitez des sacrements qui vous sont offerts.

« Sauriez-vous me dire pourquoi nous qui sommes capables, et si facilement, de sentiments dévoués et affectueux, nous sommes froids à l’égard de Notre-Seigneur ? N’a-t-il pas le cœur le plus généreux, le plus délicat et le plus tendre ? Il n’y a rien de bon en aucun homme, qui ne soit bien plus excellemment en lui ; il le faut aimer de toutes nos forces. »

En même temps il écrit au P. Chauveau, qu’il sait maintenant en liberté et occupé à procurer à ses frères, restés sous les verrous, les soulagements que comporte le régime de la prison : « Je n’ai à souffrir de rien, excepté de l’ignorance de ce qui se passe. J’ai des livres et le temps disparaît presque aussi vite qu’ailleurs, entre la prière, la lecture et l’étude ; pour le linge et les aliments, la charité ne nous laisse manquer de rien. Qu’on ne s’inquiète de moi nulle part.

« J’ai entendu parler de propositions d’échange entre certaines personnes. Absit ! Je ne veux pas. Je patiente très-bien, et le ferai tant qu’il faudra. Mais il y a tant de raisons pour refuser un échange ! Oh !non !

« Dites à la main charitable qui nous nourrit, de moins me prodiguer ses bienfaits. C’est flatteur pour elle, quoique honteux pour moi : j’engraisse ! Pourrai-je sortir de ma cellule, quand viendra l’heure de la délivrance ? Ma cellule, oh 1 horreur !est-elle une mue ? Enfin, je n’ai pas besoin de tant de choses. »

Pendant qu’il jouissait encore d’une facilité relative de correspondre avec le dehors, il adressa deux lettres, prévoyant sans doute qu’elles seraient les dernières, à ses deux jeunes neveux Alexis et Henri, membres de la petite colonie qui avait planté sa tente à Saint-Germain-en-Laye, en attendant la libération du collège de Vaugirard. A l’exemple du divin Maître, comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’à la fin [8]. Jamais son affection envers tous, dont nous avons déjà trouvé tant de preuves dans ses lettres à son frère, ne s’épancha en termes plus vifs et mieux sentis. Au petit Henri, enfant d’une dizaine d’années, il écrit :

 

« Mon cher petit Henri,

« Tu es bien sage et bien appliqué, c’est ton papa de qui je le tiens ; aussi est-il content de toi ainsi que ta chère maman, nous tous et tes maîtres. Ne te fais pas de chagrin de ne pas être à la tête de ta classe ; tu n’es pas le premier, mais tu n’es pas non plus le plus grand.

« Tu ne peux être savant avant d’avoir étudié, et puisque tu étudies, tu le deviendras. Aie confiance ; tu sais bien qu’on sème en octobre pour récolter en août.

« Tout va bien ; ne sois pas triste et mécontent quand nous sommes tous satisfaits.

« Bien aimer Notre-Seigneur, bien aimer la sainte Vierge, bien faire ses devoirs et se bien conduire, c’est tout ce qu’il te faut. Avec cela on doit marcher heureux et fier.

« Avec le temps, tu grandiras en taille, en science, en sagesse et en grâces. C’est ce que te souhaite

« Ton oncle affectionné en N. S.

« Al. Clerc, s. j.

« 8 mai 1871, Mazas. »

 

Le même jour, il écrit à l’aîné du petit Henri, qui a reçu au baptême le nom de son oncle :

« Mazas, lundi 8 mai 1871.

« Mon cher neveu Alexis,

« Ton père m’a donné de tes nouvelles, et comme elles sont bonnes, je veux t’en complimenter ; il le faut faire par écrit de ma prison. Il m’a dit tes succès dans ta classe, la croix obtenue deux fois et le ruban, et ta docilité qui satisfait tes maîtres. Voilà qui fait un bon écolier !

« Comme un bon écolier remplit bien tous ses devoirs, il contente ses maîtres et se contente lui-même : il n’a point de reproches à redouter, aussi est-il confiant ; il n’a point de faute à cacher, aussi est-il ouvert ; il n’a que des compliments à recevoir, aussi est-il avenant ; et il est disposé à aimer tout le monde, comme tout le monde est disposé à l’aimer.

« Ce ne serait pas assez pour toi d’être un bon écolier et un enfant aimable, il te faut être un saint enfant. Il faut que Dieu ait dans ton cœur la place qui lui convient, c’est-à-dire la première. C’est pour quoi ce qui m’a le plus réjoui, c’est que j’ai appris que tu te montres aussi pieux que sage et laborieux, et que tu es le premier en Catéchisme. Tu penses sérieusement à ta première communion et tu t’y prépares avec toute l’application dont tu es capable.

Tes deux sœurs t’ont donné un bon exemple ; tu veux le suivre et en laisser un pareil au petit Henri ; c’est comme cela que la piété grandit dans les familles, et en resserre les liens.

« Il faut néanmoins en cela, comme dans tes études et ta conduite, modérer trop d’empressement de bien faire et de réussir. Quelle joie c’est pour nous, mon cher Alexis, surtout pour ton bon père et ta mère si tendre, de n’avoir à redouter que ce danger ! Cependant il est redoutable.

« C’est peut-être en formant ton cœur à une piété vive, mais douce, ambitieuse de plaire à Dieu, mais lui demandant le moyen de le faire, jalouse d’aimer beaucoup Notre-Seigneur, mais lui demandant cet amour à lui-même, que tu apprendras à plus attendre, dans les autres choses aussi, de Dieu que de toi-même, et, par exemple, à joindre, dans ton travail et ta bonne conduite, l’ardeur à la modération. Ce n’est pas, tu comprends bien, mon cher enfant, ton zèle qu’il faut diminuer ; le régler et le conduire avec prudence, c’est le fortifier et non pas l’affaiblir.

« J’ai donc la confiance que tu vas faire une excellente première communion et que Notre-Seigneur se donnant à toi tout entier, plus généreux envers toi que tu ne l’auras été envers lui, te comblera de grâces, et surtout pénétrera ton cœur d’un amour ineffaçable pour lui ; je ne manquerai pas de le prier pour que tu fasses dignement cette grande action et que tu en tires de grands fruits.

« Adieu, mon cher enfant !

« Ton oncle prisonnier pour le nom de Jésus, qui t’embrasse affectueusement dans son Cœur.

« Al. Clerc, soc. jesu. »

Le jour même où le P. Clerc prenait ce beau titre : Prisonnier pour le nom de Jésus, afin qu’il fût encore mieux justifié aux yeux de tous, la Commune faisait promulguer à Mazas un nouvel arrêté en vertu duquel le parloir était supprimé pour les prêtres otages et maintenu seulement pour les laïques. Le citoyen Garreau venait d’être nommé directeur de Mazas. C’était, a-t-on fort bien dit, « son don de joyeux avènement [9]. »

Mais il est un visiteur que la Commune n’arrêtera pas ; c’est Celui qui a dit à ses Apôtres : Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viendrai à vous ; et encore : Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera ; et nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure auprès de lui [10]. Tout se prépare pour cette visite auguste et consolante entre toutes, et nous touchons ici à la scène la plus intéressante aux yeux de la foi de ce drame renouvelé des catacombes qui allait se dénouer par le martyre. Laissons parler l’auteur des Actes, qui n’a rien ignoré de ce qui s’est fait alors, et dont le cœur aurait deviné au besoin tout ce qu’accomplissait une charité capable de braver tous les périls et de surmonter tous les obstacles.

« 15 mai. — Au milieu du mois consacré à Marie, enfin se lève un beau jour, journée de grâce et de joie, qui en présageait une autre désormais prochaine de sacrifice et de gloire. Les captifs de Mazas ne cessaient de redire au ciel et à la terre : Veni, Domine Jesu ! Ah !venez donc, Seigneur Jésus. Etiam venio cito ! Oui, fut-il répondu, voilà que je viens. En effet, tout à coup les portes s’ouvrirent, les prisonniers ne sortirent point, mais Jésus entra.

« Cependant dans la matinée de ce jour béni, le Désiré n’avait point encore paru.

« Le P. Clerc écrivait avec son allégresse ordinaire : « Votre petit mot me fait grande consolation et grande joie ; je vous en suis bien reconnaissant et vous prie de me continuer, comme vous saurez le faire, ce bon secours. Vous m’en faites espérer de plus grands, à la bonne heure ! Dieu est si bon pour nous !

« Je continue à faire des mathématiques et à préparer mon cours ; et quand on a fait ses exercices de piété, la journée a disparu. J’entrevois un rayon de lumière et j’espère de meilleurs temps pour notre malheureuse patrie. Je suis, pour le présent, toujours content d’être en prison, ainsi soyez rassuré sur moi. — Que Dieu vous bénisse pour votre charité ! Mes compliments et mes souhaits affectueux pour tous nos amis en Notre-Seigneur.

« Oh !que la séparation fait sentir où le cœur a mis son amour ! »

« Le P. Olivaint, averti de son côté, écrivait au P. Lefebvre :

« Quelle Providence que vous ayez pu rester là-bas ! Comme il est manifeste pour moi que le a Seigneur a tout conduit ! — Me voilà au quarante et unième jour de ma retraite. A partir d’aujourd’hui je ne vais plus méditer que sur l’Eucharistie. »

« Cependant tout était prêt, dedans comme dehors, pour faire entrer Jésus dans la prison. Avant tout, les captifs avaient dû être prévenus eux-mêmes de l’ingénieuse et audacieuse entreprise. Comme toute lettre partant de Mazas, ou y venant, était ouverte et lue, on imagina de glisser des billets dans la pâte de petits pains, avant de les mettre au four. Telle était la teneur des mystérieux billets : « Les circonstances sont fort graves, courage ! Demain, vous recevrez la suprême consolation, » et au bas :

« Vous recevrez un vase rempli de lait et au fond vous trouverez ce que je vous annonce. » L’avis fut reçu et compris, on répondit de Mazas : Nous serions bien contents d’avoir le petit pot de crème. On crut alors pouvoir procéder sûrement à la délicate opération. La main d’un prêtre déposa quatre saintes hosties dans une première boîte garnie à l’intérieur en tout sens d’un corporal et renfermée elle-même dans une seconde boîte, avec un autre petit corporal et le sachet de soie muni d’un cordon pour porter au cou. Le tout fut disposé dans le double fond hermétiquement fermé d’un pot de crème rempli jusqu’au bord. Il y en avait trois seulement, pour les PP. Olivaint, Ducoudray et Clerc ; cette fois on n’avait point encore su lier la partie dans le quartier des PP. Caubert et de Bengy.

« Vers le milieu du jour parvinrent à Mazas les petits pots et les petites boîtes [11], attendus et si désirés : midi et demi était l’heure propice où tous les prisonniers se trouvaient dans leurs cellules. Les employés se montraient obligeants et empressés, étonnés eux-mêmes de sentir leur triste rôle adouci : à la porte de la prison on les gratifiait d’une bonne aubaine et dans l’intérieur des cellules les invitait le plus gracieux accueil : Ah !voilà nos bons commissionnaires, ne manquait guère de s’écrier en les voyant le P. Alexis Clerc.

« A partir de cette heure, nos trois captifs privilégiés portaient donc sur leur poitrine, comme sur un vivant autel, le Dieu de leur cœur et leur partage pour l’éternité.

« La sainte opération enfin réussie, chacun d’eux devait aussitôt avertir.

« Le P. Olivaint se hâte d’envoyer dans la soirée du 15 mai ce petit mot d’avis :

« Je n’attendais plus rien aujourd’hui. Ma surprise et je dirai ma consolation n’en a été que plus grande. Merci donc encore ! Un gros, un énorme merci !

« Je me suis occupé longtemps du Saint-Esprit, dans ma retraite ; je vais maintenant méditer sur l’Eucharistie. »

« La joie du 15 mai ne pouvait être sans lendemain. Le 16 mai, ce n’est à Mazas qu’un cri de reconnaissance. Le P. Clerc mande à un de ses frères [12] :

« Mon cher Émile,

« Présumant l’inquiétude presque anxieuse où l’on est de l’envoi qui nous a été fait ce matin, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous en tirer. J’ai écrit à ce sujet à mon frère une lettre qui est partie déjà, je crois. Toutefois je doute que mon frère soit à Paris et qu’il comprenne bien l’importance de la commission que je lui donne, l’ayant faite en mots à double sens. Aussi je prépare à tout événement ce petit mot pour vous.

« Tout est arrivé en parfait état, et tout était disposé avec une industrie et une adresse admirable. J’aime mieux laisser à votre piété de se retracer ma joie que d’essayer de le faire par ma plume. Mais je crois bien pouvoir dire que je défie tous les événements. Il n’y a plus de prison, il n’y a plus de solitude et j’ai confiance que si Notre-Seigneur permet aux méchants de satisfaire toute leur haine et de prévaloir pendant quelques heures, il prévaudra sur eux en ce moment-là même et glorifiera son nom par le plus faible et le plus vil instrument.

« Bénissons Dieu de toutes nos forces, parce que ses bienfaits sur nous sont redoublés. Adieu. Pax et osculum in Christo [13] »

« Alexis Christophe [14] Clerc, s. j.

« P. S. - J’ai été touché en disant vêpres, portant Notre-Seigneur sur mon cœur, de l’oraison du bon Paschal Baylon [15]. Oh !qu’il aurait su autrement apprécier et reconnaître la grande grâce que Notre-Seigneur fait à son indigne serviteur.

« Je n’ai reçu aujourd’hui vendredi, que les aliments du corps, et du linge ; je serai obligé de fractionner ma dernière hostie. »

« Mais voici du même jour, et encore pour le même objet, la dernière lettre du P. Clerc, et vraiment son Nunc dimittis.

« Ah !mon Dieu, que vous êtes bon ! Et qu’il est vrai que la miséricorde de votre cœur ne sera jamais démentie !

« Et vous, que de remerciements, que d’actions de grâces ne vous devons-nous pas ? Après avoir mille et mille fois répété l’expression de mon impérissable reconnaissance, et vous avoir offert à un titre nouveau les faibles services d’un cœur cependant sincère et dévoué, il me restera de souhaiter que le don que vous me faites vous soit toujours fait à vous-même, et surtout aux jours des épreuves.

« Je n’avais pas osé concevoir l’espérance d’un tel bien !posséder Notre-Seigneur, l’avoir pour compagnon de ma captivité, le porter sur mon cœur et reposer sur le sien, comme il l’a permis à son bien-aimé Jean. Oui, c’est trop pour moi, et ma pensée ne s’y arrêtait pas. Et cependant cela est. Mais n’est-il pas vrai que tous les hommes et tous les saints ensembles n’auraient non plus jamais osé concevoir l’Eucharistie ? Oh ! qu’il est bon, qu’il est compatissant, qu’il est prévenant, le Dieu de l’Eucharistie !

« Ne semble-t-il pas nous faire encore ce reproche :Vous ne demandez rien en mon nom, demandez donc et vous recevrez ? Je l’ai sans l’avoir demandé ; je l’ai et je ne l’abandonnerai plus, et mon désir de l’avoir, éteint faute d’espoir, est ranimé et ne fera que grandir à mesure que durera la possession.

« Ah !prison, chère prison, toi dont j’ai baisé les murs en disant : bona crux !quel bien tu me vaux ! Tu n’es plus une prison, tu es une chapelle. Tu ne m’es plus même une solitude, puisque je n’y suis pas seul, et que mon Seigneur et mon Roi, mon Maître et mon Dieu, y demeure avec moi. Ce n’est plus seulement par la pensée que je m’approche de lui, ce n’est plus seulement par la grâce qu’il s’approche de moi ; mais il est réellement et corporellement venu trouver et consoler le pauvre prisonnier. Il veut lui tenir compagnie ; il le veut, et ne le peut-il pas puisqu’il est tout-puissant ? Mais aussi que de merveilles pour venir à bout d’un tel dessein ! Et vous entrez dans ces merveilles de la tendresse du cœur de Jésus pour son indigne serviteur.

« Oh !dure toujours, ma prison, qui me vaux de porter mon Seigneur sur mon cœur, non pas comme un signe, mais comme la réalité de mon union avec lui ! Dans les premiers jours, j’ai demandé avec une grande instance que Notre-Seigneur m’appelât à un plus excellent témoignage de son nom. Les plus mauvais jours ne sont pas encore passés : au contraire ils s’approchent et ils seront si mauvais que la bonté de Dieu devra les abréger, mais enfin nous y touchons. J’avais l’espérance que Dieu me donnerait la force de bien mourir ; aujourd’hui mon espérance est devenue une vraie et solide confiance. Il me semble que je peux tout en Celui qui me fortifie et qui m’accompagnera jusqu’à la mort. Le voudra-t-il ? Ce que je sais, c’est que, s’il ne le veut pas, j’en aurai un regret que la seule soumission à sa volonté pourra calmer.

« Mais s’il le veut, comme vous aurez eu une grande part à ce bienfait de la force qu’il m’aura prêtée ! »

Que pourrions-nous ajouter ? Un prêtre, ayant lu cette lettre aux fidèles du haut de la chaire, la comparait à celles de saint Ignace d’Antioche. Oui, certes, la ressemblance est frappante. C’est que le même Dieu habitait en eux et leur inspirait les mêmes ardeurs ; et si Clerc avait eu, comme cet illustre martyr, à s’expliquer devant des juges, il leur aurait tenu le même langage : « Je suis prêtre de Jésus-Christ, à qui je sacrifie tous les jours, et maintenant je souhaite me sacrifier moi-même en mourant pour sa gloire comme il est mort pour mon amour. »

Le grand secours que nos prisonniers avaient reçu le 15 mai leur fut encore renouvelé huit jours après, d’une manière vraiment providentielle, quelques heures seulement avant qu’ils fussent transférés de la prison de Mazas à celle de la Roquette. J’emprunte encore cette page à l’auteur des Actes.

« Le lundi 22, vers midi, deux femmes faibles et intrépides, à pied et avec une charge qu’elles se partagent, sous un ciel embrasé, s’acheminent pendant une heure au travers des vastes quartiers déserts que sillonnent seulement les patrouilles de la Commune. Où vont-elles ? A Mazas. Et que portent-elles ? Le Dieu des martyrs. Cette fois toutes les mesures avaient été prises, la répartition fut complète ;chacun de nos prisonniers recevait quatre hosties enveloppées d’un corporal, comme d’un linceul, dûment renfermées dans une petite boîte, avec le sachet de soie muni d’un cordon pour être porté au cou. En venant à pareille heure, le Seigneur Jésus semblait redire à ses serviteurs sa parole d’autrefois : Iterum venio et accipiam vos ad meipsum. « Je reviens, non plus pour demeurer avec vous, mais pour vous emmener avec moi. »

Ainsi chacun d’eux portait déjà sur soi son Viatique, et ils purent, à l’approche du dernier combat, faire à plusieurs de leurs compagnons de captivité cette grande charité de rompre avec eux le pain des forts.

Ce même jour, assez tard dans la soirée, ils furent entassés dans des charrettes et conduits à la Roquette, la prison des condamnés. A leur arrivée, rien n’était prêt pour les recevoir ; on les fit stationner longtemps dans une sorte de salle d’attente dont les murs étaient garnis de banquettes de bois. L’Archevêque de Paris était là, assis comme les autres sur sa banquette, entre M. le président Bonjean et M. Deguerry, curé de la Madeleine. Celui-ci ayant appelé le prélat par son titre honorifique, un garde l’interpelle rudement :« Citoyen, il n’y a pas de seigneur ici. » A l’instant même un des prisonniers (c’était le P. Clerc, au dire d’un témoin) se lève de sa place et, se mettant à deux genoux devant Monseigneur, lui baise la main et demande sa bénédiction. Puis, ayant remarqué l’air exténué du malheureux pontife, il ouvre un petit paquet qu’il portait sous le bras et lui offre quelques provisions sauvées de Mazas.

Enfin on les conduit à leurs cellules, où ils trouvent pour tout ameublement un lit composé d’une paillasse et d’une couverture. Les PP. Ducoudray et Clerc, rapprochés de nouveau, furent placés dans la quatrième section, au premier, non loin de l’Archevêque et de M. Deguerry. Après la première nuit passée dans sa nouvelle prison, le P. Clerc annonça à son frère son changement de domicile par un billet d’un laconisme significatif, écrit sous les yeux des guichetiers et des agents de la Commune :

« Mon cher Jules,

« Hier, lundi 22, nous avons été déménagés et nous sommes actuellement à la Roquette, probablement pour plus de sûreté.

« J’ai vu cette nuit la lune et les étoiles, et je t’écris sur le rebord de ma fenêtre, sous le ciel bleu ; eu reste, ni table, ni chaise. La vie de l’homme peut être très-simplifiée.

« Nous ignorons nos nouvelles conditions d’existence ; elles paraissent ne pas nous faire un isolement aussi complet qu’à Mazas.

« 4e section, n° 6. Grande Roquette. »

 

En effet, ce n’est plus l’isolement du régime cellulaire. De sa fenêtre, ouvrant maintenant à hauteur d’appui et donnant libre accès à l’air et au soleil, le prisonnier aperçoit d’abord, longeant le bâtiment, un premier chemin de ronde assez spacieux, qui sert à la promenade, à la récréation, si l’on veut. Au delà ses yeux rencontrent l’une des deux hautes murailles entre lesquelles circule le second chemin de ronde, où il doit, deux jours après, recevoir la mort. Par une disposition de local qui règne dans toute la prison, sa cellule, contiguë à celle du président Bonjean, n’en est séparée que par une mince cloison qui partage également la fenêtre commune. A un signal donné, les deux prisonniers peuvent se rencontrer là tête à tête, et rien ne les empêche d’avoir ensemble les communications les plus intimes. Circonstance providentielle, comme on le verra.

Quand le temps le permettait, les prisonniers descendaient deux fois par jour, pour la promenade, dans le premier chemin de ronde. Ils s’y rencontrèrent pour la première fois le mardi, entre huit et neuf heures, pendant que les gens de service faisaient le ménage de leurs pauvres cellules. Ce que furent les épanchements de ces heures dont chacune pouvait être la dernière ; quelle douceur éprouvèrent à se retrouver, après une si longue séparation, ceux surtout qu’unissaient plus étroitement les liens de la fraternité religieuse, on le devine mieux qu’on ne saurait l’exprimer. Si l’Ecce quam bonum ne pouvait être chanté en pareil lieu, le sentiment auquel il répond n’en était pas moins dans tous les cœurs. Comme ils étaient unanimes, nos bien-aimés frères, dans l’acceptation généreuse du plus grand des sacrifices, et dans les vœux ardents qu’ils formaient pour la malheureuse patrie dont ils ne voulaient pas désespérer ! Il règne un merveilleux accord dans leurs paroles, pieusement recueillies par l’auteur des Actes. J’en veux citer quelques-unes, empruntées soit à leurs lettres écrites à Mazas, soit à ces mémorables entretiens de la Roquette où leur voix s’est fait entendre pour la dernière fois.

Au bruit du canon qui ébranlait sa cellule, le P. Olivaint écrivait : CI Et cet affreux canon qui gronde sans cesse ; oh !que cela me fait mal !mais aussi que cela me porte à prier pour notre pauvre pays ! S’il ne fallait que donner ma misérable vie pour mettre un terme à cela, que j’aurais vite fait mon sacrifice ! »

Plus calme, le P. Caubert ne cessait de prier pour la France et pour Paris, et il espérait un meilleur avenir. « J’ai la conviction que l’on verra bientôt tous les cœurs s’entendre et s’unir dans un même esprit de concorde et de charité. » A un célèbre avocat qui le visitait dans sa prison, il disait :« C’est une bien grande épreuve pour le pays, et qui le sauvera. » Et comme celui-ci exprimait ses doutes à cet égard :« Quant à moi, ajoutait-il, je ne doute pas, je suis sûr, je crois fermement que la France sortira de là régénérée, plus chrétienne et par conséquent plus forte qu’elle n’a jamais été. »

Le P. Clerc n’écrivait-il pas de son côté :« J’entrevois un rayon de lumière et j’espère de meilleurs temps pour notre malheureuse patrie. »

Ibant gaudentes… C’est le premier mot qui s’est échappé des lèvres du P. Ducoudray au moment de son arrestation ; il l’a répété à la Conciergerie, et cette joie de souffrir pour Jésus-Christ ne s’est jamais démentie. De sa cellule de Mazas, il écrivait :« Dès le premier jour de mon arrivée ici, je me suis tenu prêt à tous les sacrifices ; car, j’en ai la douce et forte confiance, si Dieu fait de nous, prêtres et religieux, des otages et des victimes, c’est bien in odium fidei, in odium nominis Christi Jesu [16]. » On l’entendit répéter à la Roquette, le jour même de sa mort :« Si nous sommes fusillés, il est certain pour moi que ce sera en haine de la foi. A ce compte, le purgatoire ne sera pas long. » Le P. de Bengy disait sur le même sujet :« Dieu aime qu’on lui donne avec un cœur joyeux ; et, comme il n’y a pas de don plus considérable que celui de la vie, il faut le rendre parfait en le faisant avec joie. » Est-il besoin de rappeler les sentiments du P. Olivaint ? Depuis longues années déjà, il ne respirait que le martyre. Un jour, entendant prêcher sur les Martyrs japonais, il fut pris de transports inexprimables ; il lui sembla que sa poitrine s’ouvrait et qu’il en sortait des flots de sang. Pensant alors qu’il serait peut-être martyr, il ne se possédait plus de joie. On a entendu le P. Clerc :« J’ai demandé avec une grande instance que Notre-Seigneur m’appelât à un plus excellent témoignage de son nom. Il me semble que je peux tout en Celui qui me fortifie et qui m’accompagnera jusqu’à la mort. Le voudra-t-il ? Ce que je sais, c’est que, s’il ne le veut pas, j’en aurai un regret que la seule soumission à sa volonté pourra calmer. »

Ne nous étonnons plus lorsqu’un témoin oculaire nous dit :« J’ai vu tous vos Pères et je leur ai parlé ; ils étaient calmes et souriants au soir de leur vie comme à l’aurore d’un beau jour. Le P. de Bengy n’avait rien perdu de son sang-froid et de sa gaîté ; le P. Caubert, de son recueillement suave et modeste ; le P. Clerc, de sa généreuse allégresse ; le P. Ducoudray, de sa virilité simple et digne ; le P. Olivaint, de sa vive énergie et de sa paix radieuse. »

Mais surtout songeons à l’Hôte divin qu’ils avaient reçu et qui était invisible au milieu d’eux. Chacun d’eux le portait sur son cœur. Là est le secret de leur force invincible et de leur inaltérable sérénité.

On sait qu’ils ne gardèrent pas pour eux seuls le don céleste. Ces journées furent pour tous les otages une admirable préparation à la mort ; les prêtres se confessaient les uns aux autres et entendaient les confessions des laïques ; laïques et prêtres, s’attendant à mourir d’un instant à l’autre, se tenaient prêts à paraître devant Dieu et à faire généreusement le sacrifice de leur vie.

 

Il était une âme entre toutes que l’infinie miséricorde avait plus particulièrement confiée au zèle et à la charité du P. Clerc, l’âme du président Bonjean, son voisin de cellule. Le président, à fort bon droit, ne passait pas pour ami des Jésuites, et son gallicanisne ultra-parlementaire avait fait quelque bruit dans les discussions du sénat. Mais il s’agissait bien de gallicanisme à pareil moment ! Vu de près, le Jésuite lui parut avant tout un prêtre, portant dans ses mains le pardon et pouvant prononcer, au nom de Jésus-Christ, les paroles de la vie éternelle. Au fond, ces deux âmes étaient faites pour s’entendre, car elles avaient l’une et l’autre, au suprême degré, la religion du devoir et n’admettaient aucune transaction en matière d’honneur.

Si le P. Clerc repoussait avec indignation l’idée d’un échange de prisonniers, entre Paris et Versailles, dont on voulait lui assurer le bénéfice, le président avait, lui aussi, de ces délicatesses magnanimes et il était vraiment victime de sa fidélité à ce qu’il regardait comme un des devoirs de sa charge. Absent de Paris au moment où la Commune s’en emparait sans coup férir, le courageux magistrat était aussitôt revenu à son poste, sans beaucoup d’espoir de servir la cause de l’ordre et sachant parfaitement à quoi il s’exposait [17]. Arrêté dès le 21 mars au sortir de son audience, il avait passé deux mois entiers à Mazas, et, malgré son âge avancé (67 ans), on le vit supporter sans faiblesse les rigueurs, du régime cellulaire. Il avait été question, un moment, d’une mise en liberté, sur parole, qui lui aurait permis d’aller en Normandie passer quelques heures auprès de Mme Bonjean. Sa seule crainte alors, à lui et Mme Bonjean, ce fut qu’il ne lui arrivât de manquer involontairement à la parole donnée, et la noble femme lui écrivait :« Je partage à un tel degré l’appréhension que quelque accident, indépendant de ta volonté, eût pu entraîner pour toi quelque infraction involontaire à la promesse donnée par toi, que c’est à peine si j’ose souhaiter que tu coures une si terrible chance. Mais combien la noblesse d’un tel scrupule est comprise par peu de monde ! »

Et comme une vertu ne va jamais seule, le président pardonnait de tout son cœur à ses ennemis, et, dès les premiers jours de sa captivité, il signait un écrit où nous lisons : — « Ne cherchez pas à connaître les noms de ceux qui me retiennent ici contre toute justice et toute raison ; et surtout ne cherchez jamais à en tirer aucune vengeance directe ou indirecte. »

Enfin, nous citerons cet avis qu’il adressait à ses enfants quatre jours avant sa mort : — « Que la persécution que je souffre et la mort sanglante qui d’un moment à l’autre peut terminer ma laborieuse vie, ne soient pas pour vous une cause de découragement. Ne dites pas : A quoi a servi à notre père ce long dévouement à tous les devoirs ? Que n’a-t-il fait comme tant d’autres qui, moins austères, moins rigides, ont su se mettre à l’abri du danger et jouissent maintenant d’une heureuse vieillesse ? — Oh !non, ne le dites pas, et n’en croyez pas ceux qui vous tiennent un tel langage : car moi qui n’ai jamais trompé personne, moi qui voudrais encore moins tromper mes enfants en ce moment solennel, je vous affirme que, si misérable que puisse être la fin qui paraît m’être destinée, je ne voudrais à aucun prix avoir agi autrement que je ne l’ai fait. C’est que le premier bien, mes chers enfants, c’est la paix de la conscience ; et que ce bien inestimable ne peut exister que pour celui qui peut se dire :J’ai fait mon devoir. »

Il le fit jusqu’au bout, non-seulement en magistrat intègre et en bon citoyen, mais encore en chrétien fidèle aux engagements de son baptême. Tant de noblesse dut inspirer au P. Clerc une vive sympathie et nul doute qu’il sut se faire comprendre du président, lorsqu’il eut à traiter avec lui du plus grand et du plus saint de tous les devoirs. Leurs entretiens, commencés à la fenêtre commune, se prolongeaient au temps de la promenade, et les autres prisonniers respectaient une intimité dont ils devinaient assez la nature. Au reste, M. Bonjean ne s’en cachait pas, et nous nous en référons à son propre témoignage. « A la récréation du jour (23 mai), qui se prit à l’ordinaire dans le premier chemin de ronde, l’Archevêque fatigué d’avoir marché longtemps, comme il n’y avait nulle part où s’asseoir alla s’appuyer contre la rampe du petit escalier tour nant qui monte au corridor du premier. Un de ses vicaires généraux et M. Bonjean vinrent à lui ; ce dernier paraissait radieux :( Eh bien 1 Monseigneur, lui dit-il, moi le gallican, qui aurait jamais cru que je serais converti par un Jésuite ! [18] »

Le P. Clerc venait de faire sa dernière conquête, de recueillir la dernière joie de son zèle sacerdotal.

Le soleil du 24 mai se leva splendide sur la ville qu’avait éclairée toute la nuit la flamme des grands incendies. Paris brûlait ; ses palais et ses monuments inondés de pétrole par la main des insurgés, nous apprenaient de quoi est capable la civilisation sans Dieu. Et à mesure que l’armée régulière gagnait du terrain, que le cercle de fer se resserrait autour de la Commune aux abois, la lutte, plus meurtrière et plus violente, se concentrait dans les arrondissements voisins de la Roquette. A deux pas de la prison, sur les hauteurs du Père-Lachaise, des batteries de grosses pièces ne cessaient de tonner et de vomir sur tous les quartiers une pluie de fer et de feu. Le P. Clerc dut se souvenir de ce qu’il avait dit :L’heure de leurs plus mauvais conseils sera celle de leurs plus grands revers. Dès le commencement de cette journée, lamentable pour notre infortunée patrie, mais pour lui si glorieuse, il se prépara au combat. Ne possédait-il pas dans sa prison Celui qui est la Force des Martyrs ? Il se nourrit de sa chair sacrée, et sans doute attentif à ménager le trésor des saintes espèces, il put non-seulement prolonger son action de grâces, mais continuer son adoration pendant tout le jour.

Dans cette même matinée, le P. Olivaint porta la sainte Eucharistie à l’Archevêque de Paris, et le curé de la Madeleine la reçut de la main du P. de Bengy. Le jeune ecclésiastique qui avait pour voisin le P. Ducoudray, et qui lui a survécu, sut aussi d’une manière certaine qu’il portait sur sa poitrine le Saint-Sacrement et qu’il s’était communié lui-même dans sa cellule.

Les deux récréations d’usage eurent lieu comme la veille ; elles furent graves sans le moindre doute, mais le cœur trouva encore à s’y dilater en respirant, dans cette réunion de frères, l’arôme de la charité.

MM. Amodru et Lamazou, du clergé de Paris, ont fait connaître les sentiments de générosité et d’indulgence dont se montraient animés l’Archevêque et le curé de la Madeleine, qui ne s’attendaient pas encore à un dénouement si tragique, incapables qu’ils étaient de croire à tant de haine. Il ne nous est parvenu aucune parole recueillie à cette dernière heure de la bouche du P. Clerc ; nous savons seulement qu’on remarqua ses fréquents tête-à-tête avec le président Bonjean et le respect vraiment filial qu’il témoignait à l’Archevêque en toute occasion. Désormais son histoire se confond avec celle des cinq otages qui subirent la mort en même temps que lui, et c’est à l’auteur des Actes de nous raconter comment cette journée s’acheva par l’immolation sanglante où notre généreux combattant cueillit avec tant de joie la palme du martyre.

« La Commune, retranchée alors dans la mairie du onzième arrondissement, n’avait plus de force que pour le crime ; hélas !elle en avait trop encore ! Elle ordonne d’urgence l’exécution en masse de tous les otages de la Roquette. A six heures du soir, à titre de représailles, plus de soixante prisonniers doivent être passés par les armes. A cette injonction extrême de désespérés qui n’ont plus rien à perdre, le greffier de la prison trouve moyen d’incidenter, sur le fond plutôt que sur la forme. On parlemente, et après quelques allées et venues entre la Roquette et la mairie du onzième arrondissement, la Commune consent à décimer seulement la soixantaine, à la condition expresse de désigner elle-même ses victimes préférées. A tout prix, elle veut des prêtres, ces hommes qui gênent le monde depuis dix-huit cents ans ; et par une association étrange, M. le président Bonjean est porté sur la liste. Près de deux heures se passèrent dans ces redoutables négociations.

« Il était donc environ huit heures du soir. Tous les prisonniers se trouvaient dans leurs cellules, et il n’y avait plus à l’intérieur de conversations qu’avec le Ciel. Tout à coup on entend dans le lointain un bruit confus, de plus en plus distinct ; des voix d’hommes et d’enfants, des clameurs et des rires encore plus féroces se mêlent au cliquetis des armes. C’étaient en effet les exécuteurs des hautes œuvres : pour six victimes, pas moins d’une cinquantaine de bourreaux, Vengeurs de la République et Garibaldiens, soldats de toutes armes et gardes nationaux de tout costume, y compris ces enfants terribles qu’on nomme les gamins de Paris. A leur tête marchait un homme blond, moustaches en brosse. « Citoyens, dit-il en s’adressant à sa troupe, vous savez combien il en manque des nôtres, six. Fusillez-en six ! » Le détachement pénètre dans ce corridor du premier, quatrième division, où se trouvent nos chers captifs, le parcourt dans toute sa longueur, et va se ranger à l’extrémité opposée, au haut de ce petit escalier tournant qui conduit au chemin de ronde. Au passage, chaque détenu avait reçu d’avance, par son guichet entr’ouvert, une insulte et une sentence de mort.

« Alors un personnage, faisant l’office de héraut, d’une voix retentissante, somme les prisonniers de se tenir prêts et que chacun ait à répondre à l’appel de son nom. Cela dit, la liste fatale à la main, il proclame aussitôt, avec la même qualification pour tous, et suivant l’ordre numérique des cellules, les six condamnés de la Commune. A mesure qu’un nom a été prononcé, une porte s’ouvre et une victime se livre. M. Bonjean, M. Deguerry, M. Clerc, M. Ducoudray, M. Allard et M. Darboy ont été successivement appelés.

« M. l’abbé Gard, le témoin ordinaire du P. Ducoudray dans sa cellule, ajoute ici un détail que je tiens à conserver :« Le mercredi soir, j’étais couché, quand on vint faire l’appel. Quand le P. Ducoudray fut nommé, il devait être en prière, et il n’entendit pas son nom ; il resta du moins une demi-minute et je dus l’avertir. Je l’entendis se mettre à genoux et sans doute il consomma les saintes espèces qu’il portait encore. Je lui demandai de m’en laisser une part, mais il me répondit :« Non, non. » D’où je compris que tout était consommé.

« Mais déjà tous les appelés sont présents : l’Archevêque et ses compagnons, précédés et suivis de l’affreuse escorte, passent et descendent un à un par l’escalier étroit et sombre, et au bas, se trouvent dans ce même chemin de ronde où tout à l’heure ils prenaient encore leur récréation.

« Les voilà donc enfin à la merci d’une impiété sauvage et de la plus brutale insolence. Un des officiers de cette ignoble troupe dut même intervenir, et, compatissant à sa manière :« Camarades, s’écria-t-il, nous avons mieux à faire que de les injurier, c’est de les fusiller. C’est le mandat de la Commune. »

« Tel était l’arbitraire et le désarroi de ces temps que le lieu de l’exécution n’avait pas même été fixé. Toute place était bonne pour verser du sang. On fut donc au moment d’opérer à l’endroit même. Mais on avisa que c’était bien près de la prison, sous les fenêtres mêmes des prisonniers ; il y aurait là trop de témoins pour le crime. En effet, de toutes ces fenêtres, à tous les étages, l’œil plonge dans le premier chemin de ronde et les prisonniers restés dans leurs cellules assistaient d’en haut à cette scène de mort, entendaient tout, voyaient tout. Il fut décidé qu’on passerait dans le second chemin de ronde, où l’on serait à l’abri de deux hautes murailles. On se met en mouvement ; un brigadier ouvre la marche, derrière lui s’avancent ceux qui vont mourir, ainsi groupés : Mgr l’Archevêque de Paris donne le bras à M. Bonjean ; le P. Ducoudray et le P. Clerc accompagnent et soutiennent de chaque côté le vénérable curé de la Madeleine, chargé de ses quatre-vingts ans ; vient enfin M. l’abbé Allard ; puis, à l’entour et derrière, les hommes et les enfants armés, dans une espèce de désordre. Durant ce parcours, à une fenêtre du premier, un des prisonniers agita son mouchoir en signe d’adieu ; le P. Ducoudray se retourna vers lui et le salua du geste. On le vit ensuite entr’ouvrir sa soutane, et porter la main à sa poitrine, pour indiquer sans doute qu’ils allaient être fusillés.

« A l’extrémité du premier chemin de ronde, il y eut un arrêt obligé, il fallut forcer la porte qui introduit dans le second. A partir de cet endroit, les victimes disparurent, et il ne resta plus que des témoins qui ne viendront pas déposer : les exécuteurs eux-mêmes. On sait seulement qu’on eut encore à parcourir ce second chemin de ronde dans toute sa longueur, en sens inverse du premier, jusqu’à l’angle sud-est. On rapporte aussi que le généreux P. Alexis Clerc, qui avait tant désiré rendre au nom de Jésus le plus excellent témoignage, celui du sang, ouvrit sa soutane et présenta son cœur pour accueillir la mort. On voit enfin, par les traces profondes des balles égarées, que les victimes ont dû être rangées sur une ligne, au pied de la haute muraille d’enceinte.

Cependant, dans les cellules de la prison, quelle anxieuse attente 1 A deux genoux, on priait, on écoutait, respirant à peine. On entendit un feu de peloton, puis quelques coups détachés, des cris de « Vive la Commune ! » C’en était fait, il n’y avait plus de victimes, mais des martyrs !

…………………………………………………………………………………………………...

« Vers le milieu de la nuit, il se fit un grand bruit autour des prisonniers. Était-ce une nouvelle tentative d’invasion ? Mais bientôt les grilles, aux extrémités du corridor, et les portes de toutes les avenues se refermèrent avec fracas, et l’on distingua ces paroles prononcées d’un ton de maître :« Si l’on revient encore, je défends d’ouvrir. » C’était seulement partie remise.

« Un peu plus tard enfin, il y eut un sourd roulement, le long du second chemin de ronde. On enlevait les six dépouilles sanglantes. Les corps jetés, plutôt que posés sur une petite voiture à bras, arrivèrent vers trois heures du matin au cimetière du Père-Lachaise ; et là, sans cercueil, sans cérémonie aucune, ils furent enfouis pêle-mêle dans la fosse commune, à l’extrémité d’une longue tranchée ouverte à l’angle sud-est du cimetière, tout à fait contre le mur d’enceinte. »

Quand la hideuse Commune fut terrassée et que nos troupes eurent occupé le cimetière du Père-Lachaise, on s’empressa de rechercher les corps des victimes ; on les découvrit sous un mètre cinquante de terre détrempée par les pluies récentes, souillés d’une boue sanglante et très-maltraités, mais encore parfaitement reconnaissables. Après qu’on les eut mis dans des cercueils, la chapelle du cimetière reçut provisoirement M. Bonjean et M. Allard ; et tandis qu’une garde d’honneur accompagnait Mgr l’Archevêque et M. Deguerry jusqu’au palais de l’archevêché, les PP. Ducoudray et Clerc, escortés aussi de soldats, étaient transportés à notre maison de la rue de Sèvres et déposés à l’église, dans la chapelle dédiée aux saints Martyrs japonais. Ils y furent bientôt rejoints par les PP. Olivaint, Caubert et de Bengy, massacrés le vendredi 26 mai, avec plus de quarante autres otages, prêtres ou soldats, dans la cour de la cité Vincennes, rue Haxo.

Je passe sous silence les funérailles, célébrées le mercredi 3i mai au milieu d’une émotion facile à concevoir ; l’allocution adressée à la nombreuse assistance par le vénérable M. Hamon, curé de Saint-Sulpice, dont les lèvres tremblantes laissèrent échapper le mot de Martyrs ; enfin les paroles si éloquentes, pleines de larmes, prononcées au cimetière du Mont-Parnasse par M. le comte Eugène de Germiny, au nom de tous les élèves des PP. Olivaint et Ducoudray. Il faut lire cela dans les Actes, ai on ne l’a déjà lu, et n’en rien perdre.

Aujourd’hui les corps de nos chères victimes reposent dans la chapelle des Martyrs, sous le pavé du sanctuaire et sous les marches de l’autel ; un sentiment bien explicable n’ayant pu souffrir qu’ils restassent plus longtemps dans notre sépulture ordinaire, sans aucune marque distinctive. Au moins les fidèles peuvent maintenant couvrir leurs tombes de couronnes et de fleurs nouvelles, sans compter que ce précieux voisinage remplit notre maison de la bonne odeur du sacrifice.

Cinq grandes dalles de marbre, ornées d’inscriptions en style des catacombes, indiquent la place occupée par chacun d’eux. Sur l’une des cinq, à l’extrémité de droite (côté de l’Épître), on lit :

hic jacet in pace

ALXIUS CLERC

DOMO PARISIIS

PRESBYTER SOCIETATIS IESV

NATVS ANNOS LI MENSES V DIES XIII

LIBENS FVSO SANGVINE FIDEM SIGNAVIT

 

IX KAL. IVN. A. D. MDCCCLXXI

 

C’est-à-dire :

CI-GÎT EN LA PAIX DU CHRIST

ALEXIS CLERC

PARISIEN DE NAISSANCE

PRÊTRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

ÂGÉ DE LI ANS V MOIS XIII JOURS

DE BON GRÉ IL SIGNA LA FOI DE SON SANG

LE 24 MAI DE L’AN DU SEIGNEUR MDCCCLXXI.

 

Vraiment l’auteur de cette inscription a été bien inspiré et il a merveilleusement saisi le trait distinctif [19]. Libens, de bon gré, c’est bien cela ! Voyez-vous notre généreux martyr aller à la mort en ouvrant son vêtement pour recevoir les balles en pleine poitrine, et tout joyeux de rendre à Jésus-Christ, comme il l’avait tant souhaité, le plus excellent témoignage ?

On avait déjà raconté cette belle mort et elle excitait l’admiration universelle ; grâce à Dieu, on saura désormais qu’elle a été le digne couronnement d’une vie non moins belle, cachée en Dieu avec Jésus-Christ. Un de ses amis n’avait-il pas dit longtemps à l’avance : « Clerc fera une mort magnifique ? » Tous ceux qui le voyaient d’un peu près pouvaient en soupçonner quelque chose ; mais aucun n’avait de lui cette connaissance intime que nous venons d’acquérir en le suivant pas à pas pendant environ une trentaine d’années. Depuis sa conversion, il a toujours marché par la route la plus droite, et les obstacles qu’il a surmontés n’étaient pas petits. Quelle victoire que celle de sa vocation ! Combattu à outrance par son propre père, il soutient ce rude assaut sans éclat et sans bruit, mais avec quelle générosité et quelle constance ! Nous avons déchiré le voile de sa vie religieuse : c’est le sacrifice en permanence. Partout on sent l’homme d’un grand cœur et d’une grande foi, qui va de l’avant, toutes voiles déployées, au large. Où ne va-t-on pas ainsi quand c’est l’Esprit-Saint qui enfle la voile ?

Il me semble que de sa tombe j’entends sortir ces paroles par lesquelles il nous exhorte à combattre à notre tour le bon combat : Que Dieu vous donne à tous un cœur, afin que vous le serviez, et que vous fassiez sa volonté avec un cœur grand et une volonté généreuse [20].

Vous méditerez quelquefois, jeunes gens, vous qu’il a tant aimés en Notre-Seigneur, sur les conseils qu’il donnait à ceux de votre âge et sur les exemples qu’il nous laisse à tous. Jeune, il avait touché l’écueil des passions, et ses écarts furent probablement plus grands que les vôtres. Mais une expiation surabondante avait fait de lui un homme nouveau, et vous avez vu de quelles saintes ardeurs il était dévoré. Quels qu’aient été les débuts de votre vie, il est encore temps pour vous de faire un noble emploi de vos forces ; rien n’est perdu avec l’aide de Dieu ; et — je le dis pour d’autres que vous — les ouvriers de la onzième heure peuvent eux-mêmes recevoir le salaire de la journée entière, pourvu qu’ils rachètent par l’intensité du travail le temps dont ils avaient été jusque-là follement prodigues.

 

 

 

Notre récit est terminé ; cependant encore un mot, qui trouve ici sa place naturelle et que le lecteur attend sans doute.

La piété publique, nous le disions à l’instant, a senti d’instinct que ces dépouilles déposées dans la chapelle des Martyrs, étaient elles-mêmes des dépouilles de martyrs. De là un courant tout spontané qui n’a cessé d’amener les fidèles à ce sanctuaire de bénédictions. Ce n’est pas encore le culte extérieur, que l’Église interdit tant qu’elle ne l’a pas autorisé ; mais c’est la vénération intime et privée, la prière du cœur qui ne monte même pas toujours jusqu’aux lèvres ; et il semble que le Ciel justifie une pareille confiance par des grâces extraordinaires, on peut dire miraculeuses

Non loin de là, une salle, ouverte au pieux visiteur, offre à ses regards le mobilier des cinq cellules occupées à Mazas par les otages ; le lit, la table, la chaise, rien n’y manque ; on y a joint certains objets à l’usage particulier de chacun d’eux, comme le bréviaire à demi brûlé du P. Olivaint et ses instruments de pénitence. Sur une table, à l’écart, on aperçoit des plaques de marbre dont les inscriptions attestent les vœux qu’on adresse aux victimes de la Roquette et de la rue Haxo et les faveurs obtenues.

Au reste, on peut lire, dans la dernière édition des Actes par le R. P. de Ponlevoy, le récit très-circonstancié de plusieurs guérisons dont il faut bien faire honneur à leur entremise, puisque la science se montre impuissante à les expliquer. Sur cinq de ces faits, d’un caractère plus marqué, le procès a été instruit selon toutes les formes canoniques, au sein d’une commission nommée par l’Ordinaire. Enfin, l’autorité compétente est saisie et sa décision attendue avec confiance A Rome seule il appartient de prononcer dans la cause des serviteurs de Dieu.

Mais, sans rien préjuger à l’avance, ne peut-on pas déjà sourire à cet espoir qu’un jour viendra où l’Église placera sur les autels, avec ses quatre compagnons, Alexis Clerc, marin, jésuite et otage de la Commune, mis à mort en haine de la foi ?

Alors, la gloire de sa sainteté rejaillira sur les écoles catholiques et sur la marine française. La marine, qui a donné ce vaillant soldat à la Compagnie de Jésus et à l’Église, pourra, le revendiquant à bon droit, l’honorer comme un de ses modèles les plus sympathiques et de ses plus chers protecteurs.

 

 

FIN.

 



[1]Le P. Billot vient d’être enlevé à l’école Sainte-Geneviève après vingt ans et plus de professorat. C’est une grande perte. Il était très-estimé de l’illustre Cauchy, son premier maître, qui même avait songé à lui léguer ses travaux inédits dont quelques-uns réclamaient un continuateur plutôt encore qu’un éditeur. Doué d’une pénétration supérieure et possédant des connaissances étendues en plus d’un genre, il aurait pu occuper avec honneur une chaire de théologie. Il emporte les regrets d’une foule de jeunes hommes dont ses douces vertus avaient gagné le cœur tandis que son dévouement leur rendait facile l’accès de l’École polytechnique.

[2]Ibant gaudentes... quoniam digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati. Act. V, 41.

[3]Actes de la captivité et de la mort des RR. PP. P. Olivaint, L. Ducoudray, J. Caubert, A. Clerc, A. de Bengy, par le P. A. de Ponlevoy, 11e édition, p. 58. Nous renverrons toujours à cette même édition.

[4]M. Charles Clerc est un frère aîné qui a passé en Algérie une grande partie de sa vie, et avec lequel nos lecteurs n’ont pas encore eu l’occasion de faire connaissance. Nous sommes heureux de lui offrir ici l’hommage de notre respectueuse sympathie.

[5]Je puis tout en Celui qui me fortifies.[a]

[6]Le R. P. Gravoueille, recteur du collège de Vaugirard.

[7]Cet adoucissement du régime de la prison était probablement dû à la même influence qui avait procuré au P. Clerc la visite de son frère et de la personne ci-dessus désignée.

[8]Cum dilexisset suos, in finem dilexit eos. Joan. XIII, i.

[9]Actes, p. 118.

[10]Joan. XV, 14, 23.

[11]Ce sont les expressions énigmatiques dont le P. Olivaint s’est servi dans une lettre précédente.

[12]Le P. Émile Chauveau.

[13]Je vous souhaite la paix et vous embrasse en Notre Seigneur.

[14]On sait que ce nom signifie Porte-Christ.

[15]C’était en effet la veille de la fête de saint Pascal Baylon, religieux de l’Ordre de Saint-François, célèbre par sa dévotion envers la sainte Eucharistie. Voici cette oraison : « Deus, qui beatum Paschalem, Confessorem tuum, mirifica erga Corporis et Sanguinis tui sacra mysteria dilectione decorasti : concede propitius, ut quam ille ex hoc divino convivio spiritus percepit pinguedinem, eamdem et nos percipere merea mur. » — « Seigneur, vous qui avez doué votre bienheureux confesseur Paschal d’un admirable amour envers les sacrés mystères de votre Corps et de votre Sang, daignez nous accorder la grâce que notre âme aussi bien que la sienne se fortifie et s’engraisse à ce divin banquet. » (Breviar. roman., 17 mai.)

[16]En haine de la foi, en haine de Jésus-Christ.

[17]M. Devienne, premier président de la cour de cassation, étant absent et malade, M. Bonjean, doyen des présidents de chambre, était devenu par le fait le chef de ce grand corps et le premier représentant de tout l’ordre judiciaire à Paris.

[18]Actes, p. 170.

[19]Les cinq inscriptions sont l’œuvre du P. Victor de Buck, l’éminent bollandiste.

[20] Et det vobis cor omnibus, ut colatis eum, et faciatis ejus voluntatem, corde magno et animo volenti. II Machab. I, 3.

 

Notes additionnelles :

[a] Saint Paul, Épitre aux Philippiens, 4, 13

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VIE DU PERE ALEXIS CLERC PAR CH. DANIEL (Chapitre 14)

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CHAPITRE XIV.

 

le p. clerc a saint-vincent de laon et a l’ambulance de vaugirard.
— ses derniers vœux.

 

 

Le P. Clerc avait cinquante ans, dont quinze de vie religieuse, lorsque, au mois d’octobre 1869, ses supérieurs l’envoyèrent à la maison de Saint-Vincent de Laon, pour y faire cette troisième Probation que la Compagnie de Jésus réserve à ses enfants au milieu de leur carrière, et par laquelle elle achève de former en eux l’homme intérieur, avant de les admettre aux derniers vœux.

Saint Ignace a placé haut notre idéal, et, pour nous en approcher le plus possible, il n’a rien épargné. On s’est justement représenté ce saint fondateur « comme un ouvrier courbé avec ardeur sur son ouvrage pour le façonner et le perfectionner ; l’essayant, puis le reprenant pour le façonner encore et le refaire ; et ne le livrant à sa destination que lorsqu’il a épuisé toutes les ressources d’un art patient et laborieux [1]. »

Voilà donc, après de longues années consacrées en partie à l’étude, en partie à l’enseignement des sciences divines et humaines, le religieux, déjà prêtre et dans sa pleine maturité, appelé à une école plus élevée encore que celles qu’il vient de traverser : l’école du cœur, schola affectus ; le mot est ravissant et il est de saint Ignace lui-même, qui avait les entrailles d’un père aussi bien que le génie d’un législateur.

Donc, nouveau noviciat, autant dire nouvelle enfance par la simplicité du cœur et la docilité à se laisser conduire ; mais aussi mâle et forte école, qui exige dans les disciples une coopération active et spontanée au travail intérieur dont leur volonté est l’indispensable instrument et dont leur perfection religieuse sera le terme.

Au seuil de ce second noviciat, la grande retraite ; pendant trente jours encore les Exercices spirituels. Ce n’est plus cette fois le lait des enfants, mais le pain des forts. Avec quelle générosité le P. Clerc entra dans la voie qui lui était tracée ! Il la connaissait, faisant depuis longtemps une étude assidue des Exercices ; mais il n’avait garde de se diriger lui-même et de se fier à sa propre prudence.

Les notes que nous avons sous les yeux attestent son empressement à recourir aux lumières du Père Instructeur. Elles nous montrent aussi ses combats, sa fidélité à lutter contre la désolation et la sécheresse, au point de doubler l’heure de méditation s’il lui arrivait de n’y éprouver que trouble et anxiété ; enfin sa mortification extraordinaire, pour laquelle il obtint, cette année-là, une latitude qui lui avait été refusée lorsqu’il supportait les fatigues du professorat On lui permit de prendre la discipline tous les jours, excepté les dimanches et fêtes, et de jeûner trois fois la semaine. Il aurait voulu jeûner tous les jours.

Les reproches qu’il s’adresse (on fera bien de ne pas les prendre à la lettre) témoignent d’un ardent désir d’atteindre à une pureté d’intention aussi grande que possible, avec la grâce de Dieu.

Il se demande si les honneurs sont une fin digne de lui. « Les honneurs ? — Travaillerai-je encore pour être loué, pour qu’on dise que je suis habile et intelligent ou autre chose flatteuse ? Quelle récompense ! Vani vanam [2]. Mais cependant il faut réagir pour ne pas être alléché par la douceur de la louange. Le contentement de soi-même ? — Encore plus vain et plus dangereux. Je n’ai presque cherché autre chose. Trouver la paix et la joie intérieure dans son devoir est bon ; mais chercher sa satisfaction dans ses œuvres est mauvais et illusoire. Or, cela ne m’arrive que trop et, pourvu que j’aie rempli ma charge, je n’ai souci ni du service de Dieu ni du bien du prochain. Quelle vanité, puisque c’est là un travail sans fruit ; j’en suis le principe et la fin ; c’est une occupation, ce n’est pas un travail. Le pire serait de se complaire dans sa vertu. Grâce à Dieu, je ne crois pas être si insensé. J’ai là-dessus si peu de sujets d’illusion. »

Un peu plus loin il dit : « Quel profit ai-je tiré de tant de travaux, à la fin pénibles cependant ? Quoi !rien autre chose que de m’être oublié ? Ah !mon Dieu, que tout n’en périsse pas ! Et qu’en ai-je tiré pour les autres ? Que les fruits sont petits et rares ! Oh !si j’avais vivifié cette action par l’union avec Dieu, par la prière, par l’abnégation et en faisant usage de toutes choses pour la gloire de Dieu ! »

Il n’y a que les saints à se juger ainsi. Le Saint-Esprit n’a-t-il pas dit : Justus prior est accusator sui. Mais il ajoute aussitôt : Venit amicus ejus et investigabit eum [3]. Nous avons donc le droit de réviser le jugement si sévère que notre saint confrère portait sur lui-même.

L’ardeur de son amour pour Jésus-Christ éclate à propos des paroles du saint vieillard Siméon : Quia viderunt oculi mei Salutare tuum ! « Faites, je vous en supplie, ô mon Dieu, briller à mon âme cette lumière. Vous êtes le soleil, vous êtes la splendeur : que votre éclat dévore mes yeux, qu’ils ne puissent ensuite rien voir ; que tout autre amour soit éteint, tout désir étouffé, toute curiosité morte. Qu’est-il besoin d’apprendre et de connaître des choses nouvelles, pour celui qui connaît la vérité éternelle ? Qu’y a-t-il de beau et de séduisant pour celui qui a entrevu votre beauté ? Un seul rayon de votre gloire peut faire tout cela en mon âme. On peut vivre après, mais on est comme mort ; on voit sans voir, on entend sans entendre, ou mieux, on voit et on entend Jésus en tout et partout. »

Mais voilà que cette lumière pâlit à ses yeux. Il écoute, il n’entend rien ; aucune de ces paroles auxquelles on reconnaît l’accent du Bien-Aimé. La page suivante, dont je ne veux rien retrancher, est l’image fidèle d’une âme enflammée du désir de la perfection, mais en même temps humblement soumise à Dieu qui est maître de ses dons.

« Je demande avec une grande instance une vive lumière pour régler l’avenir, un sentiment profond du désir de servir Dieu par ce moyen ; il me semble que j’ai fait tout ce qui était possible pour l’obtenir, que je n’ai absolument rien négligé de ce qui était prescrit, recommandé, et de ce que je croyais de mon côté pouvoir faire : fidélité, prière, mortifications, je n’ai rien omis, et cependant je n’ai point obtenu cette grâce abondante. Elle est pourtant selon la sagesse chrétienne, puisque je ne demande que de connaître ce que Dieu désire de moi, et que c’est avec le plus vif désir et, je crois, avec une pleine bonne volonté que je dis : Quid me vis facere [4] ? Et encore ce désir, bon en soi, est aussi bon pour moi, qui en recevrais une si puissante excitation, une si forte impulsion. Oui, Seigneur, je demande une grâce de conversion qui fasse de moi, à partir d’aujourd’hui, un homme tout nouveau.

« Peut-être le Seigneur me répond-il :

« N’est-ce pas une grande grâce que je t’ai accordée de faire la grande retraite aussi bien que tu le pouvais ? N’en est-ce pas une autre que ce désir si vif que tu éprouves ? Qui biberit, sitiet adhuc [5].

« Veux-tu être rassasié, et ne sais-tu pas que ce serait un malheur ? Ne sais-tu pas ce que je désire de toi, et si tu le sais, pourquoi désires-tu plus de lumière ? Je t’en donne la mesure qui te convient. Je te veux voir marcher avec la lumière imparfaite que je te communique ; la foi est-elle donc sans obscurité ?en est-elle moins certaine pour cela ?

« N’as-tu pas pour te conseiller et te tranquilliser mon serviteur à qui je veux que tu t’ouvres naïvement ? N’est-il pas plus excellent pour toi que tu sois obligé de recourir à lui et de soumettre ton esprit, que si tu devais marcher dans la confiance ? Ne serais-tu pas exposé à marcher bientôt dans la confiance de toi-même ?

« N’est-ce pas l’ordre régulier et paternel de ma providence surnaturelle, et pourquoi réclamer une révélation qui n’est pas nécessaire ?

« Tu ne pourrais pas porter des grâces extraordinaires sans en tirer vanité, et c’est la première satisfaction à ta demande de corriger ton amour-propre, que de ne point lui donner l’aliment que tu réclames.

« D’ailleurs, n’as-tu pas assez de force pour marcher dans l’exécution de tes résolutions ?

« Elles sont bonnes, sages, prises dans la sincère intention de mon service et sous mon inspiration certaine quoique cachée ; pourrais-tu douter que je ne t’aide à les accomplir ?

« Tu espères beaucoup d’un grand mouvement d’amour que je te donnerais. D’abord ce mouvement serait passager, ensuite il laisserait encore nécessaires mes secours continuels.

« Ces secours qui seraient toujours nécessaires te seront aussi toujours suffisants ; je te les donnerai toujours.

« Tu veux les sentir. Mais sens-tu les secours par lesquels je soutiens tout ton être, toutes tes facultés, par lesquels je concours à tous tes actes ? Telle est ma conduite, très-forte et très-douce, aussi bien dans l’ordre de la grâce que dans l’ordre de la nature.

« D’ailleurs ton état d’âme depuis vingt-cinq jours n’est-il pas une grâce que tu peux assez facilement constater ? Est-ce un signe douteux de mon assistance ?

« Tu voudrais davantage ; mais, quand je te donnerais davantage, ne voudrais-tu pas recevoir encore plus ? Puisque tu sais que tu agis avec moi et par moi dans tes résolutions, cela te doit suffire, et tu dois t’en remettre aveuglément à mon amour (ce sera).

« Quelle plus belle devise pourrais-je te donner : « Pro corde meo, per ipsum cor meum, et cum ipso, et in ipso [6].

 

« D’ailleurs ton désir me plaît. Prie instamment mon cœur, celui de ma mère, et laisse-moi de t’exaucer quand il faudra. »

Tout pour le Cœur de Jésus, par ce Cœur, avec lui et en lui ; telle fut donc la devise du P. Clerc au sortir de sa grande retraite. Il n’était pas mal inspiré, se trouvant à l’école du cœur, de prendre pour maître, pour modèle et pour soutien le cœur de son Dieu. Le 29 novembre, entre les mains du Père Instructeur, il prononça un acte de consécration au Sacré Cœur de Jésus ; « ce dont je me réjouis dans le Seigneur, écrivait-il, rendant grâces mille fois à la bonté de Dieu et à la tendresse du Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » C’est sous les auspices de cet adorable Cœur qu’il mit ses résolutions. Elles ne consistaient en rien moins que dans cette parfaite abnégation où se résume toute la science des Saints et que saint Ignace nomme le troisième degré d’humilité. « Il ne peut y avoir de délibération, écrivait-il, sur ce qui est nécessaire ; il faut le vouloir fortement et l’exécuter quoi qu’il en coûte. Or cela se trouve pour moi renfermé dans le troisième degré d’humilité et dans la onzième règle du Sommaire ; et je veux l’avoir toujours présent sous les yeux. » Quant aux motifs de sa consécration au Sacré Cœur, je me borne à celui-ci :« Je crois que cette dévotion donne droit à une effusion immédiate du Sacré Cœur de Notre-Seigneur dans le nôtre. »

Quinze ans auparavant, faisant à Saint-Acheul sa première grande retraite, il avait pris ces mêmes résolutions généreuses ; son mérite et son honneur, c’est de les avoir renouvelées, en parfaite connaissance de cause, avec une sincérité qui éclate surtout dans le choix des moyens par lesquels il s’assure de l’exécution.

Il est facile d’imaginer comment il passa cette année vouée tout entière aux exercices de la vie intérieure et à des œuvres où le zèle ne se déploie que sous les formes les plus humbles. Le Père Instructeur admirait sa docilité parfaite, rendue plus méritoire par son âge. « Toujours, nous écrit-il, on le trouvait disposé non-seulement à exécuter les ordres qui lui étaient donnés, mais même à prévenir les désirs de ceux qui lui tenaient la place de Dieu. » Quant à ses confrères, ils étaient à la fois édifiés et charmés, et cette vertu, si austère au fond, leur a laissé à tous l’impression la plus douce. L’un d’eux nous écrit : « Il me fut donné de passer avec lui l’année qui a précédé sa mort glorieuse, la bonne année de la troisième Probation. Personne n’appréciait mieux que lui cette faveur que la Compagnie accorde à ses enfants. Vingt fois on l’a entendu se féliciter de ce qu’un vieux comme lui pût avoir une pareille année. Aussi était-il un modèle pour nous tous. Malgré ses cinquante ans, il avait toute la simplicité, je dirai même les grâces et l’amabilité de l’enfance religieuse. Comme un enfant, il demandait exactement toutes les petites permissions prescrites par la règle. Pour lui il n’y avait là rien de petit ; il savait, il pressentait peut-être que, par une abnégation continuelle dans les petites choses, il se préparait aux plus grandes choses, à l’apostolat, au martyre. On le trouvait toujours prêt à rendre service, et il semblait prendre plaisir à se charger d’une corvée, d’une besogne désagréable. D’une imagination vive et d’un caractère enjoué, il était très-aimable causeur et racontait à ravir. Personne, je crois, ne s’est jamais ennuyé de sa conversation qui unissait l’utile à l’agréable. Il avait des connaissances très-variées et joignait à beaucoup d’esprit un bon sens exquis qui savait apprécier sainement les choses. Faut-il ajouter qu’aux heures de récréation et de promenade on était heureux de se trouver auprès de lui ? Plein de charité pour les personnes, il était sans ménagement pour l’erreur, qu’il avait le don de découvrir sous n’importe quel déguisement. La rectitude de son jugement lui faisait abhorrer, comme d’instinct, ce mélange de principes appelé libéralisme catholique, et plus d’une fois je l’ai entendu stigmatiser ce regrettable système de conciliation aussi énergiquement que l’a fait depuis notre saint Père Pie IX, en disant que c’était un véritable fléau. »

On s’occupait peu de politique dans la maison de Saint-Vincent et l’on ne savait même que très-vaguement ce qui se passait au dehors. Cependant on ne pouvait ignorer le bruit qui se faisait autour du concile du Vatican, et, dans la prévision d’une lutte prochaine entre la révolution et l’Église, on pouvait n’être pas rassuré sur le parti que prendrait le gouvernement impérial, jaloux de rajeunir son prestige même au prix des alliances les plus compromettantes. Mais ils étaient bien rares, ceux qui voyaient là un péril et une menace pour la paix de l’Europe. Au mois d’avril 1870, on s’en souvient, sous le ministère libéral et pacifique de M. Émile Ollivier, tout était couleur de rose, et qui songeait encore aux points noirs qu’on avait vus apparaître à l’horizon au lendemain de Sadowa ? Le P. Clerc ne partagea pas l’illusion commune ; il pressentit l’orage prochain, et le prédit dès ce moment. Un de ses anciens camarades étant venu le voir à Saint-Vincent, on parla des différentes carrières où l’on pouvait engager les jeunes gens. Le Père se prononça pour la carrière militaire, et comme son ami montrait quelque hésitation, il lui dit : « Il y aura une débâcle. Quand et comment ? Je ne sais pas, mais certainement il y en aura une avant peu. » Sur quoi son interlocuteur ajoute : « Sans croire beaucoup moi-même à la stabilité de l’ordre de choses alors existant, je ne croyais pas entendre une prophétie qui dût être si tôt vérifiée. »

Quatre mois après cet entretien, non-seulement nous étions en pleine guerre, mais en pleine débâcle, battus coup sur coup à Wissembourg et à Reichshoffen, en attendant la catastrophe de Sedan. En pareilles conjonctures, la place du P. Clerc était dans les camps ou dans les ambulances ; on l’envoya d’abord à Cherbourg pour préparer les marins à la lutte en les réconciliant avec Dieu ; après quoi, on lui assigna son poste de dévouement et de péril à l’ambulance du collège de Vaugirard, qu’il ne quitta plus de tout le siège. Il y fut rejoint par son ancien commandant, maintenant Père de Plas, et tous deux recueillirent dans l’exercice de la charité ce qu’ils avaient semé ensemble pendant leur campagne de Chine.

Le P. Clerc dirigeait l’ambulance ; il en profita pour se faire le serviteur de tous et pour avoir sa bonne part des besognes les plus rudes et les plus mortifiantes. Alors on vit quels trésors d’abnégation il avait amassés pendant tout le cours de sa vie religieuse. J’en parlerai d’après des témoins oculaires qui, sans songer à l’observer, ne l’ont pas perdu de vue et sont encore sous l’impression des admirables exemples qu’il leur donnait tous les jours. Voici quel était régulièrement l’emploi de ses journées. A cinq heures et demie, il montait à l’autel, célébrait le saint sacrifice de la messe et, après son action de grâces, descendait à l’ambulance, où il commençait par réciter son bréviaire. Cela fait, il appartenait tout entier à ses chers blessés. D’abord il visitait les plus souffrants, les consolait, leur distribuait de petites douceurs, leur rendait en un mot tous les services que peut suggérer la charité la plus tendre. Puis il poursuivait sa visite, allant de lit en lit, disant à chacun un petit bonjour, s’informant des besoins du corps et parfois aussi de ceux de l’âme, toujours prêt à satisfaire aux uns et aux autres.

L’heure du repas arrivée, il récitait le bénédicité, auquel répondaient les pauvres blessés. Alors il prenait un tablier, se joignait aux servants, distribuait les légumes, la soupe, etc. ; puis, comme une tendre mère eût fait pour son enfant, il aidait à manger ceux que leurs blessures privaient de l’usage de leurs membres.

Quand il avait lui-même pris son repas, presque toujours c’était à l’ambulance qu’il venait passer sa récréation, au grand contentement des malades.

L’après-midi était la répétition de la matinée, et ce train de vie, cruel à la nature, se renouvelait tous les jours, à moins que, par suite de quelque engagement, le Père ne jugeât sa présence plus utile au dehors qu’à l’ambulance. Alors il allait administrer les mourants sur le théâtre même de l’action et relever les blessés qu’attendait l’omnibus du collège. On le vit, à Champigny et à Bagneux, s’exposer à un feu très-vif sans sourciller. A Bagneux, on se battait en plein village. Quand l’omnibus revint pour la seconde fois, il ne ramena pas le P. Clerc. Très-inquiet, le Père Recteur se fait sur-le-champ conduire là où il a disparu, au risque de tomber au milieu des ennemis, qui ont, dit-on, repris le village, emporté le matin par les Français qui battent maintenant en retraite.

On arrive, on parcourt avec anxiété le champ de bataille encore tout fumant. Quelle n’est pas la surprise et la joie du Père Recteur et de ses compagnons, lorsque, après un quart d’heure de recherches, ils trouvent le P. Clerc assis sur une pierre, et là récitant son bréviaire aussi tranquillement qu’il eût pu le faire dans sa chambre !

Quand les blessés arrivaient à l’ambulance, il étanchait lui-même le sang de leurs blessures et lavait avec une éponge leurs membres meurtris et ensanglantés. Il leur lavait aussi les pieds, heureux d’imiter en cela son divin Maître, non par manière de cérémonial, mais par des actes réitérés où l’humilité et la charité avaient pour compagne inséparable une mortification très-méritoire. Il les changeait de linge, de draps, n’épargnait aucune peine pour leur procurer quelque soulagement et faisait lui-même, plusieurs fois le jour, le pansement des plaies les plus répugnantes.

Quel n’était pas l’attendrissement de ces pauvres gens ! Il faudrait avoir un cœur de bronze pour résister à tant de charité, et, grâce à Dieu, nos soldats ne sont point ainsi faits. On nous cite un d’eux, Renaudin, enfant de Paris et forgeron de son métier. Engagé seulement depuis quinze jours, il eut, à Champigny, la cuisse fracturée. Il resta sept ou huit heures gisant sur le champ de bataille. Le P. Clerc prit de lui un soin tout particulier et le fit approcher plusieurs fois des sacrements. Il n’était service si abject qu’il ne lui rendît. « Vous ne savez pas, dit un jour le malade à un Père, vous ne savez pas comme le P. Clerc est bon ? Il m’a fait ce que mon propre père n’aurait jamais fait. » L’émotion le gagnait, il ne pouvait continuer son repas commencé, et, ne sachant comment s’exprimer, il répétait en pleurant : « Si vous saviez comme je l’aime ! » Il est mort peu de jours après dans les meilleurs sentiments.

Le P. Clerc confessait presque seul les deux cents malades de l’ambulance. Le samedi et les veilles de fêtes, il les exhortait à faire acte de chrétiens, et on les voyait aller un à un s’agenouiller à ses pieds où ils recevaient le pardon. Le dimanche, attentif à leur faire entendre la messe, il disposait tout de manière à leur rendre ce devoir facile et même agréable. Au milieu de tant de sombres journées arriva la nuit de Noël, et elle s’illumina tout à coup, dans la chapelle du collège, d’une clarté qui semblait à jamais disparue et qui causa la plus douce surprise aux pauvres victimes des fureurs de la guerre. Grâce au concours d’un certain nombre d’élèves, qui fréquentaient encore la maison comme externes et auxquels on avait eu soin de préparer des lits, la messe de minuit fut célébrée avec une solennité tempérée, mais fort inattendue en ces tristes conjonctures, et on y entendit des chants accompagnés d’orgue, de violoncelle et de flûte. Outre les amis généreux dont l’ingénieuse charité multipliait les ressources et presque les agréments de l’ambulance, on remarquait dans l’assistance M. l’amiral de Montaignac, qui commandait le quatrième secteur et avait son quartier général au collège, le fils de l’amiral et plusieurs officiers de son état-major. Au moment de la communion, les élèves, par un sentiment délicat, cédèrent spontanément le pas aux soldats qui avaient eu l’honneur de verser leur sang pour la France. Ce ne fut pas sans attendrissement qu’on vit le P. Clerc s’avancer vers la table de communion entre deux jeunes gens de dix-huit ans, fort affaiblis par leurs blessures, qui s’appuyaient sur ses bras. Les autres infirmes, retenus par la gravité du mal sur un lit de douleur, ne furent pas frustrés de la céleste nourriture ; ils ne pouvaient pas venir s’agenouiller au pied de l’autel, mais Notre-Seigneur alla lui-même à eux, précédé du long cortège de leurs camarades qui marchaient en bon ordre, sur deux rangs, le cierge à la main ; et quand fut terminée la touchante et pieuse cérémonie, tous ces cœurs de jeunes gens et de soldats ne faisaient plus qu’un, et rien ne manquait à la sérénité miraculeuse de cette nuit où la paix du ciel avait été donnée encore une fois aux hommes de bonne volonté.

Tels sont les souvenirs de l’ambulance de Vaugirard. On nous dit encore que, malgré les froids extraordinaires de ce cruel hiver, le P. Clerc ne voulut jamais allumer de feu dans sa chambre ; que, pendant toute la durée du siège, il ne se donna ni un jour ni une heure de répit, ne sortant jamais que pour aller porter secours aux mourants et aux blessés. Ces détails, bien incomplets sans doute, n’en donnent pas moins l’idée d’une vertu peu commune, et ceux qui nous les ont transmis ont soin d’ajouter : « Ne nous doutant pas qu’il fût un élu du Seigneur pour le martyre, nous n’apportions pas une aussi grande attention à ses actions, pleines d’abnégation cependant ; et puis, il était si humble qu’il trouvait toujours le moyen de les faire passer inaperçues. » N’est-ce pas là précisément ce qui les rendait plus saintes et plus précieuses devant Dieu ?

Il ne sortit de l’ambulance de Vaugirard que pour aller à l’école Sainte-Geneviève se préparer, par une retraite de huit jours, à prononcer ses derniers vœux, dont la solennité venait d’être fixée au ier mars.

Ce fut sa dernière retraite. Après que le flot de la Commune eut passé, on retrouva dans sa chambre, occupée pendant deux mois par les fédérés, quelques feuilles, dédaignées par eux et portant encore l’empreinte de leurs talons, où notre bien-aimé frère avait mis par écrit ses pensées, ses résolutions, jusqu’à la veille de sa profession solennelle.

Quelle humilité dans les reproches qu’il s’adresse sur les six mois qui viennent de s’écouler et pendant lesquels il a fait l’admiration de ceux qui l’ont vu à l’œuvre tous les jours ! « Pourquoi, dit-il, n’ai-je pas mieux réglé et disposé ma vie pendant mon emploi à l’ambulance ? Quel changement ne se fait-il pas en moi !quelle inconsistance ! Comment ai-je tenu mes résolutions de troisième an ? En vérité je suis honteux et presque surpris. »

Puis, faisant allusion à un entretien avec le P. Ducoudray qui seconde son amour de l’humiliation et le confirme dans les bas sentiments qu’il a de lui-même :« Le désordre de mes actions n’est pas, comme le dit le bon Père Recteur, le non-ordre. Au contraire, tout, dans ma vie, a son ordre, sa place, les heures, les choses. Tout est prévu, ordonné, ou par les règles, ou par l’emploi, ou par le supérieur, ou par l’élection ; il reste, quand on a fait la part de tout cela, très-peu de chose. Ce n’est pas la non-subordination et la non-discipline d’un troupeau de mobiles ; c’est l’insubordination et l’indiscipline d’une troupe formée, et le désordre s’introduit dans ma vie, non pas faute de règle ni faute de connaissance, mais par la lassitude et la contrainte de la pratique et par la nonchalance et l’inapplication des chefs, c’est-à-dire de ma volonté. » Nous savons heureusement qu’en pareille matière, il ne mérite pas d’être cru sur parole.

Je cite enfin la dernière page, inspirée par la méditation des deux Étendards.

« Notre-Seigneur nous présente sa croix en nous disant : In hoc signo vinces[b]. On peut s’imaginer le discours qu’il nous tient en nous la présentant : « Ces mépris qui te font tant d’horreur, ne les as-tu pas mérités par tes péchés ? Et quand tu t’es offert à tout souffrir pour les expier, en as-tu excepté la honte qui en est le juste salaire ?

« Qu’est-ce qui t’est dû pour tes mauvais penchants, pour tes faiblesses et tes défaillances ? OU sont tes mérites et tes vertus, tes services, tes grandes actions ? Ne veux-tu pas que toute justice s’accomplisse ? N’as-tu pas besoin d’être ainsi contenu à ta place, et ne faut-il pas dompter ta vanité et ton orgueil ?

« Ne faut-il pas que tu t’abaisses devant Dieu ?et c’est ce que tu fais en t’abaissant devant l’outrage qu’il t’envoie par les hommes. Ne veux-tu pas lui rendre un culte digne de lui ? Fais quelque chose de grand pour son honneur. Ne veux-tu pas m’imiter ? Enfin c’est ma voix qui te presse, c’est ma main qui te présente la croix, je l’ai portée avant toi et je l’ai fait pour t’encourager et te montrer l’exemple. Je te la donne : comme elle est mon triomphe et ma gloire, elle sera aussi les tiens. Et comme elle est le gage de mon amour a pour toi, elle le sera de ton amour pour moi.

« O crux ! O bona crux ! [7] »

Animé de ces sentiments de profonde humilité et d’amour passionné pour Jésus crucifié, il fit sa profession solennelle le dimanche 19 mars, fête de saint Joseph, entre les mains du P. Ducoudray, recteur de l’école Sainte-Geneviève, dont le sang allait se mêler au sien dans l’immolation du 24 mai.

Déjà la Commune était sur pied. Les pieux amis qui prirent part à cette fête intime, célébrée dans la matinée du dimanche, eurent quelque peine à regagner leur demeure à travers les barricades qui se dressaient sur les flancs de la montagne Sainte-Geneviève pour interdire l’accès du Panthéon aux troupes régulières. La veille, les assassins des généraux Lecomte et Clément Thomas avaient préludé dans la rue des Rosiers aux exécutions sommaires de la Roquette et de la rue Haxo.

Malgré les agitations de la rue et l’incertitude du lendemain, le fervent religieux passa les semaines suivantes dans le plus grand recueillement et se mit en devoir de préparer le cours de mathématiques spéciales dont il venait d’être chargé. Après diverses combinaisons qui échouèrent, on avait décidé que l’ouverture des classes, empêchée par l’insurrection, se ferait le 12 avril, à la maison de campagne d’Athis. Resté à Paris en attendant qu’on eût besoin de lui, le P. Clerc augurait mal de ce qui se passait sous ses yeux : l’indiscipline des troupes, dont il avait été si souvent témoin pendant le siège ; la faiblesse du gouvernement, qui doutait de son droit à pareil moment, la démoralisation, le défaut d’entente, le manque de conviction et d’énergie des honnêtes gens, tout cela l’attristait profondément, et il était de ceux qui ne se faisaient aucune illusion sur la gravité du mal dont nous étions atteints bien avant qu’il éclatât par la désorganisation des pouvoirs publics. On l’entendait dire quelquefois : « Moriamur in simplicitate nostra [8]… Il n’y a plus qu’à mourir ; il n’y a plus place ici-bas pour les honnêtes gens. » Le ton enjoué qui accentuait ces paroles n’en dissimulait nullement l’amertume.

Vers la fin du mois, une personne dévouée qui n’avait pu assister à la cérémonie du 19, vint lui faire une visite d’excuse et de politesse. Comme elle avait dû traverser pour arriver jusqu’à lui plusieurs barricades : « Mon Père, lui dit-elle, n’avez-vous point peur pour vos maisons et vos personnes à Paris ? — Si fait, madame, répondit-il ; j’ai d’autant plus peur que Paris est plus coupable ; il aurait besoin d’être purifié par le sang. Le bon Dieu devrait bien prendre le sang de quarante d’entre nous. »

Il ne marchandait pas, comme on voit, et supposait aux autres la sainte ardeur du sacrifice dont il était consumé. Dieu peut-être n’a pris des victimes de choix que pour en restreindre le nombre sans diminuer la valeur de l’holocauste. Qui sait cependant ?...

« Deux jours avant son emprisonnement, dit un de ses collègues de l’école Sainte-Geneviève, j’ai été frappé de sa persistance à se tenir dans sa cellule, et mon impression fut que, prévoyant dès lors que sa vie était en danger, il se félicitait d’avoir à l’offrir à Dieu. Je l’invitai à prendre des précautions ; sa réponse me donna lieu de croire qu’il désirait faire le sacrifice de sa vie. »

Au fait, il avait toujours eu ce désir, peut-être même avec la prévision du genre de mort qui lui était réservé.

Énumérant tout ce que nous devons accepter de grand cœur, pour répondre à l’esprit vraiment militaire de la Compagnie de Jésus, il écrivait : « Un poste périlleux, ennuyeux, — brillant… obscur, — les balles… la maladie. »

Et il s’était persuadé que Dieu lui épargnerait l’épreuve de la maladie.

Restaient donc les balles. Mais au moment où il jetait ces mots sur le papier (novembre 1869), qui aurait prévu la Commune de 1871 et la fusillade de la Roquette ?

 

 



[1]Le P. de Ravignan, de l’Existence et de l’Institut des Jésuites. Chap. II, § 3. Troisième Probation.

[2]Ceux qui sont vains ont reçu une récompense vaine.

[3]Proverbes, xviii, 17.[a]

[4]Que voulez-vous que je fasse ? Paroles de saint Paul au moment de sa conversion. Act. ix. 6.

[5]Celui qui boira aura encore soif.

[6]Pour mon cœur, par mon cœur, avec lui et en lui.

[7]C’est la salutation qu’adresse l’apôtre saint André à la croix sur laquelle il va mourir. Le P. Clerc répétera ces paroles à Mazas en saluant les murs de sa cellule.

[8]Mourons dans notre simplicité.[c]

 

Notes additionnelles :

[a] « On donne raison au premier qui plaide, que survienne un adversaire, il le démasque. »

[b] In hoc signo vinces est une locution latine traduite du grec ancien « ἐντούτῳνίκα », qui peut se traduire ainsi : « Par ce signe, tu vaincras ».

[c] Macchabés I, 2,37 : « Moriamuromnes in simplicitate nostra,  / Mourons tous dans notre droiture, ».

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