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14/03/2021

L’ÉGLISE DU JÉSUS. TRANSLATION DANS LA CHAPELLE DES MARTYRS. (5e et dernière partie)

Voir la 1ère_partie, la 2e_Partie, la 3e_partie et la 4e partie (en cliquant sur les liens).

L’ÉGLISE DU JÉSUS.

translation dans la chapelle des martyrs.

(5e partie)

Souvenir_du_25e_anniversaire_Eglise du Gesu.jpg

Relation de la guérison du jeune André des Rotours.

Lettre de la Mère de la Présentation, religieuse Carmélite,
à Mme la Baronne des Rotours, mère de l’enfant.

  1. M. J.

19 avril 1872.

« Ma bien chère Marie,

« Jésus.

« Parce que vous étiez agréable au Seigneur il fallait que l’épreuve vous visitât. Ne puis-je pas, chère amie, vous adresser cette parole de l’Ange à Tobie. Parce que Dieu vous aime il vous donne part à sa croix. Ah ! je comprends combien vous devez souffrir, tout ce que votre cœur ressent d’angoisses et de déchirements en voyant votre cher enfant atteint de cette maladie et cloué sur son lit. Mais, chère Marie, si les soins que vous lui donnez n’apportent que peu d’amélioration à son état, il faut, comme vous le dites si bien, élever notre pensée plus haut et recourir à Dieu, qui peut tout et qui souvent nous éprouve pour exciter notre foi, augmenter notre confiance et nous attirer à lui plus fortement.

« Avez-vous entendu parler des grâces obtenues sur le tombeau des derniers martyrs de la Compagnie de Jésus ? Je joins à ma lettre un fil du gilet de flanelle que le bon P. Caubert portait dans sa prison, il y a un an à pareille époque.

« Si vous voulez, nous commencerons une neuvaine mardi prochain, pour la terminer le mercredi 1er mai. Chaque jour, nous dirons un Pater, un Ave et trois fois cette invocation : « Bienheureux martyrs de Jésus, priez pour nous. » En récitant le Pater, dites avec grande foi ces paroles ; « Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite... » C’est-à-dire que la guérison de votre enfant serve à faire mieux connaître notre bon Maître et qu’il règne plus parfaitement sur nos cœurs. Si, le dernier jour de la neuvaine, votre petit André pouvait être porté sur le tombeau des Pères, je vous engagerais à le faire. Grande confiance, chère Marie, il vous sera donné selon la mesure de votre foi. Prions de tout cœur et abandonnons-nous au bon Maître pour qu’il fasse de nous ce qu’il voudra. Si nous ne sommes pas exaucés à la fin de la neuvaine, vous me le direz, nous en recommencerons une autre ; il faut de la persévérance pour obliger ces bienheureux martyrs à guérir votre petit André, au plus tard le 24 ou 26 mai, anniversaire de leur triomphe au ciel.

« Adieu, chère amie, en Lui je vous reste bien intimement unie.

« Marie A., de la Présentation. »

Je certifie que ceci est la copie exacte de la lettre que la Mère de la Présentation (Marie de Bellefond) a adressée à Mme la Baronne des Rotours, née Perrot de Chézelles, mon épouse.

Signé : Baron A. des Rotours.

 

Relation des parents.

Le bon Dieu nous a donné notre plus jeune fils le mercredi saint, 16 avril 1862 ; il a reçu le baptême le jeudi saint. Nous lui avons donné les noms de Marie-Prosper-André. Sa santé était excellente, doux, simple, très gai, d’une piété ferme plutôt que tendre, il se développait rapidement, lorsqu’au cours de l’année 1871, survinrent quelques raideurs articulaires qui furent attribuées à de simples rhumatismes. C’était le premier indice, méconnu par des médecins de campagne, de la grave maladie qui devait éclater en février 1872, et atteindre son paroxysme le 27 avril.

L’enfant fut confié aux soins du docteur Bouchut, médecin de l’hôpital des Enfants. L’application de plaques métalliques dissipa pendant quelques jours l’immobilité intermittente des bras et des jambes ; mais ce moyen empirique s’usa bientôt. Le principe du mal fut combattu par le bromure de potassium ; ce médicament ne produisit aucun effet : les accidents des bras et des jambes se multiplièrent ; des mouvements tétaniques survinrent. Le 13 mars, le sirop de belladone fut substitué au bromure de potassium ; des bains de Barèges, puis de sel de Pennès furent prescrits. Le 16 mars, l’enfant prend le lit pour ne plus le quitter jusqu’au samedi 30 mars. Les contractions s’emparent de lui à son réveil et ne cessent que le soir vers huit heures ; quelquefois les deux jambes sont frappées d’immobilité en même temps que les deux bras. Les applications de cuivre ont un bon résultat pour les mouvements tétaniques des pieds et des mains ; mais jamais, si ce n’est pendant quelques minutes dans le bain, la contraction ne cesse. Le docteur recourt à une purgation pour dégager, dit-il, les enveloppes de la moelle. Il dilate la pupille de l’œil à l’aide d’une pommade de sulfate d’atropine, et il reconnaît l’existence d’une congestion. Il emploie tous les jours comme révulsifs des demi-bains de sel de Pennès à quarante degrés. Le mal persiste.

Le 30 mars, le sirop de belladone est abandonné ; le docteur Bouchut prescrit l’hydrate de chloral (cinq grammes dans cent cinquante grammes de sirop de groseilles) ; l’enfant devait en prendre deux cuillerées à bouche par jour. Sous l’influence de ce médicament, une amélioration de quelques jours est obtenue : le 6 avril, le mal reprend avec une nouvelle violence ; le visage d’André se couvre par moments de plaques écarlates. Le 9 avril, l’enfant perd la vue pendant une heure ; la privation de la vue est complète. Le lendemain dans la journée, perte de l’ouïe pendant un quart d’heure : la dose de chloral est augmentée en présence de cette aggravation du mal (deux grammes et demi par jour). Le vendredi 12 avril, vers huit heures du soir, survient une crise d’une extrême violence, pendant laquelle nous avons craint que le sacrifice de notre enfant nous fût demandé par le bon Dieu ; dans ses mouvements convulsifs, l’enfant se briserait s’il n’était entouré d’oreillers ; sans pouvoir se contenir, il frappe sans cesse autour de lui. « Éloignez-vous, dit- il, je vous ferais mal, c’est plus fort que moi ». D’affreuses palpitations de cœur l’oppressent. Pendant une courte prière, le pauvre petite malade porte plusieurs fois ses regards sur le crucifix ; il avait vainement tenté de faire le signe de la croix. Cette horrible crise dura deux heures ; quand le docteur, si impatiemment attendu arriva, André était endormi. Dans cette visite, la préoccupation du médecin fut manifeste. Il suspendit le chloral et prescrivit l’assa-fœtida et des bains de tilleul.

Le 13 et le 14 avril, des bandes de sinapismes sont appliquées des deux côtés de la colonne vertébrale, aucune amélioration ne fut obtenue, et le docteur nous disait : « Vous avez la mauvaise chance d’avoir là une maladie exceptionnelle, à un degré de gravité exceptionnel. » Le sommeil était troublé par des rêves pénibles. Pour combattre les contractures permanentes, l’amaurose et la surdité intermittentes, accidents que le médecin attribuait à une congestion de la moelle épinière, un vésicatoire volant fut posé sur la colonne vertébrale dans toute sa longueur, Le 15 avril on employa un nouveau remède et sans plus de succès : le sulfate de quinine.

Nous étions profondément inquiets et malheureux ; nous courûmes à Notre-Dame des Victoires ; nous demandâmes une messe pour cette guérison dont l’espoir semblait se perdre. Nous recommandâmes ce cher enfant aux prières du Carmel. La Mère de la Présentation nous proposa alors une neuvaine de prières : un Pater, un Ave et trois fois l’invocation suivante appliquée aux cinq Pères Jésuites, martyrs de la Commune : Bienheureux martyrs de Jésus, priez pour nous.

Le dimanche 21 avril, un second vésicatoire fut posé le long de la colonne vertébrale ; ce remède échoua comme tous les autres. La neuvaine commença le mardi 23 avril ; elle était faite avec nous par quelques jeunes prêtres qui avaient catéchisé nos enfants, des catéchistes actuels du séminaire de Saint-Sulpice, la communauté de l’Abbaye-aux-Bois, deux autres maisons de la Congrégation de Notre-Dame, le Sacré-Cœur, de pieux parents et amis. La Mère de la Présentation avait bien voulu engager dans cette sainte ligue de prières, non-seulement la maison de la rue d’Enfer, mais trois autres monastères de l’ordre.

André faisait la neuvaine avec beaucoup de piété et de recueillement ; son état s’aggravait encore ; ses jambes se refusaient absolument à le porter ; on ne pouvait le sortir du bain sans qu’il ne s’affaissât sur lui-même. « Je m’écroule, » disait-il. En le remuant on déterminait presque toujours la cécité ou la surdité. Le 25, au sulfate de quinine on substitue l’emploi de la belladone, sous forme de pilules.

Le samedi 27, le docteur voulut que l’enfant fut posé debout devant lui ; il fit un appel énergique à sa volonté ; mais à plusieurs reprises, André s’affaissa. « C’est le développement de la maladie, » nous déclara le docteur. Il partit visiblement préoccupé.

Les évacuations étaient supprimées depuis trois jours ; et des maux de tête très-violents nous faisaient craindre une crise.

Cependant la confiance d’André dans la neuvaine était si ferme que, dans la journée du samedi 27, il parlait de l’ex-voto qu’il faudrait mettre en action de grâces, s’il obtenait sa guérison.

Le lendemain dimanche une messe devait être dite pour ce cher enfant à l’autel des martyrs du Jésus (rue de Sèvres, 35), par M. l’abbé Lefèvre, jeune prêtre attaché à l’École Fénelon, qui, séminariste, avait été chef du catéchisme de première communion de notre fils aîné. André nous demanda à être porté à cette messe. « Quand je ne verrais pas, que je n’entendrais pas, quand mes bras et mes jambes seraient immobiles, il faudrait m’y porter, dit-il. »

Il fut un instant question d’ajourner l’accomplissement de son pieux désir jusqu’à la messe du dernier jour de la neuvaine, le mercredi 1er mai. « Mais c’est dimanche demain, reprit l’enfant, j’aurai ma messe du dimanche ; et si je suis guéri, je servirai mercredi la messe d’action de grâces. »

La nuit du 27 au 28 fut comme les autres troublée par des cauchemars. À cinq heures du matin le dimanche 28, André se réveille, et selon son habitude pendant toute sa maladie, il fait aussitôt sa prière ; une de ses jambes se contracte immédiatement.

À sept heures, on l’habille étendu sur son lit. À grand’peine on le transporte en voiture à la chapelle du Jésus. Il entre couché sur les bras ; son visage est pâle et porte l’empreinte de sa cruelle maladie. Les jambes enveloppées dans une couverture, il est déposé sur deux chaises devant les tombes des cinq Pères ; ses pieds reposent sur un coussin. Nous nous plaçons à sa droite et à sa gauche. – Un peu plus loin, notre fille mariée. – Derrière le malade, une pieuse cousine, la vicomtesse de Viart, éprouvée par de grands malheurs, et notre vénéré beau-père et père, M. Perrot de Chezelles, conseiller honoraire de la Cour de cassation.

C’était le moment de l’élévation de la messe de sept heures et demie. André incline la tête : ses jambes restent immobiles. La sainte communion est apportée tout près de lui ; il tente de faire un mouvement. Il ne peut réussir à plier ses jambes étendues.

La messe de huit heures commence, servie par notre fils Jules. Cet enfant de douze ans, qui a fait sa première communion depuis deux ans déjà, avait la même confiance que son frère dans le succès de la neuvaine.

Pendant les prières dites au bas de l’autel, rien dans l’attitude, rien sur le visage d’André ne faisait pressentir ce qui allait se passer. Il répétait tout bas, très-simplement, avec un grand calme, le Pater, l’Ave, et la triple invocation de sa neuvaine.

Le prêtre monte à l’autel, il le baise, et il ressent une impression très-vive, très-profonde, – que nous n’avons connue que plus tard, – en disant ces paroles : Oramus te, Domine, per merita sanctorum tuorum quorum reliquiæ hic sunt. – À ce moment André nous dit : « Mes jambes ne sont plus prises. » Il écarte doucement sa couverture, et il se lève,... nous tendons les mains pour le soutenir. — « Non, je puis bien me tenir, nous dit-il, je suis guéri. » Un instant il se tint ferme sur ses jambes, puis il s’agenouille, il était guéri !

Très-émus, n’osant pas croire encore à la grâce immense qui nous est accordée, nous disons bientôt à l’enfant : « Pas d’imprudence !... » Et sur notre invitation, très docilement, immédiatement il se remet debout, puis il s’asseoit. Et comme on l’engageait à s’étendre de nouveau : « Oh non ! reprit-il, je suis guéri. » Au Sanctus, à l’Élévation, à la Communion, il se lève et s’agenouille sans effort, sans aucune gêne, sans aucune faiblesse. La messe s’achève au milieu de la vive émotion des assistants. Le prêtre la partage, quand à l’Orate fratres, à la Communion, il voit André debout ou agenouillé. Jules, le petit servant de la messe, ne paraît nullement étonné. Sans connaître les détails du grand événement, il dit au prêtre dans la sacristie : « André est guéri. » Après un quart d’heure d’action de grâces pour la sainte communion que nous avions faite en famille et pour la guérison instantanée que nous venions d’obtenir, nous nous disposons à quitter la chapelle. André nous précède, et, craignant qu’on ne veuille le soutenir, il sort en courant. Sur son gai visage, la pâleur a fait place aux couleurs brillantes de la santé ; aucune trace de souffrance ne reste sur ses traits qui ne parais sent plus même amaigris : il a soudainement recouvré toute l’agilité qu’il avait avant sa maladie.

Sans transition, sans convalescence, la santé et la force lui ont été rendues dans leur plénitude. Ses pieds, qui depuis trois semaines n’avaient pu se poser, ne ressentent aucun engourdissement. Une heure auparavant si gravement malade, si affaissé, si brisé ou si raide, après avoir passé un mois de suite dans son lit, après avoir subi un traitement si énergique, il n’éprouve ni étourdissement, ni étonnement.

« On nous suit à la sortie de la chapelle ; on nous entoure dans la rue. Le visage de notre vénéré beau-père et père en est inondé de larmes.

« C’est en courant aussi que notre enfant rentre dans la cour de la maison que nous habitons, et, dans notre appartement, les domestiques le regardent tout pâles d’émotion.

« André passe une partie de cette journée bénie entre toutes nos journées, à courir, à sauter, à jouer dans notre jardin. Il fait deux parties de croket avec son frère, sa sœur et une amie de celle-ci, Marie-Thérèse Debonnefoy de Montbazin.

« On le surprend faisant de la gymnastique, suspendu au trapèze. Quand nous lui disons de se reposer, il nous répond : « Pourquoi ? puisque je suis guéri ; vous ne croyez pas au miracle. » Et quelquefois il ajoutait avec une douce malice : « Prenez garde, si vous ne croyez pas au miracle, il s’en ira. »

« Quand par obéissance il s’assoit et s’étend même un peu, il lit dans un livre d’historiettes intitulé : « Les exilés de la forêt. »

« Les fonctions intérieures, supprimées depuis quatre jours, se rétablissent.

« Vers quatre heures, nous revenons au Jésus avec notre cher guéri. Il monte lentement deux étages pour se rendre à la chambre où sont conservés les vêtements des cinq Pères massacrés sous la Commune, des objets qui leur ont servi ou appartenu. Il assiste au salut de cinq heures avec un grand recueillement, insistant pour l’entendre tout entier à genoux, ne s’asseyant que par obéissance. Il revient à pied.

« Le soir, un vicaire de Saint-Sulpice, M. l’abbé Vasseur, averti de la grande nouvelle, vient embrasser son petit pénitent. Il lui donne des scapulaires du Carmel et de l’Immaculée-Conception. André est tout joyeux de les recevoir... Il les avait demandés plusieurs fois pendant sa maladie. Avec lui, son grand-père reçoit cette double livrée de la sainte Vierge.

« Le sommeil de la nuit suivante est profond et calme. Le 29, en se réveillant à sept heures, l’enfant ne ressent aucun malaise, aucune fatigue. Il se lève, et avant neuf heures il prend une leçon. Il a repris ses travaux, comme ses jeux, sa vie ordinaire.

« Vert quatre heures, le docteur Bouchut vient faire sa visite ; son malade de l’avant-veille court au-devant de lui avec une robuste apparence de santé. Le médecin en apprenant qu’aucun accident n’est survenu depuis plus de trente heures, déclare que le principe du mal n’existe plus. Sur notre récit, il admet que ce résultat dont il se montre sincèrement joyeux, s’est produit à la chapelle du Jésus. Il ne fait plus aucune prescription. Il interdit même toute espèce de remède intérieur ou extérieur. Il paraît vivement frappé du contraste entre l’état actuel et celui qu’il a constaté le samedi 27. Et, quand nous lui parlons des inquiétudes que nous éprouvions, il nous fait une sympathique réponse qui ravive encore notre reconnaissance envers le bon Dieu : « Je comprends bien que vous fussiez inquiets. Je pensais bien souvent à votre pauvre enfant. »

« Le mercredi 1er mai, dernier jour de la neuvaine, la messe de sept heures et demie dite à l’autel des Martyrs, par le R. P. Bazin, était servie par nos deux fils, Jules et André.

« Le jeudi 2 mai, dans la journée, le médecin revint pour s’assurer de la persistance de la guérison. Il ne trouva pas André qui faisait une grande promenade. Il interdit de nouveau toute médication.

« Le temps, qui était beau depuis quelques jours, changea tout à coup. L’humidité, le vent, la pluie, les imprudences même de l’ex-malade ne portèrent aucune atteinte à la guérison. L’enfant s’échauffa en bêchant dans le jardin : il se refroidit et s’enrhuma, sans éprouver le plus léger ressentiment de sa longue et tenace maladie.

Elle a été d’un seul coup, en un seul instant, déracinée le dimanche 28 avril, à huit heures un quart du matin.

« Telle a été l’opinion du médecin après un dernier examen d’André, le mercredi 8 mai. En nous félicitant de nouveau de l’heureux et subit dénouement de la maladie, au plus fort de son développement, dans sa plus grande gravité, il nous a assurés qu’il ne subsistait même plus de prédisposition au retour du mal. Non-seulement il n’a prescrit aucun remède, mais il n’a conseillé aucun régime d’eaux ou autres, aucune précaution à prendre. C’est la guérison la plus radicale comme la plus soudaine.

« Par une lettre en date du mercredi soir, 8 mai, nous avons demandé à l’honorable docteur Bouchut de vouloir bien certifier par écrit la nature de la maladie, sa guérison, l’état du samedi 27 et celui qu’il a constaté le lundi 29. Voici la réponse que nous avons reçue de M. le docteur Bouchut le lundi soir 13 mai.

« Monsieur,

« Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire en donnant des soins à votre cher enfant, sa maladie était une affection nerveuse que l’on appelle contracture des extrémités ou tétanie. Elle durait depuis deux mois, et elle avait produit un affaissement considérable avec amaurose et surdité intermittentes, ce qui rendait la situation très-périlleuse. J’ai été aussi heureux que vous de la voir disparaitre en quelques heures sans laisser de traces, et en promettant un retour complet à la santé.

Agréez, Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.

« Bouchut. »

« L’état d’André dans les jours qui se sont écoulés depuis le dernier examen du médecin confirme surabondamment les constatations de la science. Accidentellement exposé au froid, à une pluie torrentielle, à la fatigue, il s’est maintenu dans la plénitude de santé qui lui a été instantanément rendue le dimanche 28 avril devant les tombes du R. P. Olivaint et de ses quatre compagnons.

« Il a été guéri là. Dans notre conviction intime il a été guéri par Dieu seul, quand tous les remèdes avaient échoué, quand son état était désespéré. Et il sera gardé à jamais dans notre famille le souvenir du jour, de l’heure, du lieu où le bon Dieu a donné une seconde fois la vie à notre enfant.

« Paris, 16 mai 1872.

« Signé : Baron A. des Rotours,

« Substitut au tribunal de la Seine.

« Baronne des Rotours,

« née Perrot de Chezelles. »

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Relation de l’enfant.

Souvenir du 28 avril 1872.

« Il y a deux mois que j’étais malade, quand une Carmélite, que maman connaît, lui a donné l’idée de faire une neuvaine aux cinq Pères Jésuites massacrés dans la Commune. Le samedi 27, j’ai bien demandé à papa et à maman de me conduire à la chapelle des bienheureux martyrs de Jésus, parce que j’étais presque certain que j’y serais guéri, et puis, je désirais bien entendre la sainte messe du dimanche, que M. l’abbé Lefèvre devait dire pour moi. Dimanche matin on m’a habillé sur mon lit, on m’a étendu dans une voiture. En arrivant, j’étais bien fatigué. On m’a posé étendu sur deux chaises avec un coussin et une couverture. Je suis arrivé quelques instants avant l’élévation de la messe d’avant. J’ai bien prié les Martyrs de demander ma guérison à Jésus et à Marie, pour faire plaisir à papa et à maman, pour manifester leur sainteté. Je pensais que cela ferait du bien et que Jésus est si bon qu’il ne refuserait pas le bien de ses âmes. Mais au moment où M. Lefèvre baisait l’autel je me suis senti guéri... J’ai bien remercié le bon Dieu, la sainte Vierge et les saints Martyrs.

« Dans la journée, j’ai pris trois résolutions, de bien aimer le bon Dieu, de bien travailler, de bien obéir.

« André des Rotours, »

29 avril 1872

En présence de ces faits multiples et notables, de tous ces témoignages de la terre et du ciel, l’heure semblait venue pour l’Église de prendre parti dans la cause. Une grave question se trouvait posée, et l’Église seule a compétence pour en connaître, autorité pour en juger. Dans une si sérieuse affaire, où l’honneur de Dieu même est en gagé dans l’honneur de ses saints, toutes les formalités juridiques devaient être scrupuleusement respectées.

En conséquence d’une supplique préalable du R. P. Boero, postulateur d’office de la Compagnie de Jésus, résidant à Rome et venu à Paris à cet effet, Mgr l’Archevêque institua officiellement, le 16 octobre 1872, suivant les formes voulues par le droit, une commission d’enquête, ayant charge de recueillir sur les lieux toutes les informations relatives au martyre et aux miracles des cinq serviteurs de Dieu. C’est le premier acte obligé dans le grand procès qui va s’ouvrir. On prépare le dossier de la causa.

Et maintenant, je mettrai fin à cette œuvre fraternelle par un acte de filiale obéissance. Conformément aux prescriptions du Saint-Siége Apostolique, j’entends bien ne rien préjuger, mais tout réserver et tout soumettre à sa souveraine et infaillible autorité. Après tout, s’il est écrit, que les âmes des martyrs sont dans la main de Dieu, Justorum animæ in manu Dei sunt, il est bon de remettre leur cause entre les mains de la sainte Église.

F I N

 

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07/03/2021

L’ÉGLISE DU JÉSUS. TRANSLATION DANS LA CHAPELLE DES MARTYRS. (4e partie)

Voir la 1ère_partie, la 2e_Partie et la 3e_partie (en cliquant sur les liens).

 

 

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Le Tréport (vers 1870)

 

 

L’ÉGLISE DU JÉSUS.

translation dans la chapelle des martyrs.

(4e partie)

 

J’en viens immédiatement aux guérisons qu’on peut croire miraculeuses. L’action des amis de Dieu, comme celle de Dieu lui-même, est essentiellement miséricordieuse et salutaire, et leurs prodiges ne sont que des bien faits. On y pourrait remarquer que tantôt un martyr était invoqué seul, et tantôt on les invoquait tous ensemble ; sans doute on avait connu l’un ou l’autre en particulier, ou bien on n’en connaissait aucun. Des guérisons se sont opérées également dans les circonstances et dans les contrées les plus diverses. Une fois au ciel, d’où ils dominent ce monde, les saints ont toute la terre dans leur sphère d’action, et leur influence peut être partout également présente. Ainsi nous avons constaté des cures subites et complètes obtenues sous nos yeux à Paris même ; d’autres en province, à Laval, à Limoges, à Segré, à Soissons, à Abbeville, à Villers-Cotterêts, à Charleville, à Carpentras, à Saint-Denis en France, à Clermont, à Strasbourg, à Nantes, etc. ; d’autres hors de France, en Hollande, en Angleterre, en Autriche, en Belgique, dans l’Archipel, en Amérique, en Chine, etc. Parmi toutes ces relations, nous en choisirons seulement deux, dont nous allons donner les procès-verbaux comme échantillon de toutes les autres.

Relation de la guérison de Mlle Pauline Letraistre du Tréport.

Mlle Pauline Letraistre, demeurant au Tréport, âgée de quarante-huit ans, a toujours eu une très-mauvaise santé. Dès l’âge de huit ans, elle était atteinte de la maladie de la moëlle épinière.

Depuis vingt ans, elle était constamment malade, souvent alitée, ne pouvant absolument pas marcher, obligée de subir les traitements les plus douloureux et les plus énergiques.

Il y a une quinzaine d’années environ, elle a été guérie spontanément, et l’on peut le dire miraculeusement de vomissements continuels, qui duraient depuis dix-huit mois, sans qu’aucun remède ait pu les calmer.

Dans ces neuf dernières années surtout, son état avait empiré au point que, dans ce laps de temps, elle n’avait pu que très-rarement faire quelques pas dans sa chambre ; avec l’aide de deux personnes et le soutien de ses deux béquilles, elle se traînait l’espace d’une minute, puis retombait anéantie ; alors elle se remettait au lit pour être quatre, six mois et plus sans pouvoir recommencer cet essai.

Elle avait aussi une maladie de cœur fort grave. Plusieurs fois elle a eu des accès de fièvre pernicieuse. D’autres crises avec des douleurs intolérables et reconnues très-dangereuses, se multipliaient depuis plusieurs années.

Il y a environ trois mois, elle voulut absolument essayer de marcher avec ses béquilles et l’aide de deux personnes, mais cela lui fut impossible, elle retomba sans mouvement. Désolée, malgré l’énergie de son caractère, qui l’a soutenue jusqu’ici, elle crut qu’elle ne pourrait plus jamais marcher : elle pressa de questions à ce sujet un médecin de Paris très-connu, M. Casalès, alors au Tréport, qui la soignait depuis plusieurs années, de concert avec un autre médecin. M. Casalės fut obligé de répondre : « Hélas ! je ne puis vous dire que vous marcherez !!! »

Mlle Pauline comprit une fois de plus qu’aucun moyen ne lui réussirait. Entendant parler de guérisons miraculeuses obtenues l’intercession du R. P. Olivaint, un des martyrs de la Commune, elle résolut de lui faire une neuvaine. « Mais, dit-elle, je n’y mettais pas d’empressement, j’en avais tant fait ! » Elle la commença le 26 septembre 1871. « J’engageai, dit-elle, un grand nombre de personnes à s’unir à moi, et je me trouvai bientôt tellement portée à faire cette neuvaine, que je priais le jour et la nuit sans me fatiguer. » Les premiers jours il y eut du mieux, mais le huitième, les souffrances augmentèrent ; sa confiance n’en fut pourtant pas ébranlée, et elle voulut le neuvième jour de la neuvaine, aller entendre la messe à l’église, qui est située sur une falaise fort élevée. On eut grand’peine à la descendre de voiture, et malgré son courage, elle fut contrainte de se laisser tomber sur les premières chaises du bas de l’église, ne pouvant absolument plus se soutenir. Laissons-la raconter elle-même sa guérison. « M. le curé avait eu la bonté de promettre qu’il m’apporterait le Bon Dieu au bas de l’église. La messe commence ; mais elle était à peine à moitié, qu’une pensée s’empare de mon esprit : Je me dis : je ne veux pas que le Bon Dieu se dérange, je veux aller le trouver. Je prends mes béquilles, on arrive pour m’aider, je monte vers la chapelle de la sainte Vierge, où l’on disait la messe ; au moment de la consécration, je me mets à genoux ; je monte avec mes béquilles pour recevoir la sainte communion, et après mon action de grâces, je suis descendue au bas de l’église sans peine et presque sans me soutenir sur mes béquilles ; je sentais que j’étais guérie, et si je n’avais eu peur de tomber devant tout le monde et dans l’église, je les aurais mises sous mon bras pour retourner à la voiture. Arrivée à la maison, j’ai jeté mes béquilles à terre, et j’ai marché, et depuis lors, je marche. » Elle sortit sur le quai, et chacun de s’extasier, de s’écrier : « C’est merveilleux !! »

Mlle Pauline Letraistre qui avait désiré obtenir par cette neuvaine de pouvoir marcher pour aller à l’église, visiter les malades et vaquer à son commerce, consentait volontiers à toujours souffrir, si telle était la volonté de Dieu. Dieu l’avait exaucée ; car elle marchait, et ses souffrances étaient grandement diminuées sans avoir complétement cessé. On commença aussitôt une seconde neuvaine en action de grâces et pour demander le rétablissement complet de sa santé.

(13 octobre.) Le dernier jour de cette neuvaine, Mlle Pauline alla à pied à la messe, en revint, fit plusieurs visites pieuses, ses souffrances cessèrent, son sommeil devint très-bon. Cet heureux état continue, Mlle Pauline vaque à toutes ses occupations ; chacun s’étonne de sa résurrection et crie au miracle, on vient des alentours pour s’assurer de ce fait merveilleux.

 

Lettre du médecin.

« Paris, le 4 novembre 1871.

« Madame..., vous me faites l’honneur de m’écrire pour me demander quelle était la nature de la maladie de Mlle Pauline, quels en étaient les progrès et quel est l’état actuel.

« Je vais m’efforcer, Madame, de satisfaire à vos questions.

« L’opinion des médecins, qui, à diverses périodes de la maladie ont été appelés auprès de Mlle Pauline Letraistre, n’a pas toujours été la même, et la nature de l’affection n’a pas été déterminée dès le principe. Elle avait le caractère d’une paralysie des membres inférieurs, et dans l’origine on a craint une maladie organique de la moëlle épinière ; plus tard, cette idée s’est modifiée, et les divers confrères qui l’ont vue dans ces dernières années, se sont généralement accordés à admettre une affection que l’on désigne sous le nom d’atonie locomotrice. Cette maladie avait présenté des phases diverses et subi des variations remarquables. Sous l’influence de certaines médications, elle paraissait quelquefois s’améliorer au point de faire pressentir une guérison. La malade, qui gisait étendue sur un lit, sans pouvoir faire d’autre mouvement que ceux de lever difficilement les jambes et se retourner avec peine, arrivait à pouvoir se lever et se servir de béquilles pour parcourir ses appartements ; mais bientôt survenait une affection intercurrente qui forçait la malade à reprendre son lit, et l’on perdait en quelques semaines le bénéfice de plusieurs mois de traitements.

« L’an dernier l’affection s’était compliquée d’une faiblesse qui me donna les plus sérieuses inquiétudes : toutefois une médication stimulante remonta l’organisme, lui rendit son énergie et son impressionnabilité, mais sans apporter de changement ni d’amélioration à la forme paralytique de la maladie.

« Aujourd’hui Mlle Pauline se lève, marche, se promène dans les rues, et bien que la santé générale laisse à désirer, ne paraît plus se sentir de la maladie qui l’a tenue plusieurs années étendue sur un lit.

« Tel est, Madame, le sommaire très-abrégé des faits aussi exacts que possible que vous me demandez de vous raconter. La guérison aussi rapide qu’inespérée de Mlle Pauline est, très-certainement, un fait des plus remarquables, quelle que soit l’interprétation qu’on veuille lui donner, et sur ce point, je vous demande la permission de réserver absolument mon appréciation ; mais je n’hésite pas à reconnaître que la guérison s’est produite au moment où aucune médication n’était pratiquée.

« Veuillez, Madame, agréer, etc. »

Nous avons entre les mains une autre relation de la guérison de Mlle Letraistre, écrite par M. le curé du Tréport ; pour éviter des redites, nous nous contenterons d’en publier l’extrait suivant :

« Il y a plus d’un mois, apprenant que M. le docteur Leconte, médecin ordinaire de Mlle Letraistre, se trouvait chez son ancienne cliente ; comme je désirais me rencontrer avec ce Monsieur, qui jouit d’une excellente réputation dans ce canton, où il a été nommé membre du conseil général, je me rendis chez Mlle Letraistre et demandai au médecin s’il attribuait la guérison de sa malade à l’efficacité de ses remèdes ? Il me répondit, en présence de sa femme et de Mlle Letraistre, qu’une semblable pensée ne lui pouvait venir... Qu’il avait toujours cru à l’efficacité de la prière et que cette guérison ne pouvait que le confirmer de plus en plus dans sa croyance.

« On le voit, je dis avec une grande simplicité ce que je sais, ce que je connais touchant la guérison extraordinaire de Mlle Letraistre. Et je l’affirme comme curé du Tréport où j’exerce le saint ministère depuis plus de cinq ans.

« Le Tréport, ce 26 février 1872.

« MIGUIGNON ».

(à suivre)

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Eglise du Tréport: bénitier offert par la Famille Letraistre en 1879

 

26/02/2021

L’ÉGLISE DU JÉSUS. TRANSLATION DANS LA CHAPELLE DES MARTYRS. (3e partie)

Voir la 1ère_partie et la 2e_Partie.

L’ÉGLISE DU JÉSUS.

TRANSLATION DANS LA CHAPELLE DES MARTYRS.

(3e partie)

 

Et d’abord, il y a dans les âmes chrétiennes, en fait d’appréciation, un certain tact que donne la foi, excellent criterium de certitude, que l’Église elle-même prend soin de constater et ne manque guère de ratifier. Quel fut donc, à la première nouvelle des sanglantes morts du mois de mai, au loin comme au près, l’effet instantané produit dans l’opinion catholique ? Après un premier cri, on n’entendit plus qu’une acclamation : à l’indignation contre les bourreaux avait succédé la vénération pour les victimes. On ne raisonnait même pas, on voyait et on sentait. Dès le premier jour, tout le monde était convaincu de la vérité du martyre, et on crut pouvoir invoquer ceux qu’on croyait déjà devoir honorer. Ce sentiment universel se manifesta aussitôt par des signes multiples.

Des services solennels furent célébrés dans la métropole de Notre-Dame de Paris et dans un grand nombre de cathédrales de France. C’était un hommage que la religion et la patrie tenaient à rendre aux innocentes et nobles victimes. Mais l’impression publique se formulait d’après cet adage des anciens temps : « C’est faire injure à un martyr que de prier pour un martyr. »

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Des médailles commémoratives furent frappées ; des images de tout genre furent photographiées ou gravées. On voulait surtout les portraits des martyrs : on avait ceux des PP. Ducoudray, de Bengy et Caubert, mais on eut des peines infinies à recomposer de mémoire la figure et la physionomie des PP. Olivaint et Clerc, et après mille essais infructueux, en désespoir de cause, on dût s’arrêter à un dernier type qui n’est encore qu’un pis-aller. — Une souscription spontanée fut ouverte parmi les anciens élèves de l’école Sainte-Geneviève et du collège de Vaugirard, pour élever au P. Ducoudray et au P. Olivaint un monument de leur impérissable reconnaissance. Quant aux Actes de la captivité et de la mort, en moins de deux ans, neuf éditions de format et de prix différents, furent publiées, et environ 40,000 exemplaires se sont écoulés.

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Mais allons jusqu’aux glorieux tombeaux. Là, j’en conviens, il est besoin de surveiller, pour contenir la dévotion privée dans les limites posées par l’Église. On interdit absolument, on écarte aussitôt tout ce qui pourrait sembler un signe du culte religieux : point de lampes ni de cierges ; pas d’ex-voto, ni de plaques et d’inscriptions. On permet seulement des fleurs et des couronnes ; il y en a bien dans les cimetières. Mais la piété intelligente a imaginé de ne déposer sur les tombes des martyrs que des couronnes rouge et or, emblème de la céleste auréole. Les cinq dalles blanches en sont encadrées, tout le pavé à l’entour en est parsemé ; on en fait des guirlandes le long des murs, et souvent on doit enlever les anciennes pour faire place aux nouvelles.

Pour dire le vrai mot, la chapelle des martyrs est devenue le terme d’un pèlerinage où l’on afflue perpétuellement de tout Paris, de toute la France et de tous les pays du monde. À peine peut-on entrer dans l’église du Jésus sans trouver le petit autel privilégié entouré d’un cercle de suppliants de tout âge et de tout sexe. Beaucoup de prêtres étrangers veulent dire la messe près du tombeau des martyrs, beaucoup de fidèles veulent y communier. Pour répondre à tant d’empressement, il est devenu nécessaire d’établir sur cet autel, jusque-là inhabité, un tabernacle spécial, où l’on transporte chaque matin un Saint-Ciboire qu’on enlève ensuite à la fin des messes.

Le concours au musée des martyrs n’était guère moins continu. Comme la dévotion elle-même suggérait de petites indiscrétions, un de nos Frères devait accompagner les visiteurs. Force a donc été de restreindre les entrées à certains jours de la semaine pour n’être pas obligé de rester là en permanence.

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Un autre témoignage de la vénération universelle, même à distance, ce sont les lettres adressées à la rue de Sèvres de toutes parts, non-seulement de la province, mais encore des pays étrangers et des contrées les plus lointaines. Dépouiller toutes ces correspondances, les lire et y répondre, est devenu presque une fonction, si bien que le supérieur, à la longue, obéré par la tâche, s’est vu réduit à déléguer un de nos Pères pour être d’office secrétaire des martyrs. Du reste, avec mille variantes dans la forme, le fond est toujours de demander ou de remercier : on sollicite des prières, des messes, des neuvaines, ou bien on signale des grâces obtenues.

Je ne dois pas omettre la prodigieuse diffusion des reliques. Tout le monde en voulait, et il fallait contenter tout le monde. Mais grâce à la divisibilité de la matière, les vêtements des martyrs ont été réduits en parcelles infiniment petites et infiniment nombreuses. Avec le temps, le système de distribution s’est perfectionné : sur une petite image on a gravé une croix de couleur rouge ; vers le centre et aux quatre extrémités les cinq parcelles sont fixées à la colle. Vraiment, une croix, c’est la vraie place des martyrs. Il serait absolument impossible de constater maintenant le nombre approximatif de ces images données ou envoyées, non pas une à une, mais par centaines et par milliers. Pour être exact, il faut dire qu’on les a jetées à tous les vents du ciel.

Pour clore enfin cette série de faits, je n’en cite plus qu’un, qui les complète et les confirme, en y ajoutant déjà le sceau de l’autorité hiérarchique.

Le 26 mai 1872 était l’anniversaire du massacre de 1871, il était de toute convenance de le célébrer par un service funèbre. Mais la Providence elle-même changea les conditions de la cérémonie. La date désormais bénie se trouva tomber un dimanche et coïncider avec la fête majeure de la Sainte Trinité. À raison de cette circonstance, la couleur blanche devenait de nécessité liturgique, l’église d’ailleurs était d’avance splendidement décorée pour l’adoration solennelle du Saint-Sacrement. Tout était comble. Après la messe, M. l’abbé Bayle, vicaire général de Paris, témoin accrédité de la Conciergerie, de Mazas et de la Roquette, prononça l’oraison funèbre, qui devint presque un panégyrique. Voici ce qu’il a déposé lui-même à ce sujet : « Invité à prêcher l’oraison funèbre, mon discours a eu précisément pour but de montrer à une assemblée très-nombreuse que les cinq Pères avaient été persécutés et mis à mort en haine du nom de Jésus, qu’ils portaient avec tant de gloire. Cette opinion, je la trouve partagée par les hommes les plus éminents, puisque j’en ai parlé avec l’Archevêque de Paris actuel, devant son entourage, et que personne ne m’a fait la moindre observation sur cette opinion que j’avais avancée publiquement. »

Mais la proposition émise à Paris n’eût point été contredite même à Rome. Dans une audience privée, le 3 décembre 1872, le Souverain-Pontife a daigné me parler dans le même sens, et naguère encore un éditeur de Paris lui ayant fait hommage des Actes et des photographies de nos cinq martyrs, en retour Pie IX lui fait adresser une réponse où ils sont désignés expressément comme mis à mort tous les cinq en haine de la foi.

Mais enfin Dieu lui-même s’est-il prononcé ? En vérité, l’Église seule a grâce pour le savoir et pour nous l’apprendre, et quand elle nous l’aura une fois révélé, alors nous le croirons. Mais en attendant, sans témérité, ce semble, nous inclinons à le penser. Dieu ne s’est-il pas réservé, pour le besoin de la vérité et pour la cause de la vertu, la langue inimitable des prodiges ? Eh ! bien, à en juger par des faits nombreux et certains, déjà nous aurions entendu un écho de la voix divine. Nous avons sous la main tout un dossier de pièces probantes, des rapports originaux accompagnés d’attestations officielles. Mais leur place n’est pas précisément dans ce recueil : d’une part un récit circonstancié paraîtrait excessif ; de l’autre, une simple nomenclature serait insuffisante et fastidieuse. Quelques extraits bien courts suffiront donc à notre objet, et par ce que nous citerons on pourra facilement juger de ce que nous omettons.

Dans une première catégorie, je comprends des faveurs spirituelles ou temporelles de toute nature obtenues par l’intermédiaire de nos martyrs. Le détail en serait infini : ce sont le plus souvent des conversions inespérées, des réconciliations inattendues, des inspirations soudaines, d’heureuses solutions de malheureuses affaires, et presque toujours avec de singulières coïncidences qui laissent du moins entrevoir une action supérieure. Je citerai un seul de ces faits où l’intervention surnaturelle est bien accusée. La femme d’un riche banquier de Paris en fut l’objet, un de ses fils, ancien élève du P. Olivaint, en sera le narrateur.

« Mon révérend Père,

« Conformément au désir que vous m’en avez exprimé, voici par écrit mes souvenirs, confirmés par ceux de mon frère, de sa femme et de la mienne, au sujet de l’incident qui signala les derniers instants de ma pauvre mère.

« Le lundi 17 juin 1872, ma mère souffrait depuis deux jours d’une obstruction intestinale, maladie dont les médecins, sans nous en dissimuler la gravité, ne nous avaient pas encore laissé entrevoir l’issue fatale. Très vivement préoccupé néanmoins, je fus le matin, sur les dix heures, à la rue de Sèvres, où, parlant au frère portier, je lui demandai des reliques des Pères martyrs en même temps qu’une messe à l’autel de la chapelle où ils reposent. Il me donna un morceau d’étoffe, ayant appartenu aux vêtements du P. de Bengy et du P. Olivaint, les seuls que j’eusse connus.

Sur l’avis pressant du médecin, mon frère et moi nous revînmes à C., sur les deux heures. Nous trouvâmes mon père assez tranquille : ma mère venait de prendre une potion sur l’effet de laquelle les médecins comptaient en dernier ressort, et il nous témoigna son étonnement de nous voir de retour, ayant quitté les affaires de si bonne heure. Il nous dit que notre mère venait de lui dire : « Si ce soir, après la consultation, la médecine n’a pas produit l’effet qu’on en attend, je me confesserai à M. le curé de C. » (Elle avait accompli ses devoirs religieux quelques jours auparavant à l’occasion de la Pentecôte.)

« Je remis alors à ma belle-sœur les reliques des Pères en lui recommandant de les faire donner de suite à ma mère par sa femme de chambre, qui la gardait.

« La femme de chambre les lui remit en lui disant : « Madame, voici des reliques des Pères martyrs que M. Hubert a été chercher pour Madame à la rue de Sèvres. » — « Donnez-les moi, elles calmeront mes douleurs. » Au bout de quelques instants, elle dit à la femme de chambre, assise au pied de son lit : « Cécile, écartez-vous, voilà les Pères ! je les vois !... voici le P. Olivaint !... Il me dit : « Ma fille, confessez-vous !... Ma mère fit chercher mon père immédiatement et lui dit ce qui venait de se passer.

« Nous fîmes quérir M. le curé de C. : ma mère se confessa, reçut les sacrements et récita toutes les prières à haute voix avec la plus grande foi. Elle était dans la possession la plus pleine de toutes ses facultés : elle fit à chacun de nous ses dernières recommandations, fit venir ses petits-enfants et leur fit à tous les plus touchants adieux.

« Nous ne voulions croire qu’elle fut à la dernière extrémité et pour ne point la fatiguer, nous nous retirâmes ne laissant que mon père auprès d’elle.

« Il était quatre heures environ. Sur les cinq heures, elle me fit appeler pour un petit détail concernant sa maison. Je m’agenouillai près d’elle et lui dis : « Ma chère mère, tu as donc vu les Pères ? » — « Oui je les ai vus ! » — « Comment étaient-ils ? » — « Ils étaient là près de ma cheminée dans une auréole. Le bon P. Olivaint m’a dit : « Confessez-vous, ma fille, et puis ils ont disparu ! »

« Sur les huit heures les médecins revinrent, ma mère fit ses adieux à l’un d’eux, qui nous était dévoué depuis vingt-cinq ans. Quelques minutes après, l’agonie commençait, agonie bien douce et bien calme ; et à une heure du matin, elle expirait.

« Nous fûmes frappés de cette coïncidence remarquable, que si elle avait attendu jusqu’après la consultation pour se confesser, comme elle en avait d’abord témoigné l’intention, la maladie ne lui en eût pas laissé le temps, et en tout cas ne lui eut pas laissé la pleine possession de ses facultés pour accomplir ce suprême devoir.

« H. H. »

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(à_suivre)