20/02/2021
L’ÉGLISE DU JÉSUS. TRANSLATION DANS LA CHAPELLE DES MARTYRS. (2e partie)
Voir la 1ere partie ici
L’ÉGLISE DU JÉSUS.
translation dans la chapelle des martyrs.
(2e partie)
Ainsi, d’abord il n’a point tenu à nous, que les martyrs ne restassent ensevelis avec tous leurs frères dans les caveaux du Mont-Parnasse. Ils y avaient été déposés par notre fait, et c’est seulement plus tard, sous la pression de l’opinion publique, que nous vint la pensée, puis l’espérance d’obtenir une translation dans notre église de la rue de Sèvres. Les démarches à cet effet trainaient en longueur, quand le P. Gravoueille, recteur du collège de Vaugirard, s’adressant directement à M. Lambrecht, ministre de l’Intérieur, dont il avait élevé les fils, obtint immédiatement, sans autre formalité, toutes les permissions voulues.
On se mit donc à l’œuvre. À Paris où l’on a tout sous la main, dès qu’un plan est arrêté, l’exécution devient facile et rapide. D’abord la chapelle dédiée à nos saints martyrs du Japon parut être la vraie place pour leurs émules de Paris. Une excavation est aussitôt ouverte au milieu, en face de l’autel et creusée à la profondeur légale : on y dispose au fond, dans une maçonnerie artistement travaillée et parfaitement cimentée, pour les cinq cercueils, autant de niches horizontales rangées de front sur le même plan, et séparées les unes des autres par une mince cloison de briques. Il n’y aura plus qu’à faire glisser chaque cercueil dans sa place respective et à sceller l’ouverture.
Le pavé de la chapelle en marbre noir et blanc rappelle le deuil, mais au milieu de cet encadrement funèbre, sur de grandes dalles de marbre blanc, on lit les cinq noms avec leur inscription triomphale. Le P. de Buck, bollandiste de Bruxelles, avait envoyé ces épitaphes qui sentent le style des Catacombes :
DVM SVB ALTARI DEI PONVNTVR
REQVIESCVNT HOC LOCO OSSA
PETRI OLIVAINT PARISII
PRESBYTERI SOCIETATIS IESV
HVIC DOMVI PRAEFECTI
VIXIT ANNOS LV MENSES III DIES IV
PRO PIETATE MORTEM OPPETIIT
VII KAL. IVN. A. D. MDCCCLXXI
HOC LOCO DEPOSITA SVNT
OSSA ET RELIQVIAE
IOANNIS CAVBERT
PRESBYTERI SOCIETATIS IESV
NATUS PARISIIS XIII KAL. AVG. A. D. MDCCCXI
ODIO PIETATIS OCCISUS EST
VII KAL. IVN. A. D. MDCCCLXXI
HIC IACET IN PACE
ALEXIVS CLERC
DOMO PARISIIS
PRESBYTER SOCIETATIS IESV
NATVS ANNOS LI MENSES V DIES XIII
LIBENS FVSO SANGVINE FIDEM SIGNAVIT
IX KAL. IVN. A. D. MDCCCLXXI
LOCVS LEONIS DVCOVDRAY
PRESBYTERI SOCIETATIS IESV
ET RECTORIS SCHOLAE GENOVEFIANAE
NATUS LAVALLII PRID. NON. MAIASA. D. MDCCCXXVII
VITAM SANCTAM SANCTIORE MORTE CORONAVIT
ODIO NOMINIS IMPIE TRVCIDATVS
IX KAL. IVN. A. D. MDCCCLXXI
LOCVS SEPVLTVRAE
ANATOLI DE BENGY
ORTV BITVRIGIS
PRESBYTERI SOCIETATIS IESV
QUI QVAM MORTEM IN MILITVM CVRA
A PATRIAE HOSTIBVS NON METVIT
A RELIGIONIS HOSTIBUS FORTITER ACCEPIT
VII KAL. IVNII A. D. MDCCCLXXI
ANNOS NATVS XLVI MENSES VIII DIES VII.
On put enfin procéder à l’opération dans la matinée du 24 juillet. Le dévoué docteur Colombel, assisté de quelques agents de la police et des pompes funèbres, voulut encore y présider la seconde fois comme la première ; mais au moins l’invention aujourd’hui était plus facile et la translation allait être glorieuse. L’authenticité et l’identité se trouvaient constatées et garanties par une inscription gravée sur chaque cercueil.
On avait voulu toutefois écarter l’encombrement et prévenir toute manifestation. On ferma donc la porte extérieure de l’église donnant sur la rue et tout devait se passer comme à huis-clos. On n’avait admis à l’intérieur avec nos Pères et Frères présents dans la maison, qu’un petit nombre d’intimes et les familles des martyrs. On laissa cependant passer et entrer dans la cour une jeune fille qu’une voiture venait d’amener à l’heure précise et que deux femmes portaient sur leurs bras. Il se produisit alors un phénomène, prélude de plusieurs autres, qui doit avoir sa place à cet endroit de notre récit.
Adélaïde Gain, orpheline, admise à quatorze ans à l’Œuvre de la première communion, dite de l’Enfant-Jésus, à Vaugirard, communia pour la première fois en 1864 de la main du P. Olivaint. Elle passa de cet asile à l’orphelinat des enfants délaissés, rue Notre-Dame des Champs, pour y être élevée jusqu’à vingt-et-un ans. Mais laissons la raconter elle-même sa maladie et sa guérison.
« Je fus prise au mois de janvier 1869 de forts malaises, un mal de genou se déclara, je ne marchais qu’en me traînant, jusqu’au mois de mars suivant où je fus obligée de m’arrêter. Je souffris alors des douleurs aiguës, il se faisait dans le genou un travail affreux ; il devint très-enflé et si douloureux que tout mouvement était impossible ; le contact même de couvertures était intolérable, il fallut un cerceau.
« L’inaction était complète ; on me fit subir toutes sortes de traitements, on y mit le feu jusqu’à cinq fois, les cautères, les vésicatoires, les incisions, rien ne fut épargné. Ma faiblesse augmentait toujours, je souffris de grandes douleurs d’entrailles et des douleurs de côté. On déclara une péritonite (le médecin qui m’a soignée a fait un rapport très-expliqué). L’état général de ma santé devint plus grave : on me levait seulement quelques heures sur un fauteuil, il survint des vomissements de sang, et je fus administrée le 8 juillet 1871.
Cependant depuis le massacre de la rue Haxo, j’avais prié le R. P. Olivaint de me guérir ; j’avais confiance que je serais exaucée parce que j’étais un enfant de sa chère Œuvre de la première communion. Je commençai une neuvaine et une deuxième, puis encore une troisième et jusqu’à cinq. Sans m’en douter, cette cinquième finissait le 24 juillet 1871 ; elle coïncidait avec la translation des corps des RR. Pères du cimetière à l’église du Jésus. On me proposa de m’y conduire en voiture. Quand j’arrivai, la personne qui avait eu la bonté de me porter, m’approcha du cercueil du P. Olivaint sur lequel j’étendis la main avec confiance, et je demandai au bon Père de me guérir ou de me laisser mourir si je ne devais pas être fidèle à Dieu et me sauver. En faisant cette prière j’ai posé la main sur le cercueil. En le touchant j’éprouvai une souffrance horrible ; puis aussitôt après, j’étais mieux et je dis à la personne : « Posez- moi, laissez-moi marcher, je sens que je le puis. » Elle hésitait encore et continuait à me soutenir m’offrant de l’éther, je refusai. Enfin on m’a posée à terre, j’ai fait signe que je pouvais marcher. J’ai traversé le couloir de la porterie, la cour de l’église et suis allée à la chapelle de Notre-Dame des Sept -Douleurs, contre la petite arcade qui donne sur la chapelle des Martyrs Japonais. Là, je me suis mise à genoux par terre, sans appui, sans souffrances. Mais quand le cercueil du P. Olivaint a passé j’ai souffert encore beaucoup. Je me suis relevée alors et je me suis assise. Quand il a été déposé dans la fosse, la douleur était finie. Je me suis remise à genoux et j’ai fait une prière d’action de grâces, sûre d’être guérie, n’en doutant pas et ne souffrant plus rien du tout. Je suis restée à genoux environ vingt minutes, non appuyée. Après, j’ai fait le tour de toute l’église du Jésus, je suis revenue encore jeter de l’eau bénite sur les cinq cercueils des Pères, et de là, nous sommes revenus à pied à la maison, dix minutes de chemin. Je suis revenue à pied, pendant neuf jours, à l’église pour une neuvaine d’action de grâces, restant toute la messe à genoux sur une chaise, sans douleur, sans appui. Depuis ce temps-là je ne souffre plus, toute la maladie a disparu. Plus d’enflure, plus même de trace, les cicatrices ont disparu ; la marque des cautères est seule restée, il y avait quinze jours qu’ils étaient séchés.
« Oui, c’est le R. P. Olivaint qui m’a guérie, je serais une ingrate de ne pas le reconnaître et de ne pas l’affirmer. »
Le fait n’avait pas manqué de témoins. Le médecin lui-même qui avait traité l’enfant, rédigea un long rapport qu’il intitule : Relation médicale d’un cas de guérison obtenue dans des circonstances anormales.
Vers la même époque, nous avions encore obtenu une nouvelle faveur, analogue à la première ; le mobilier des cellules de Mazas, qui pendant deux mois avait servi à nos captifs, nous était cédé par l’administration, à charge seulement pour nous de le remplacer par un autre. Ainsi nous avions les hamacs, et les chaises de paille rivées chacune à une petite table par une grosse chaîne de fer, les bidons de fer-blanc, les gobelets d’étain et les cuillers de bois. C’était le commencement du musée des martyrs. Une chambre en dehors de la clôture religieuse, par conséquent accessible à tout le monde, fut affectée et complétement appropriée à cette collection d’un nouveau genre. Tout ce qu’on y voit parle de captivité et de mort, même ce pavé couleur de sang et ces murs tapissés de rouge, avec les photographies de la Cité-Vincennes et de la Roquette, les portraits et les autographes des cinq martyrs ; on a sous la main tout le mobilier et la vaisselle de Mazas, et devant les yeux, dans une armoire vitrée, ce qu’on a pu recueillir de reliques ; les instruments de pénitence qui préludaient aux instruments du supplice, et la petite boîte mystérieuse posée sur le sachet de soie rouge, et ce vêtement du P. de Bengy devenu un affreux lambeau. Personne, je suppose, ne trouvera de l’excès dans cette religion des souvenirs. Je dirais qu’elle est traditionnelle dans l’Église, si elle n’était pas naturelle dans l’humanité.
Il ne nous reste plus à signaler que ces deux grands faits corrélatifs que nous avons seulement énoncés, les hommages du peuple et le suffrage de Dieu lui-même.
13:12 Publié dans Commune de 1871, Compagnie de Jésus, Eglise catholique, Monuments | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.