29/06/2013
VIE DU PERE ALEXIS CLERC PAR CH. DANIEL (Chapitre 7)
CHAPITRE VII.
Alexis Clerc, lieutenant à bord du cassini.
— de lorient a chang-haï
Le 6 mars 1851, à sept heures du matin, le Cassini quittait la rade de Lorient, et renouvelant un antique usage tombé en désuétude depuis la grande révolution, il saluait de toute son artillerie le sanctuaire de Notre-Dame de l’Armor. En même temps, les missionnaires qui avaient pris passage à son bord entonnaient l’Ave maris Stella, que l’équipage chanta avec un entrain merveilleux ; prêtres et marins, unis dans une même pensée de foi, suppliaient l’Étoile de la mer d’être propice à leur traversée et de bénir les entreprises si diverses qui les éloignaient de la patrie, ceux-ci pour plusieurs années, ceux-là, ou du moins la plupart d’entre eux, pour le reste de leur vie, qu’ils avaient vouée tout entière au salut des âmes.
C’était un spectacle auguste et touchant. On voyait sur le pont deux évêques : l’un, Mgr Vérolles, illustré par de longs travaux, regagnait son vicariat apostolique de la Mantchourie ; l’autre, Mgr Desprez (actuellement archevêque de Toulouse), allait introniser l’évêché de Saint-Denis (île Bourbon), c’est-à-dire prendre possession de ce siège dont il était le premier évêque. Deux grands-vicaires, trois missionnaires des Missions étrangères, un aumônier attaché au Cassini et enfin trois religieuses de Saint-Joseph, destinées elles aussi à porter au loin le nom et la bonne odeur de Jésus-Christ, attestaient hautement par leur présence le caractère tout catholique de l’expédition. L’état-major, d’une composition parfaite, dépassait quelque peu le chiffre strictement réglementaire et comprenait cinq lieutenants de vaisseau, un officier d’administration, deux médecins et six aspirants de marine, dont quatre avaient été choisis parmi les meilleurs sujets du vaisseau-école.
Le Cassini, corvette à roues de 200 chevaux, était armé de six canons et comptait 120 hommes d’équipage, état-major compris, ce qui lui permettait de déployer au besoin une force militaire assez respectable. Il était destiné pour Bourbon et la Chine.
Les fonctions d’aumônier y étaient exercées, sans titre officiel, par M. l’abbé Cambier, du clergé de Paris, qui avait quitté, pour s’attacher en volontaire à l’expédition, la paroisse de Saint-Pierre du Gros-Caillou, dont il était alors vicaire. Devenu depuis quelques années curé de Saint-Jacques et Saint-Christophe de la Villette, c’est de la meilleure grâce du monde qu’il nous a confié son journal de voyage écrit pendant la traversée uniquement pour épancher son cœur dans le sein de l’amitié.
Muni des pouvoirs que Mgr l’évêque de Vannes lui avait conférés pour toute la traversée et installé du mieux qu’on avait pu dans sa paroisse flottante, M. Cambier, après avoir fait connaissance avec ses nouvelles ouailles, recueillait ses premières impressions et les consignait ainsi dans son journal : « Les marins qui composent l’équipage paraissent, il est vrai, jeunes et inexpérimentés en marine, mais ils seront vite formés et les choses en iront mieux pour peu que la divine Providence daigne nous favoriser. Du reste, tous ces marins ont bon visage. Bretons pour la plupart, le prêtre ne les effraie pas ; ils sont habitués à le voir de près, à l’entendre et à suivre ses conseils. Je puis donc attendre de la sympathie de leur part. Les mousses ne sont qu’au nombre de six, ce sera mon petit troupeau. Ces pauvres enfants ne sont-ils pas trop laissés à eux-mêmes et trop mêlés aux hommes de l’équipage ? A cet âge, les conversations libres qu’ils entendent peuvent leur être funeste. Isoler les mousses le plus possible, les surveiller avec une scrupuleuse attention, les instruire, me semblerait chose nécessaire ; il est à croire qu’on ne les néglige pas, l’expérience sans doute me l’apprendra. Les hommes sont au nombre de cent vingt ; ce sera là ma moisson ; puisse-t-elle être bonne ! A n’en pas douter, je puis dire qu’elle le sera, n’en aurais-je comme gage et garantie que l’exemple du commandant et des officiers. N’eussé-je pas été jusqu’à présent convaincu de la puissance du bon exemple, je n’aurais pas tardé à l’être sur le Cassini. J’ai dit que M. de Plas était un bon chrétien ; il sait qu’il a sous ses ordres non pas seulement des corps, mais des âmes, et il fait de la marine beaucoup moins un moyen d’avancement pour lui-même qu’un moyen d’exercer son zèle éclairé en faveur de ceux qu’il est appelé à commander. »
Puis M. Cambier dit un mot de chacun des officiers. « Son second, c’est-à-dire celui que l’on nomme le lieutenant chargé, parce qu’il a la haute main sur tout le détail du bâtiment, son second, dis-je (on sait que c’était le lieutenant Bernaert), est également un fidèle de bonne et vieille roche.
Son corps est brisé par de longs et pénibles services, mais son cœur est jeune et vigoureux. Il n’a entrepris la campagne de Chine que pour offrir ses services aux missionnaires ; ses caisses sont pleines d’objets religieux qu’il leur destine ; une de ses intentions est aussi de propager la conférence de Saint-Vincent-de-Paul, d’en former une à bord, si cela est possible. Quand on va à six mille lieues de son pays avec de pareilles pensées, et qu’on est âgé et infirme, n’est-ce pas aller droit en Paradis ? Que l’on dise que la religion rapetisse les idées et les sentiments ! Comme preuve très-évidente du contraire, je citerai l’exemple de M. Bernaert, lieutenant chargé du Cassini. »
M. Cambier n’a garde d’oublier celui dont nous écrivons l’histoire, et voici en quels termes il s’exprime à son sujet : « Enfin, il me reste à dire quelques mots sur le plus jeune lieutenant, M. Clerc, élève de l’École polytechnique. Officier choisi par le commandant, il justifie ce choix par sa piété et ses talents. S’il reste dans la marine, l’avenir sera, je pense, avantageux pour lui. Il n’a que vingt-six ans [1], et il est déjà lieutenant. La carrière est longue devant lui ; il a pour la bien parcourir la santé, la jeunesse, le mérite. Je ne serais pas surpris s’il venait à laisser le frac pour le froc : sa ferveur est celle d’un religieux. Les épaulettes sans doute sont très-honorables ; l’habit du prêtre l’est beaucoup plus encore ; mais il faut que ce soit Dieu qui le donne avec la vocation… »
Le digne aumônier nous apprend comment il exerçait à bord un ministère tout de paix et de persuasion, qui n’imposait aux hommes de l’équipage aucune gêne, aucune contrainte : « Le matin, après le lever de 6 heures en mer et de 5 heures en rade, je disais la prière : Notre Père, Je vous salue, Marie, et une oraison que j’avais composée pour les matelots. Quand les fourneaux étaient allumés, je descendais dans la machine et j’y faisais aussi les mêmes prières. Le soir, après la lecture des punitions du jour et la prise des hamacs, je disais la prière du soir au milieu des hommes tous debout et la tête découverte. Le mardi à i heure 1/4, il y avait catéchisme pour les mousses ; le dimanche, la messe était célébrée à 10 heures 1/4 ; elle commençait par l’aspersion de l’eau bénite et, en rade, il y avait instruction à l’Évangile. La dimanche soir, en mer, à 2 heures, je faisais une instruction aux hommes de l’équipage. Pour tous ces exercices, on tintait quelques coups de cloche, et venait qui voulait, même pour la prière du matin et du soir. » Non-seulement la vie chrétienne était ainsi librement pratiquée à bord du Cassini, mais Jésus-Christ lui-même y avait son trône dressé, comme il convient, à la place d’honneur. « Oui, dit M. l’abbé Cambier, nous avions une chapelle véritable sur notre bâtiment ; une chapelle parfaitement installée avec autel, tabernacle, crucifix, armoires pour les ornements ; une chapelle où nous avions le bonheur de posséder le Saint-Sacrement. Si vous avez parfois visité quelque bâtiment dans un de nos ports, vous devez en connaître la partie qu’on appelle dunette. C’est une ou plusieurs chambres placées sur le pont, soit à l’avant, soit, et plus souvent, à l’arrière. Cette dunette, sur les vaisseaux et sur les frégates, sert de salon et de cabinet de travail au commandant ; sur le Cassini elle était divisée en trois parties : à droite et à gauche étaient les deux évêques ; au milieu se trouvait la chapelle, fermée par une porte à deux battants que l’on ouvrait pour la célébration des offices. L’intérieur était en sapin plaqué de citronnier verni. On avait appliqué sur le devant de l’autel quelques ornements symboliques en palissandre. Le crucifix qui surmontait le tabernacle était en bois de noyer ; ce n’était pas un sculpteur qui l’avait taillé, mais un simple ouvrier menuisier du port. Ce n’en était pas moins un petit chef-d’œuvre, ainsi que la chapelle tout entière. Les ouvriers de Lorient y avaient mis tous leurs soins et la réussite avait couronné leurs efforts.
« Si j’avais affaire, ajoute le bon et digne prêtre, à un chrétien sans foi et sans intelligence des choses de la foi, je n’insisterais pas sur ces détails ; mais je sais que ce sera pour vous un plaisir de les entendre et que mes paroles auront de l’écho dans votre cœur.
N’était-ce pas pour nous tous, sur le Cassini, un bonheur insigne que de posséder le Très-Saint Sacrement ? Autour de nous, la mer, le ciel, nous montraient la puissance de Dieu ; auprès de nous l’Eucharistie nous révélait sa bonté et sa charité. Est-il étonnant que les flots se soient pour ainsi dire abaissés devant notre bâtiment pour lui laisser une marche facile et rapide ? Est-il étonnant que la paix ait constamment régné parmi nous, et que de nombreuses bénédictions nous aient été réservées ? Le Cassini portait en son sein le Dieu de l’univers, Celui qui marcha sur la mer de Galilée et qui par un seul mot apaisa les tempêtes.
Aussi la traversée fut-elle, d’un bout à l’autre, des plus heureuses. Il est vrai, au départ, la mer, qui était assez grosse, éprouva quelques passagers ; mais le temps fut ensuite très-supportable pour la saison, et après six jours de mer, le 12 mars, le bâtiment jetait l’ancre devant Funchal, île Madère. La relâche dura trois jours ; le charbon se fit rapidement, et des provisions fraîches permirent de gagner le Cap de Bonne-Espérance dans les meilleures conditions. « Le jour de Pâques [2] la corvette était assez près du Cap pour autoriser une dépense extraordinaire de charbon. L’ordre fut donc donné de chauffer à toute vapeur, et le Cassini atteignit environ dix milles à l’heure. La mer était unie comme un lac ; rien ne s’opposait donc à ce que le projet d’avoir la grand’messe fût mis à exécution. Mgr Desprez voulut bien officier ; des mousses bien vêtus et intelligents furent désignés comme enfants de chœur, et, grâce aux missionnaires, aux religieuses passagères et à un lieutenant de vaisseau bon musicien, le chant ne laissa rien à désirer. »
Alexis Clerc écrivait de Cap-Town à son père : « Nous sommes arrivés au Cap le 22 avril, à 2 heures de la nuit, après une très-heureuse traversée où nous avons échappé à tous les mauvais temps et à presque toutes les autres misères de la vie maritime. Le jour de Pâques a été pour le bâtiment une fête complète ; le temps et la mer étaient parfaitement beaux. Il n’est pas bien difficile de toucher le cœur simple de ces bons Bretons ; mais il est plus doux de se rappeler ces heureux moments que d’en parler. »
La préparation des marins avait été parfaite et les efforts de leur aumônier couronnés d’un plein succès : « Je leur dis, raconte celui-ci, que la confession était pour eux la planche du salut après le naufrage ; une fois le mot dit, je le répétai ; ils s’habituèrent à l’entendre, il finit par sonner moins dur à leurs oreilles et bientôt après il entra dans leurs cœurs. Quand la pensée de la confession est dans le cœur et qu’elle y est telle qu’elle doit être comprise, on ne tarde pas à venir à la pratique. C’est précisément ce qui arriva sur notre bâtiment. Les marins commencèrent par blaguer, et finirent par se confesser. Notre semaine sainte se passa tout entière dans la piété. »
Au Cap les attendait une autre solennité religieuse. Mgr Griffith allait faire la bénédiction de son église ; il avança de quelques jours la cérémonie, afin que l’éclat en fût rehaussé par la présence des deux évêques et du nombreux clergé du Cassini.
Le commandant et son état-major furent aussi invités et se montrèrent une fois de plus franchement catholiques.
« Avant-hier, lundi, écrit Alexis à son père [3], l’évêque du Cap a fait la bénédiction de son église. Le Cassini a été de la fête ; il y a été représenté par son clergé et par une députation des maîtres et des matelots. Nos deux évêques et nos sept prêtres ont beaucoup contribué à relever la pompe de la cérémonie, et l’on a chanté un Regina cœli et un O Salutaris d’un assez bon effet. La place du consul français, dans cette cérémonie, est la première ; les officiers du Cassini se sont joints à lui. C’est ainsi que partout, excepté chez nous, nous sommes catholiques. Mais qu’il est préférable de ne pas l’être comme par nécessité et par intérêt politique, — comme les Anglais sont protestants, — et d’apporter au véritable sens naturel de notre race cette adhésion du cœur qui nous permet de nous réclamer comme fils de ceux qui ont fondé la puissance et la gloire de la France !
« Les Anglais établissent actuellement un service de communications régulières entre le Cap et l’Angleterre. Elles seront d’une grande célérité : trente-trois ou trente-quatre jours ; déjà quelques paquebots ont exécuté la traversée dans ce temps. Ce sort des bâtiments à hélice qu’on y emploie. Le Cap ne sera par la suite qu’une station et les paquebots poursuivront jusqu’à Maurice, puis Ceylan ; d’autres doivent aller à la Nouvelle-Hollande. On ne saurait se défendre d’envier cette puissance et cette habileté, et si la fin de l’Angleterre n’était pas, au prix de tant d’efforts, de placer du calicot, il faudrait s’incliner devant une supériorité justifiée dans son but comme dans ses moyens. Que le commerce soit, non un moyen de grandeur, mais la grandeur d’un pays, c’est impossible, et ce sera un jour le point de vue auquel on jugera ce peuple qui applique à de si petits intérêts une puissance si considérable. »
Le Cassini quitta le Cap le 3 mai. On était donc au mois de Marie, ce qu’on n’eut garde d’oublier. Chaque soir, quand le soleil avait disparu dans les flots, on se rassemblait en famille devant l’autel de Marie, dressé dans la chapelle de la dunette, et là on priait de tout cœur et l’on chantait à pleine voix des cantiques à la louange de l’auguste Mère. Marins et passagers affectionnaient beaucoup un refrain en harmonie avec leur situation :
Exilés de notre patrie,
Nous voguons au milieu des flots ;
Soyez notre étoile, ô Marie,
Soyez aussi notre repos.
On arriva ainsi à Bourbon le 21 mai. Mgr Desprez débarqua le 22 au matin ; salué par le canon du Cassini, il fut reçu à terre par le commandant des troupes de la garnison, lieutenant-colonel de Cendrecourt ; après quoi on le conduisit processionnellement à sa cathédrale, où il prit possession de son siège dans les formes canoniques. « La cérémonie, écrit Alexis, a été fort belle, tant par la pompe auguste qui est le propre de nos solennités religieuses, que par le concours d’un grand peuple qui accueillait une autorité nouvelle dont il pressentait, sans la comprendre, la tendresse paternelle et la tutélaire sollicitude. Mais l’allocution de Monseigneur, dans laquelle il a tracé son plan de conduite et son but, était le chef-d’œuvre de la fête, parce qu’on y voyait toute sa charité sous une forme simple, et qu’il s’est montré en peu de mots tel que notre commerce continuel du bord nous l’a fait connaître. » Il y avait bien quelque ombre au tableau. A propos d’un article de journal « qui eût été parfaitement à sa place dans le National, » Alexis ajoute : « Quel triste spectacle de voir encore aujourd’hui ce qui est le plus élevé dans la société donner l’exemple non pas seulement de l’indifférence, mais de l’agression contre notre sainte religion ! Un pays où le gouvernement, la justice, l’enseignement sont antichrétiens, n’est-il pas bien près d’être un état païen ? »
Une autre lettre roule sur la mission de Madagascar et sur les espérances de colonisation qu’elle fait concevoir. On sent vibrer très-fort la fibre française dans cette causerie intime et familière.
« Il paraîtrait qu’on y essaie (à Madagascar) un nouveau système de colonisation, ou, pour mieux dire, sans système, on suit une marche que la nature des choses indique, mais qui est nouvelle. Ainsi, il ne s’agit ni de réduire les indigènes en servitude, ni de les détruire par la guerre, parce qu’ils sont belliqueux ; il faut les enseigner et les rendre colons de leur terre. Il y a dans ces différents points des missionnaires jésuites, ouvriers infatigables, qui sont le moyen de cette fondation nouvelle. On n’a pas, je le répète, adopté systématiquement cette méthode ; elle est suivie parce qu’elle est possible. Aujourd’hui le gouverneur de Mayotte, qui a autorité sur les autres possessions, est un homme distingué qui paraît bien comprendre la position. Le climat de Madagascar est meurtrier aux Européens ; les missionnaires ont fait de Bourbon leur hôpital ; ils s’y rallient, fatigués et fiévreux, y réparent leurs forces et leur santé, et retournent au combat jusqu’à la mort. Leur hôpital est en même temps un collège ; ils ont là une quarantaine de jeunes Malgaches, petits nègres qui, malgré leur couleur, ont l’air d’être de bons enfants. On leur apprend à lire, à écrire, la religion et un métier, et puis, une fois hommes, on les établit chez eux. Et si ceux-là n’aiment pas un pays qui leur envoie des maîtres si dévoués, — qui, au prix de leur vie, car on finit toujours par y laisser ses os, leur apprennent à vivre au physique et au moral, — ils seraient bien ingrats. Mais s’ils savaient quels sont les moyens ordinaires de colonisation, que ne diraient-ils pas à notre louange ?
« Cependant, près de ce collège, les sœurs de Saint-Joseph élèvent dans le travail et la vertu une quarantaine de petites filles malgaches, épouses probables de nos gamins. Le coup est bien monté, et ces pauvres Malgaches, qui n’y entendent pas malice, sont capables de se laisser tous prendre comme des enfants, quand ils verront les fruits de la civilisation chrétienne. Pourquoi, hélas ! y a-t-il en France tant de lieux où le spectacle en serait aussi nouveau qu’à Madagascar ?
« Je m’arrête avec douceur sur cette idée. Puisque les enfants sont encore entre les mains de leurs maîtres et maîtresses, je ne parle que de mes désirs, de mes espérances, si l’on veut de mes rêves. Mais quand le succès ne répondrait pas à l’espérance, cela ne diminuerait pas le mérite de l’entreprise. C’est là où j’aime notre généreuse patrie ; elle emploie sa supériorité à protéger, non à asservir. L’échelle est petite ici, il est vrai, mais ce n’en est pas moins un noble usage de sa puissance. Les autres peuples peuvent être et sont la plupart du temps plus habiles colonisateurs ; ils ne sauraient être, comme nous le sommes, de vrais civilisateurs. »
Vers le milieu du mois de juin, le Cassini dut songer à reprendre sa course vers l’Inde et la Chine. M. l’abbé Cambier n’était embarqué que pour Bourbon ; un instant pourtant, il espéra pouvoir retarder une séparation qui lui brisait le cœur. Si la corvette l’Eurydice était arrivée quelques jours plus tard, le digne aumônier suivait le Cassini jusqu’en Chine. Le départ était bien proche, lorsqu’on signala au mât de la direction du port un bâtiment de guerre français ; une heure après un second signal indiqua son numéro : c’était l’Eurydice.
« Je vis de loin s’approcher cette corvette, écrit-il dans son journal, et cette vue me troubla le cœur. Que va-t-il arriver ? Mon Dieu, me disais-je, n’exigerez-vous pas de moi un nouveau sacrifice ? Donnez-moi la force de l’accomplir ! »
« Le 15 juin, poursuit M. l’abbé Cambier, vers les 10 heures, une embarcation vint de l’Eurydice au Cassini. Un élève monta à bord et remit au commandant un pli du commandant de la station. Ce pli n’était rien moins qu’un ordre de débarquement du Cassini pour passer sur l’Eurydice en qualité d’aumônier de la station navale de la Réunion, et cela dans les vingt-quatre heures. Toute réclamation était inutile. Dieu me demandait un sacrifice, je devais lui obéir ; puissé-je l’avoir fait d’une manière méritoire pour le ciel ! Des larmes furent versées de part et d’autre ; pour moi, je pleurai le plus… Et quand vint le moment de la séparation, ce n’étaient plus seulement des pleurs, mais des sanglots que mon cœur déchiré ne put retenir.
« Le surlendemain, le Cassini levait l’ancre et quittait la rade de Saint-Denis. Je n’eus pas assez de courage pour le voir partir. Quand je montai sur le pont de l’Eurydice, on apercevait encore à l’horizon une colonne de fumée qui se perdait dans le lointain. Cette fumée venait de la machine du Cassini, il n’en fallut pas davantage pour faire couler de nouveau mes larmes. Je descendis dans ma chambre, et cette journée tut une des plus tristes que j’aie jamais passées depuis que j’ai pu savoir ce que c’est que la douleur et les peines du cœur. »
Ces lignes, que nous avons tenu à citer, sont le plus bel éloge du Cassini, et on ne les lira pas sans éprouver une respectueuse sympathie pour celui qui les a écrites et qui savait aimer les âmes d’une affection si tendre et si pure dans le Seigneur.
Le 14 juillet, le Cassini mouillait devant Achem (Achin), capitale d’un royaume du même nom situé à l’extrémité nord-ouest de l’île de Sumatra. Il s’agissait d’obtenir satisfaction pour l’accueil peu hospitalier fait à un navire napolitain, la Clémentine, dont le capitaine, le second et le lieutenant avaient été victimes d’un affreux guet-apens, le tout avec accompagnement de vol et de pillage [4]. Clerc fut envoyé en corvée, à la recherche du sultan et de sa capitale. Les géographes parlent d’une ville de 20,000 âmes, d’une flotte de 5oo voiles, d’une armée de 60,000 hommes qui ont fait, de moitié avec les Hollandais, le siège de Malacca. De tout cela il n’aperçut aucun vestige et se demandait si ce n’étaient pas des contes faits à plaisir. Cependant, rien n’est plus certain, les sultans d’Achem furent assez forts au xvie siècle pour chasser les Portugais de l’île, et ils recevaient à cette époque des ambassades de tous les États de l’Europe. Il y a plus : depuis la visite du Cassini, cette puissance déchue a relevé l’honneur de son drapeau, et, tout récemment, les Hollandais ont dû s’y reprendre à deux fois et renforcer leurs bataillons pour ne pas reculer devant elle. Ce que virent nos compatriotes en 1851, ne faisait nullement pressentir un pareil retour d’énergie et d’humeur guerrière.
Le premier soin de Clerc, arrivé à terre, est de se procurer un interprète ; il en trouve un qui sait quelques mots de français et s’en contente faute de mieux. Ensuite il se met à la recherche du sultan, découvre son palais, non sans peine, et obtient une audience. A peine a-t-il exposé le but de sa mission que le monarque malais fait tirer d’un coffre un étui, et de cet étui un papier attestant la bonne amitié qui règne entre le sublime sultan et l’empereur de France, Louis-Philippe. « Ne sachant pas trop, dit Clerc, comment témoigner du respect pour cette pièce souveraine, j’ai baisé le papier solennel. Et aux demandes qu’on me fit au sujet du roi, j’ai été très-heureux de pouvoir répondre qu’il était mort ; car, de faire comprendre à ce digne sultan que nous congédions nos rois, comme on ne fait pas un domestique, cela m’a paru trop difficile ; il eût cru avoir été mystifié et que son papier n’avait aucune valeur. »
Le lendemain, audience solennelle donnée au commandant du Cassini, qui vient accompagné d’un nombreux état-major. Quand on demande au sultan ce qu’il fera pour punir les coupables, qui sont des hommes de Dahia, après avoir décliné toute participation aux faits qui leur sont reprochés, il répond qu’il n’y peut absolument rien. L’interprète étant incapable et le sultan mal disposé, on se sépare peu satisfait. Le jour suivant, après échange de cadeaux, le Cassini part pour Poulo-Pinang ; là il se procure un interprète plus habile et complète sa provision de charbon ; puis, retournant à Sumatra, il passe devant Achem sans s’arrêter et s’en va mouiller en vue de Clouang.
« Il n’est pas, dit Clerc, de pays plus beau que celui-ci ; il est très-fortement accidenté et la végétation la plus riche couvre toutes les montagnes jusqu’à leur cime ; les arbres y poussent pour ainsi dire jusqu’à la mer. Nous avons défilé tout cela à très-petite distance. Clouang en particulier est remarquable pour sa beauté. Le mouillage est entre une île escarpée et un gros morne couvert d’arbres ; en face est une plage basse et fertile, où se trouve une rivière qui, ainsi que l’île et le pays, porte le nom de Clouang. D’autres mornes, sur un p !an peu reculé, ressortent sur cette plaine et font concevoir les avantages d’un pays fertile et bien arrosé.
De Clouang, on se rend à Dahia ; et là l’interprète est envoyé à terre, avec sept hommes de l’équipage, pour présenter au rajah une lettre par laquelle le commandant déclare qu’il veut atteindre les coupables sans frapper les innocents. Les deux coupables se trouvant effectivement à Dahia, une fois l’interprète revenu à bord, on arme deux canots en guerre et Clerc, à la tête de la compagnie de débarquement forte de cinquante hommes, est chargé de s’emparer du chef malais qui a commis le meurtre. Laissons-le nous raconter lui-même cette petite expédition :
« Nous trouvons à la barre de la rivière un courant d’une extrême rapidité ; les eaux étaient grossies par les pluies (occasionnées par la mousson sud - ouest). Pendant deux heures entières nous avons lutté sans succès contre cet obstacle inattendu, à portée de pistolet de terre ; mais j’avais déjà vu assez les Malais à Achem pour n’être pas effrayé de cela, d’autant plus que ce courant nous eût bientôt dérobés à leurs coups, si nous eussions voulu les éviter. Dans cette longue lutte, j’ai une fois échoué mon canot sur un banc de corail qui forme la barre et qui rend le courant si rapide : j’étais déjà au-dessus ; nous avons couru le plus grand danger de nous remplir et de nous briser : le canot était jeté d’un bord sur l’autre. Mais les matelots sont restés calmes à leur place, et la main qui protège le Cassini, a, par une petite lame, soulevé le canot qui, poussé par le courant, a franchi cette digue et est revenu à l’assaut de la rivière. Enfin nous mettons pied à terre. J’envoie six hommes avec un élève en embuscade, et ayant pourvu à la garde des canots, je me dirige avec le reste sur le fort de Kerjéroun-Siadom. Il ne nous en coûte que d’ouvrir ou d’enfoncer les portes : personne. Nous allons à son habitation : personne. Mais alors j’entends des coups de fusil ; ma recherche est finie, je reviens inquiet au rivage et je rencontre mon embuscade qui, malgré des ordres formels de ne faire feu qu’en cas d’attaque, avait tiré sur des fuyards. Heureusement personne n’a été atteint. Nous avons passé la rivière et fait une visite aussi infructueuse chez l’autre coupable, Etadji-Malot. Puis nous sommes revenus à bord. Le lendemain, avant de partir, nous avons brûlé les maisons de ces deux hommes. » Pour le faire court, dès qu’il sut ce qui se passait à Dahia, le sultan se montra plus traitable, et peu de temps après il s’engageait, dans une convention par écrit avec le commandant du Cassini, à poursuivre, par les moyens en son pouvoir, les lâches agresseurs de la Clémentine.
Le gouvernement napolitain, informé de ce qu’on avait fait pour infliger aux coupables un châtiment exemplaire, envoya la décoration de Saint-Georges de la Réunion à M. de Plas et la croix du Mérite de Naples à son lieutenant. Alexis ne porta jamais cet insigne d’honneur, qui lui arriva en France au moment où il quittait l’uniforme pour se revêtir des livrées de Jésus-Christ.
Après avoir touché de nouveau à Poulo-Pinang et fait relâche à Singapour, le Cassini entrait enfin dans la mer de Chine et, vers la fin du mois d’août, il venait mouiller devant Macao, ville déjà presque toute chinoise et porte du Céleste Empire. Jusque-là Clerc avait bien rencontré sur sa route un assez grand nombre de Chinois ; il en avait vu à Bourbon et à Sumatra comme à Poulo-Pinang et à Singapour, et il avait admiré leur aptitude remarquable à s’établir selon leurs convenances et à porter partout la Chine avec eux. Mais à Macao il les voyait en masse et chez eux, et son esprit observateur promenant sur eux un regard curieux, il était frappé de leur physionomie originale et tant soit peu grotesque. Il faut pardonner cette faiblesse à un franc Parisien comme lui, mais il eut tout d’abord une véritable explosion d’hilarité et son rire alla retentir jusqu’à Paris.
« Je veux te dire quelques mots du Céleste Empire, à la porte duquel nous sommes. Je n’en ai pas vu grand’chose, mais j’ai vu des gens qui connaissent mieux la Chine que les Chinois eux-mêmes, le P. Hue, dont tu as lu l’ouvrage, et d’autres missionnaires qui ont eu des aventures analogues.
« D’abord, le plus exact modèle du Chinois, c’est le Chinois connu sous le nom de Chinois de paravent. C’est à en pouffer de rire quand on rencontre les originaux de ces portraits si cocasses. Les voyageurs ne sont pas tous véridiques, on s’en aperçoit de reste quand on visite les pays lointains leurs descriptions à la main ; mais heureusement ils n’ont pas inventé la queue des Chinois. Il est très vrai, pour désopiler la rate des étrangers, qu’ils portent tous ce meuble singulier. Notez bien que ce n’est pas une de ces petites queues de rat comme on en portait avec les ailes de pigeons ; celles-ci sont des queues d’un magnifique développement et pendent jusqu’à la cheville. Les Chinois sont très-capables de frauder ; aussi je crois qu’il y a bien des queues qui ornent un autre chef que celui qui les a nourries ; mais ils ont en général de beaux cheveux. Enfin, à eux ou non, ils en tirent le parti de s’en faire une cravate quand ils en sont embarrassés.
« Mais tout grotesque qu’il est, c’est un marchand fin, actif et économe que le Chinois, et aussi un ouvrier que l’on ne peut surpasser. Ce caractère est très-remarquable. Le Chinois vit avec un peu de riz, il porte des vêtements de très-peu de valeur et l’on peut dire qu’il réunit les contrastes : il est paresseux et aussi très-actif, très-sobre et très-gourmand, très-ingénieux et très-borné, mais il est surtout fin et insinuant. On fait grand bruit de l’établissement que les Anglais ont fondé à Hong-Kong ; je crains que le bénéfice n’en soit pas pour eux. A coup sûr, les gros mandarins qui, après s’être enrichis, courent la chance presque certaine d’être au moins exilés et dépouillés, sinon pis, feraient que sage de sauter à Hong-Kong, qui est si près, et d’y acheter quelque palais.
« Les Anglais entendent, il est vrai, parfaitement la colonisation, et ils ont découvert que la première condition était que les colons pussent vivre de la recherche de ce qu’ils appellent le confort ; tandis que nous sommes campés dans nos colonies, eux son établis, et ils ont grandement raison : ces climats n’arrivent que trop vite à nous énerver. Mais à Hong-Kong ils ont dépassé, je crois, ce qui est bien, et bâti une ville de palais. Telle maison de commerce a, par exemple, dépensé pour la construction de ses bureaux 150,000 piastres (la piastre vaut ici 6 fr. 25). Il faut faire beaucoup de marchés pour couvrir de telles avances et des frais généraux à l’avenant. Aussi les étrangers anglais et américains — ce sont à peu près les seuls — font-ils seulement le grand négoce, et tout le reste est fait par les Chinois. Mais je crois que ce sont les fourmis blanches de la ville, et qu’elles la mineront. »
Ce qui le frappe par-dessus tout, c’est la supériorité des Chinois dans le commerce de détail et la petite industrie : « Les épiciers de Paris, à qui de mauvais plaisants ont fait une réputation drolatique, ne sont que des écoliers au prix. L’habileté des Chinois aux ouvrages des artisans est très-remarquable ; il est étonnant de voir le bon marché de certains travaux en bambous »
Mais le jugement d’ensemble est moins favorable : « Toutes ces petites qualités ne font pas une petite vertu et, en somme, c’est un misérable peuple qui, d’artisan, n’a jamais pu et ne pourra jamais devenir artiste ; qui n’a et n’aura jamais la vertu, le courage militaire ou civil, et qui, de la mesquine érudition où il s’élève, n’atteindra jamais à la science ; qui vit dans l’abaissement du paganisme le plus matériel, le plus étroit, le plus sot, pendant que, depuis plus de deux cents ans, il n’a pas cessé d’être évangélisé par des prêtres catholiques. »
A ce portrait peu flatté, Clerc ajoute certains traits moins déplaisants dans la lettre suivante, également datée de Macao (29 novembre 1851) : « S’il est un spectacle extraordinaire pour nous, qui poussons l’ardeur de l’aventure, la soif de la nouveauté jusqu’à l’horreur de la tradition, c’est, à coup sûr, ce peuple immobile qui en est à la stupide adoration de l’usage quand même il le sent et le reconnaît mauvais. Politiquement et philosophiquement, c’est le trait caractéristique de ce peuple. C’est aussi le secret de sa vie, et, sans contredit, la Chine est une éclatante démonstration de la grande importance de la fixité dans les institutions. Telle a été la cause de la conquête que la Chine a faite de tous ses conquérants. Pour certaines personnes, — pour qui le mot de patrie ne signifie guère que le sol que nous foulons, et qui conçoivent la patrie indépendante des gloires et des institutions du passé, — cet exemple remarquable serait la meilleure preuve que c’est précisément là qu’est la source de la longévité des nations. »
La vie que menait Clerc à Macao n’était pas tout à fait oisive ; il savait trouver de l’occupation partout, et il avait avec lui ses livres, ses chers livres, sa Somme de saint Thomas, les œuvres de saint Bernard en latin, que sais-je enfin ? certainement une partie des œuvres de Bossuet ; témoin un cahier couvert de son écriture, portant cette indication : à bord du Cassini, et contenant une analyse très-détaillée de la Connaissance de Dieu et de soi-même.
« Le Cassini, écrivait-il, est depuis ma dernière lettre en mouillage à Macao. Les événements que tu désires que je te marque sont donc très-peu importants. C’est la vie ordinaire d’un bâtiment : des exercices de toutes sortes. Cependant je dois dire, car j’en ai une grande joie, que tu partageras, j’espère, que tous ces travaux ne sont pas stériles, et que le bâtiment commence, à bon droit, à être fier de lui. Il peut se flatter que tout autre ennemi de même force n’aurait pas beau jeu à s’y attaquer. Je le dis d’autant plus volontiers que tout (ce mot est souligné par lui) l’honneur en revient au commandant, qui est le plus accompli des chefs. »
En bon chrétien, le commandant de Plas renvoyait à son lieutenant Clerc une grande partie de l’honneur. Nous n’avons pas compétence pour décider cette question entre eux, et nous constatons seulement qu’ils vivaient en parfaite harmonie de vues et d’action, ce qui, sans doute, était pour beaucoup dans le résultat si satisfaisant dont chacun d’eux attribuait généreusement le mérite à l’autre.
Le zèle religieux de Clerc trouvait amplement à s’exercer sur un bâtiment dont le personnel était parfaitement choisi, mais où plusieurs, particulièrement parmi les jeunes officiers et les élèves de marine, avaient besoin d’être raffermis dans la foi et doucement attirés à la pratique. Avant tout, notre lieutenant prêchait d’exemple, et la grande charité dont il usait envers ses camarades leur inspirait une sympathie qui devait ajouter beaucoup d’efficace aux insinuations de son zèle. « Dès que nous avions jeté l’ancre dans un port, racontent des officiers de marine, qui ont navigué avec lui, et quand la permission d’aller à terre était donnée, M. Clerc avait l’habitude de s’offrir pour remplacer l’officier de quart, afin de lui laisser la liberté de profiter immédiatement d’une permission si agréable à tous les marins. Et lorsque M. Clerc descendait lui-même à terre, si nous le suivions à quelques pas de distance, nous étions assurés de le voir bientôt entrer dans une église, car sa première visite était toujours pour le bon Dieu [5]. »
Sa piété fut servie à souhait pendant son séjour à Macao, car MM. les Lazaristes y avaient leur procure et les Sœurs de Charité y étaient établies depuis quelque temps. Il y avait aussi dans cette ville deux Pères Dominicains, faisant les fonctions de procureurs pour les missions de leur ordre en Cochinchine. Alexis ne tarda pas à se lier avec les missionnaires espagnols et français. Pendant un second séjour qu’il fit à Macao, les Lazaristes étant partis pour Ning-po (juin 1852), il entra dans une plus grande intimité avec les Pères espagnols Ferrando et Fuixa, et il eut la satisfaction de trouver en eux des hommes qui joignaient une rare instruction à une solide piété.
L’un de ces religieux, le P. Ferrando, voulait bien se rendre à bord du Cassini pour y célébrer le saint sacrifice de la messe. Il y venait par tous les temps, bons et mauvais, et même lorsque la mer était fort grosse. Le lieutenant Clerc servait la messe en uniforme, après avoir fait défiler la compagnie de débarquement qu’il commandait. Il garda cette habitude pendant toute la campagne, alors même qu’il y avait parmi les passagers des Frères des écoles chrétiennes tout disposés à le remplacer dans cet emploi pour lequel leur habit semblait mieux fait que le sien. Sur quoi le commandant du Cassini ajoute avec beaucoup d’à-propos : a L’esprit fin et la charité sans mesure d’Alexis Clerc, toujours prêt à obliger ses camarades, rendaient possible chez lui ce qui, chez d’autres, aurait été peut-être l’occasion de taquineries, sinon de querelles de la part des officiers. Mais il n’en fut jamais ainsi. »
On soupçonnera, et à bon droit, le commandant de Plas d’être tant soit peu partial pour son cher lieutenant. C’est pourquoi nous invoquerons le témoignage d’un marin beaucoup plus jeune, alors simple élève de marine. A cet âge, on est très-observateur et l’on ne pêche guère par excès d’indulgence.
« Dès que je fus à même de connaître M. Clerc, nous dit ce dernier témoin, je le vis ce qu’il a été toute la campagne : actif et vigilant au service, simple et aimable dans ses relations, maître de lui-même, fidèle à la pratique de ses devoirs religieux sans ostentation comme sans respect humain. Sa démarche avait dès lors contracté quelque chose de ses dispositions intérieures. Il avait le pas ferme de l’homme qui a un grand but à atteindre et un long chemin à parcourir. Ses yeux étaient le plus souvent modestement baissés. »
Ce qui suit anticipe sur le séjour en Chine, mais il importe assez peu ; ce que nous cherchons ici, c’est l’homme, son caractère, l’unité de ses sentiments et de sa vie.
« Durant nos tournées, quand, à notre arrivée, il y avait quelque dîner ou quelque soirée, M. Clerc les évitait en tant que faire se pouvait. Toutefois, s’il y avait là un devoir à remplir, un service à rendre, il le faisait de bonne grâce, avec cette gaîté et cette amabilité qui ne l’ont même pas abandonné dans le triste séjour de Mazas. Il ne descendait que rarement à terre par distraction ; il était le plus souvent dans sa cabine, travaillant et lisant. C’est ainsi qu’il s’essayait à la vie nouvelle de renoncement qu’il voulait embrasser. »
Ces lignes nous viennent de la chartreuse de Reposoir, en Savoie, où M. S. de G***, qui nous les adresse, achève sa carrière parmi les enfants de saint Bruno, après avoir atteint lui-même le grade de lieutenant de vaisseau. Rare et singulière rencontre ! Ces trois marins, d’âge et de grade différents, M. de Plas, commandant du Cassini, Alexis Clerc, son lieutenant, et M. de G***, l’élève de marine, tous les trois, un peu plus tôt, un peu plus tard, devaient dépouiller les livrées du siècle et se consacrer à Dieu dans l’état religieux. Deux Jésuites et un Chartreux, ce n’est pas mal pour un seul état-major ! Clerc était alors le seul des trois à peu près fixé sur sa vocation. Il se trouvait là, comme on voit, en bonne et digne compagnie, et ne s’était pas trompé en disant à qui voulait l’entendre, avant de s’embarquer sur le Cassini, qu’il allait y faire un premier noviciat.
Pendant plus d’une année, le Cassini ne put s’éloigner de Macao, où il avait son mouillage, que pour y revenir stationner longuement, sans utilité pour la mission qu’il avait reçue au départ. Cette inaction si contraire à tout ce qu’on s’était promis, à tout ce qu’on était encore résolu à faire, fut pour le commandant de Plas et ses généreux compagnons la plus rude de toutes les épreuves. Les nouvelles qui leur arrivaient de l’intérieur n’étaient pas faites pour calmer leur impatience. La Chine, ils ne pouvaient en douter, était en pleine révolution, en proie à tous les maux de la guerre civile. Les insurgés, favorisés par un certain réveil d’esprit national, non-seulement tenaient en échec les troupes impériales, mais gagnaient tous les jours du terrain et menaçaient d’une ruine complète la dynastie tartare. De leur côté, les impériaux ne respectaient nullement les garanties tant de fois stipulées en faveur des chrétiens, et nous avions tout sujet de leur demander compte de graves et récentes infractions aux derniers traités. Quelle que fût l’issue de la lutte, la France, qui protégeait surtout des intérêts moraux, pouvait être l’arbitre de la situation. Ce que l’Angleterre avait fait, peu d’années auparavant, dans l’intérêt de son commerce, — le commerce immoral de l’opium, — une grande nation catholique ne pouvait-elle pas le faire avec cent fois plus d’honneur pour ses missionnaires et leurs néophytes ? Si nous évitions d’intervenir dans la politique intérieure du Céleste Empire, il nous restait à remplir un devoir d’humanité compatible avec la plus stricte neutralité, et personne au monde ne pouvait nous empêcher de faire la police du littoral où refluait toute l’écume des provinces voisines et où, dans le piteux désarroi des autorités locales, régnait un brigandage effréné qui pouvait se promettre toute espèce d’impunité.
Monter un navire de guerre armé de bons canons, être en mesure de débarquer d’excellentes troupes, dont la seule vue suffirait pour mettre en fuite les malfaiteurs, et avec cela être réduit, par ordre, à l’immobilité, avouez que pour des marins français qui avaient le cœur bien placé c’était un cruel contre-temps.
Le commandant du Cassini n’y pouvait rien, car, depuis qu’il était dans les eaux de Macao, tous ses mouvements dépendaient du commandant de la station, son supérieur hiérarchique. Celui-ci avait-il lui-même toute liberté d’action et ses instructions lui laissaient-elles les coudées franches ? Nous n’en savons rien. Notons seulement ceci en passant. Trop souvent nos braves marins, après avoir pris d’urgence un parti énergique dicté par l’honneur et le devoir, ont été mal récompensés de leur zèle et le gouvernement ne leur a pas toujours épargné les plus pénibles désaveux. Quoi d’étonnant qu’ils déclinent, dans l’occasion, une responsabilité toujours onéreuse et qui n’est pas sans danger ? Et puis, — autre cause de faiblesse, — nos révolutions perpétuelles, nos changements à vue de gouvernements et de ministères sont la chose du monde la plus propre à déconcerter ceux qui ont l’honneur de représenter la France et de gérer ses intérêts à quelque mille lieues de Paris. Tout à l’heure, on l’a vu, le lieutenant Clerc était dans un grand embarras en présence du sultan d’Achem qui mettait sous ses yeux un traité d’alliance portant la signature du roi Louis-Philippe, et il n’avait garde de lui apprendre que Louis-Philippe, renvoyé comme on renvoie un domestique, était mort en exil, laissant derrière lui la république. Eh bien ! du petit au grand, c’est toujours la même chose chaque fois que nous nous passons l’envie de faire une révolution, et le Cassini l’éprouvait une fois de plus pendant ce long mouillage de Macao ; car la république de 1848, vaincue à son tour, cédait déjà la place à l’empire, préparé par le coup d’état du 2 décembre. Pour des gens qui avaient reçu leur mission d’un ministère sérieux et honnête après tout, celui dont faisait partie le noble amiral Romain Desfossés, la nouvelle de ce qui se passait à Paris n’avait rien d’encourageant et la première impression dut être des plus pénibles. Un exemple entre beaucoup d’autres. On fondait de grandes espérances, à Canton et à Chang-haï, sur l’action d’un diplomate expérimenté, M. de Bourboulon, qui devait, d’après ses instructions, réclamer l’exécution des traités passés entre la France et la Chine et très-probablement obtenir quelque chose de plus. Mais, à l’annonce du coup d’état, ce haut personnage s’exprima en des termes tels que tout le monde regarda sa démission comme certaine. Heureusement, quand la situation fut éclaircie, tout s’arrangea pour le mieux ; M. de Bourboulon resta à son poste et reçut, avec le titre de ministre plénipotentiaire, de nouveaux pouvoirs dont il sut faire un usage excellent. Mais la diplomatie française n’en avait pas moins été, pour un temps, complètement paralysée.
La première lettre d’Alexis après la nouvelle du coup d’état porte la date du 2 février 1852. Voici comment il s’exprime à ce sujet.
« Nous avons appris la nouvelle du coup d’état du président de la République par les journaux étrangers, qui nous paraissent fort mal informés, probablement à cause de la suppression des journaux de Paris. Aucune lettre ni journal ne nous est arrivée. Tous nos paquets nous attendent à notre centre de station, Macao, et nous irons incessamment les recevoir.
« Je ne voudrais pas avoir fait partie de l’armée de Paris pendant cette audacieuse usurpation. Quant au suffrage universel, qui vient absoudre de telles prétentions, je n’ai pas attendu jusqu’ici pour le juger un déplorable critérium du droit ; cependant il faudra bien s’en rapporter à lui, si la grande majorité se prononce. Dans le chaos et l’anarchie où nous nous débattons, ce suffrage me paraît, tant qu’il n’attentera pas à la loi divine, le seul point, non pas de droit, mais de fait, qui puisse indiquer où réside le gouvernement de la France. Mais tout cela, comme le gouvernement de février, ou la république qui en est sortie, c’est, à mon avis, des gouvernements de fait, à qui l’on doit obéissance sous bénéfice d’inventaire, je veux dire tant qu’il n’y aura rien de mieux, sans cependant me reconnaître, si leurs actes n’y forcent pas, le droit de désobéissance et le devoir de quitter le service. Je resterais donc au service, même en supposant que je fusse en France, où ma démission serait possible, au lieu d’être ici. Mais je ne prêterai aucun serment de fidélité à ce nouveau personnage.
« L’habitude où Jules se trouve d’être en Allemagne au mois de décembre me laisse espérer, jusqu’à ce que j’aie des nouvelles, que vous êtes l’un et l’autre sains et saufs.
« Je n’accorde pas beaucoup de crédit aux récits que nous connaissons, et ils sont trop écourtés pour que l’on puisse en juger ; mais, d’après eux, je suis assez en peine de savoir avec quels hommes le président va gouverner.
« A mon sentiment, ce prince sera bien l’héritier de la politique de son oncle et leurs destinées auront quelque chose de très-comparable ; le premier a été la réaction contre les jacobins, celui-ci est pris pour combattre les socialistes. Il y a encore pour lui un beau rôle à jouer. Je n’ai pas la confiance qu’il ait ni la volonté ni la force de le remplir. » C’était voir de loin et juste. Malheureusement cette clairvoyance était peu commune. La France, affamée d’autorité, ne mesura pas sa confiance à un prince dont le passé n’avait rien de rassurant ; théoricien hardi autant que creux, toujours prêt à recommencer sa vie d’aventure en risquant non plus seulement sa liberté, ou sa tête, mais la fortune, mais l’existence même du pays qui l’avait pris pour chef et acclamé comme un homme providentiel !
Une lettre du 27 mars contient les lignes suivantes : « Mon cher père, nous allons arriver à Macao pour profiter du départ du courrier. Ma dernière lettre est de Batavia. Nous y avons reçu des nouvelles d’Europe jusqu’au 26 décembre, et l’espèce de consentement que le suffrage universel est venu donner comme sanction au coup d’état du président. Les étrangers que nous avons vus depuis ont tous l’air de croire que c’est là un mieux dans notre état. Pour nous il y aura, quand même nous en tirerions profit, une sorte de honte d’être tombés si bas qu’il ne faille pas un César d’un plus noble aloi pour nous dominer. »
Et une lettre du 13 avril : « Tu me parles avec douleur des proscriptions présidentielles. Sans plaindre beaucoup les soi-disant victimes : je déplore cette sévérité dictée par les sept millions cinq cent mille suffrages. Mais je suis dégoûté de l’espèce de curée que lui donnent certains journaux. Il n’est plus besoin d’exciter le pouvoir à la rigueur ; il est assez armé pour n’avoir pas besoin de ce faible appui de la voix d’un journaliste. »
Une réflexion glissée dans la lettre suivante n’est pas sans valeur, au moins comme argument ad hominem. « Je vois, par tes lettres, que tu regrettes beaucoup le gouvernement républicain. En réservant mon opinion personnelle, qui est de nul poids dans l’affaire, il me semble que sa base est le suffrage universel, et que les plus républicains sont ceux qui, après ces votes répétés de décembre et des élections à l’assemblée législative, doivent le plus regarder le nouveau gouvernement comme légitime. »
Au moment où il écrivait ces lignes, Clerc revenait d’un voyage à Manille, enchanté de tout ce qu’il avait vu et en particulier d’un régime colonial qui, pour n’avoir rien de républicain, n’en était pas moins civilisateur.
« C’est ici, je crois, le type de toutes les colonies faites ou à faire. Les Espagnols ont infusé aux Tagals leurs qualités dominantes, l’attachement à la foi et l’esprit militaire. Si on ne voyait la couleur un peu foncée de la peau, à la manœuvre des troupes, à leur démarche assurée, on croirait voir des soldats européens. Leur bravoure a été souvent éprouvée et n’a jamais fait défaut lorsqu’ils ont été conduits par des officiers espagnols. Par une coïncidence qui peut paraître singulière, les Espagnols ont retrouvé ici pour ennemis les musulmans et ils se battent contre les Moros comme ils faisaient chez eux du temps de la fameuse Isabelle. » Les Moros en question ne sont autres que les Malais des îles Soloo (ou Solo, comme disent les Espagnols), brigands de mer qui exercent la piraterie sur toutes les côtes et emmènent en captivité des populations entières. Dans la dernière expédition des Philippins contre ces forbans, on avait vu se joindre aux troupes régulières des volontaires levés, instruits, disciplinés, conduits et commandés par leur curé, le P. Hanez, de l’ordre des Augustins. « Ils montaient, raconte Clerc, une flottille qui s’est réunie à San-José, à celle du général Urbiztondo. Je m’imagine facilement l’allégresse qu’a dû causer cette réunion et la confiance que le général devait prendre dans l’exécution d’un projet auquel ce peuple s’associait si chaudement. Cette petite croisade, grâce à la simplicité des croisés, — qui ne se doutaient pas du beau titre que je leur donne et qu’ils méritent, — et à la vigilance du pasteur, donna le modèle d’une armée chrétienne. Ils rem plissaient tous leurs devoirs de religion comme s’ils eussent été dans leur pays. Le jour de l’action venu, le P. Hanez, qui les commandait toujours, les conduisit à l’assaut en même temps que M. Garnier (officier français d’un rare mérite) ; il y reçut un coup mortel et expira peu après. »
Enfin, après une longue attente, Clerc va être soulagé du poids de son inutilité. Le Cassini ira à Chang-haï, de conserve avec la Capricieuse, corvette à voiles à laquelle il servira de remorqueur. A bord de la Capricieuse, commandée par M. de Rocquemaurel, chef de la station, s’installe la légation française, composée du ministre, de sa femme, de son secrétaire et d’un interprète. Quant au Cassini, il porte le procureur des Lazaristes et dix Sœurs de Charité, pieuse colonie que l’on débarquera à Ning-po. L’horizon s’est donc éclairci, et une douce joie brille à bord ; on en retrouve les reflets dans la lettre suivante : « Cette traversée, par le charme des vertus aimables de nos passagères, a été la plus agréable que nous ayons faite. Ce parfum de sainteté que les communautés religieuses conservent précieusement et que le monde ignore, nous était offert, et rien n’est doux et touchant comme ce dévouement si complet et si simple des filles de la Charité. Cette absence de tout petit manège féminin, ce désir de s’employer pour rendre service et non pour paraître utile, cette gaîté si douce et si égale, ce sont là des qualités qui faisaient de leur commerce un plaisir pour chacun de nous. Quant à leur piété profonde, leur dévotion éclairée, il ne m’appartient pas d’en faire l’éloge ; c’est cependant là le secret de toutes leurs autres qualités, la source d’où s’écoulent ces ruisseaux limpides et, plus exactement, la souche qui nourrit ces rameaux féconds. »
Clerc satisfait ici lui-même « ce désir de s’employer pour rendre service, et non pour paraître utile, » qu’il admirait dans les filles de la Charité. Il ne nous dit pas, et pour cause, comment leur débarquement s’est effectué. Mais le commandant du Cassini, qui n’a pas les mêmes raisons de se taire, nous raconte ainsi le fait en détail : « Alexis Clerc rendit d’immenses services au commandant du Cassini durant toute la campagne. Je n’en indiquerai que quelques-uns des plus marquants. En juin 1852 le Cassini dut recevoir à bord le R. P. Guillet, Lazariste, supérieur des Sœurs de la Charité, ainsi que dix Sœurs destinées pour Ning-po. Le bâtiment ne se prêtait guère à cette destination ; mais, grâce à la simplicité des bonnes Sœurs et à la courtoisie pleine de convenance de l’état-major, les choses se passèrent aussi bien que possible, et le Cassini put débarquer son précieux chargement à Ning-po. Ce n’était pas facile de mettre à terre des femmes européennes dans une grande ville très-peuplée [6]. On pouvait même craindre une sorte d’émeute lorsque les autorités et la population sauraient que ces femmes étaient des religieuses. Il fut donc décidé que leur débarquement aurait lieu la nuit dans un lieu peu fréquenté, où des chaises à porteurs pourraient les soustraire tout de suite aux regards des curieux. Alexis Clerc se chargea de l’opération et fut secondé par M. Joyant de Couesnongle, son ami, officier d’administration. Tout réussit à point. Le temps pluvieux fut même regardé comme une circonstance favorable, et vers 10 heures du soir les Sœurs étaient installées dans la maison qui leur avait été destinée. »
Après une navigation laborieuse, on arrive à Chang-haï. Alexis annonce à son père cette bonne nouvelle : « Nous sommes arrivés le 28 (juin) à Chang-haï, le port le plus au nord de ceux qui sont ouverts aux Européens, et celui par lequel la Chine sera probablement le plus entamée par l’Europe. D’abord, l’importance commerciale de ce point, déjà très-grande, est dans une voie d’accroissement dont on ne peut apprécier le terme. La ville de Chang-haï est du second ordre ; elle est située sur le Wam-pou, affluent du Yang-tsé-Kiang. C’est un pays parfaitement plat et formé par les alluvions du fleuve. Du haut d’une pagode à neuf étages, à deux lieues de Chang-haï, on voit quelques buttes qui sont un lieu de promenade pour les Anglais. Ces plaines immenses sont sillonnées par un nombre infini de canaux. Les canaux sont les vrais chemins de la Chine ; nous n’avons aucune idée en Europe de la profusion avec laquelle ils sont répandus ; ils servent beaucoup pour l’irrigation. Les champs sont bien cultivés et il n’est aucun terrain perdu que celui des tombeaux. »
Voilà tout ; de la mission des Jésuites, pas un mot. Alexis a sans doute ses raisons pour ne pas attirer prématurément son père sur ce terrain brûlant ; car déjà il doit pressentir que son séjour dans cette mission, terme heureux et béni d’un si long voyage, ne sera pas sans résultat pour la grande affaire de sa vocation.
[1] Clerc avait alors trente et un ans passés ; sa petite taille et son enjouement habituel le faisaient probablement paraître plus jeune.
[2] Ici je suis, ou plutôt je transcris fidèlement les notes du commandant de Plas, que j’ai sous les yeux.
[3] Une fois pour toutes, la plupart des lettres d’Alexis pendant ce voyage étant adressées à son père, nous ne le répéterons pas chaque fois ; ayant soin néanmoins d’avertir le lecteur lorsqu’elles seront adressées à quelque autre personne.
[4] Les pillards avaient fait main basse sur une valeur métallique de 22,000 piastres, dont le commandant du Cassini réclamait la restitution.
[5] Témoignage recueilli par le P. Thébault, de la bouche de deux officiers, à bord de l’Erigone, en 1855.
[6] La population de Ning-po, ou mieux Ning-po-fou (car c’est une ville de première classe), s’élève à cinq cent mille âmes.
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