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29/06/2013

VIE DU PERE ALEXIS CLERC PAR CH. DANIEL (Chapitre 4)

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CHAPITRE IV.

 

alexis clerc pendant les événements de 1848.

 

 

alexis a son frère jules.

 

Ier Mars 1848.

 

« Que te dirai-je, mon cher Jules ? Sais-je bien ce que je pense ? Que reste-t-il encore debout après cette tempête qui emporte d’un coup et les hommes et les institutions ? Où en êtes-vous, où vous arrêterez-vous ? Vous voulez renverser un ministre, et vous renversez la monarchie ! Pensez-vous à cette masse incalculable à qui vous imprimez un élan ? Où trouver la force qui la réduira au repos ? Faudra-t-il encore d’aussi cruelles oscillations que celles que nous avons vues, pour qu’elle y revienne spontanément ? Il faut cinq heures pour anéantir un si laborieux ouvrage ! Où trouverons-nous maintenant la confiance dans la chose établie ? C’est la dixième révolution depuis 89. C’est cinq ans de durée moyenne. Que d’argent !que de sang ! Et pourquoi ? Pleurons sur un pays où dix gouvernements successifs n’ont pas su, même au dernier moment, faire la concession qui leur eût sauvé la vie. Pleurons sur un pays qui ne peut conquérir pacifiquement ses droits.

« Je ne regrette ni Guizot, ni Louis-Philippe, je suis effrayé de leur chute ; mais je suis bien plus effrayé de l’avenir prochain, peut-être déjà du passé pour vous.

« Ce n’est pas une révolution politique que vous avez faite, c’est une révolution sociale. Vous direz, vous dites peut-être :l’ex-bourgeoisie, comme on a dit les ex-nobles.

« Voilà le peuple, l’ouvrier, le prolétaire sur le pavois. Ces flots d’envahisseurs montent-ils au pouvoir, ou font-ils descendre le pouvoir jusqu’à leur niveau ? Oui, certes, si la noblesse était injuste et tyrannique envers les autres classes, la bourgeoisie l’était envers les prolétaires ; mais ceux-ci seront-ils plus justes ? L’injustice est-elle dans ce que cent en souffrent ou cent mille ? L’injustice de la bourgeoisie était de l’égoïsme et de l’indifférence ; l’autre sera-t-elle de la haine et de la cruauté ? La bourgeoisie était peu morale et peu éclairée, mais nos nouveaux maîtres, qui les mettra soudain au niveau même des bourgeois ?

« Votre gouvernement provisoire qui s’est improvisé lui-même, qui prétend à ne plus faire comme en 1830, à consulter réellement l’opinion de la France, proclame la république ! Notre vote n’est déjà plus qu’une sanction. Ne nous trompons pas et ne nous laissons pas tromper par des mots : il n’y a pas de révolution sans qu’à la suite il n’y ait escamotage du pouvoir. Mon opinion — et je crois avoir de bonnes données — est que la France n’est pas républicaine. Cependant la république sera acceptée, je n’en doute pas. Y a-t-il, oui ou non, escamotage ? Les faits accomplis, comme disait Guizot. Voilà donc la France gouvernée par Paris ! C’est provisoire, plaise à Dieu ; il faut encore accepter ce fait accompli. Mais il en est un autre qu’il ne faut pas accepter, contre lequel il nous faudra combattre jusqu’à la mort s’il veut s’accomplir ou s’accomplit ; c’est le gouvernement de Paris par la commune, par les clubs, par l’armée révolutionnaire.

« Vous avez déjà la commune, l’armée révolutionnaire de vos vingt-cinq légions mobiles ; prenez garde aux clubs. Le droit de réunion, qui est juste, nécessaire, et dont la contestation a tout amené, le droit de réunion peut facilement se transformer en celui d’association, de club ; il n’y a qu’un pas : est-il possible qu’on ne le fasse pas ?

« Je consens à la république ; mais, jusqu’à notre mort, empêchons des gouvernements sans autorité d’environner d’abord et de tyranniser ensuite le gouvernement national. »

Voilà ce qu’Alexis écrivait à son frère Jules au lendemain de cette révolution du 24 février qui avait renversé en quelques heures l’établissement de juillet et remis à la décision si hasardeuse du suffrage universel les destinées de la France. Avouons que le jeune officier de marine, qui appréhendait tout en ce moment, était plus sage et plus clairvoyant que beaucoup d’autres. Parce que le peuple, étonné d’une si facile victoire, se montrait bon prince ; parce qu’il n’abattait pas les croix et ne saccageait pas les églises, comme en 1830, on croyait tout sauvé et on se livrait à une aveugle confiance qui devait recevoir bien prochainement de cruels démentis. C’est avec raison que ce gouvernement provisoire, où Lamartine siégeait à côté de Ledru-Rollin, en compagnie de Louis Blanc, de Flocon, d’Albert, ouvrier mécanicien, etc., ne disait rien de bon à notre Alexis ; car il était trop visible, à qui envisageait les choses de sang-froid, que ces concessions faites aux passions révolutionnaires étaient plus propres à les exalter qu’à les apaiser. Mais on regrettait si peu le pouvoir déchu qu’on était disposé à absoudre l’émeute pourvu qu’elle fût modérée. Il y eut tel moment où le citoyen Caussidière lui-même, de conspirateur qu’il était la veille devenu préfet de police, calma les inquiétudes des honnêtes gens, qui ne l’auraient certes pas choisi pour un pareil rôle, en leur promettant, dans son style pittoresque, de faire de l’ordre avec du désordre. Le moindre indice de respect pour la propriété et pour la religion dans les masses populaires était accueilli avec enthousiasme comme un gage de sécurité ; et ceux qui les ont entendues n’ont pas oublié ces paroles du P. Lacordaire, faisant allusion à un des épisodes de l’émeute triomphante et tombées de la chaire de Notre-Dame le dimanche 27 février :« Vous démontrer Dieu !mais vous auriez le droit de m’appeler parricide et sacrilège ! Si j’osais entreprendre de vous démontrer Dieu !mais les portes de cette cathédrale s’ouvriraient d’elles-mêmes et vous montreraient ce peuple, superbe en sa colère, portant Dieu jusqu’à son autel au milieu du respect des adorateurs. »

L’auditoire éclata en applaudissements.

Sur quoi, le Journal des Débats, tirant la moralité du fait, ajoutait ce commentaire :« C’est bien ; que l’Église prenne sa place, comme nous tous. Qu’elle se montre, le peuple la reconnaîtra. Qu’elle n’ait pas peur de la révolution, afin que la révolution n’ait pas peur d’elle. Dieu a livré le monde à la discussion, tradidit mundum disputationi. Que l’Église use de ses armes, la parole et la charité, l’enseignement et l’action. Qu’elle s’aide, Dieu l’aidera. »

Ce n’était pas un petit mérite, à cette heure-là, de ne partager aucune des illusions courantes ; je ne dis pas seulement celles du Journal des Débats, un peu trop compromis avec la révolution, mais celles des plus sages et des meilleurs, abusés, il faut le dire, par l’excès de leur bonne foi et par leur inclination à juger des autres par eux-mêmes.

Ce mérite fut celui de notre jeune marin. On l’a vu, du premier coup et avant des expériences tristement instructives, il dénonce l’escamotage des révolutions qui demandent au suffrage universel une tardive et illusoire sanction en faveur du fait accompli ; bien plus, dans les clubs de 1848, qui font en général plus de bruit que de mal, il démêle déjà les germes confus de la fatale commune dont il sera lui-même la victime en 1871.

Qui de nous, atteignant l’âge d’homme, ne se trouve pas à son tour face à face avec une révolution triomphante ? 1815, 1830, 1848, 1852, 1871. Les dates sont si rapprochées que nul n’y échappe. Or, c’est l’épreuve, trop souvent l’écueil de la solidité de notre jugement, de notre caractère. Peu s’en tirent sans avarie, et c’est un grand honneur de n’y avoir pas failli. Il est bon dans tous les cas, une fois le danger passé et le calme rétabli, de se livrer à un sévère examen de conscience sur la manière dont on a gouverné sa barque pendant la tempête. En offrant à mes lecteurs un terme de comparaison, dont les lettres d’Alexis à sa famille feront tous les frais, je leur ménage une facilité de plus pour se bien connaître et se juger sans faiblesse.

Vivant en province et contemplant la lutte à distance, Clerc avait, sur ses correspondants parisiens, cet avantage qu’il échappait au vertige dont il est si difficile de se défendre lorsqu’on est condamné à payer de sa personne et à respirer jour et nuit l’atmosphère enflammée des révolutions. Mais ses fortes études religieuses, les idées saines qu’il puisait dans sa Somme de saint Thomas, lui étaient aussi un grand préservatif, et, aidé de ce seul secours, nous le verrons franchir victorieusement des écueils dont ne se défièrent pas assez d’illustres et ardents catholiques.

Un mois, deux mois s’écoulent ; on sait maintenant ce qu’on peut attendre du gouvernement provisoire, des hommes de l’Hôtel-de-Ville et du Luxembourg. Le crédit public a baissé, les ateliers nationaux ont tué le travail, l’agitation va toujours croissant et s’étend de Paris aux départements. Mais l’heure des élections approche, et la France va user du suffrage universel pour se donner une assemblée constituante. Cela tombe bien !on est en pleine semaine sainte et les urnes électorales s’ouvriront le jour de Pâques. Alexis s’aperçoit que son frère a la fièvre de la politique et que son suffrage s’égarera peut-être sur la tête de Ledru-Rollin ou de Lamennais, si ce n’est même de Pierre Leroux ou de Victor Considérant. C’est le cas, ou jamais, d’une bonne correction fraternelle. Voici ce qu’il lui écrit :

« Je suis très-réellement affligé de l’état où tu te mets, et je te conjure de penser à ce que je vais te dire et d’y penser sérieusement.

« Tu as le plus entier dévouement à la chose publique, et je t’en honore. Mais pourquoi ton dévouement est-il si tracassé, inquiet, sollicitudineux, affairé ? Tu te perds dans tes tracas, tes démarches, tes discours. Sois plus calme. Crois-tu que s’il fallait tant de peine à chacun pour être républicain, la république serait possible ? Ou veux-tu d’une république qui accapare tellement les citoyens qu’il faille des esclaves pour pourvoir à la vie matérielle comme dans les républiques de l’antiquité ? Comment !ton agitation, tes mouvements inquiets, empressés, vont jusqu’à te donner la fièvre, et tu ne vois pas que ce système est faux et mauvais ! Ce n’est pas ainsi que tu dois agir. Je te supplie d’avoir égard à mon conseil. Reste huit jours sans aller au club, et n’y va ensuite que de loin en loin. Ne livre pas ta vie à un tourbillon qui l’absorbe et qui est incapable de rien produire de bon. Sais-tu ou ne sais-tu pas où est la vérité ? N’est-elle pas dans la religion ? Ne crois-tu pas à la vertu et aux lumières de quelques prêtres ? Va leur demander tes candidats ; ceux-là connaissent les hommes et te les enseigneront ; tu ne pourras pas les connaître par tes clubs. Je ne veux pas entrer dans les développements, mais je veux te dire que c’est ce que j’aurais fait.

« Ne va plus au club. Remets ton esprit. Songe que nous sommes dans la semaine sainte. Va-t’en tout simplement demander les candidats du comité Montalembert ou à M. de la Bouillerie ou à un homme pieux qui ait ta confiance, et repose-toi en paix, mais surtout ne fais à aucun prix de pacte avec le mal. Je te prie qu’il n’y ait pas un nom sur ta liste que ta conscience réprouve. N’essaie pas à te tromper là-dessus par des combinaisons avantageuses. Le mal est mal absolument, et songe au rôle que jouera l’Assemblée. »

Hélas !voulant faire ce qu’il recommande si instamment à son frère, il est bien empêché lui-même pour trouver, et en si grand nombre, des noms que ne réprouve pas sa conscience. Qu’il nous suffise de dire que sa liste portait, à côté des noms du P. Lacordaire et de l’abbé Deguerry, le curé de la Madeleine, les noms de Michelet et de Béranger.

Après l’avoir mise tout entière sous les yeux de son frère, Alexis ajoute :« Je ne te la recommande pas. Cependant je crois qu’elle ne renferme rien contre la conscience. Je me reproche de ne faire que le croire et de ne pas en être sûr. »

Scrupule parfaitement justifié. Quoi !ce censeur si sévère des votes de son frère, et qui lui reprocherait Ledru-Rollin et Lamennais, votera pour Béranger et pour Michelet ! Béranger, le chantre de Lisette et du Dieu des bonnes gens ! Michelet, le calomniateur du clergé, qui avait assez récemment épanché son fiel et sa bile dans un ignoble pamphlet :Le Prêtre, la Femme et la Famille ! Voilà pourtant à quels compromis on était amené par cet absurde système de vote, que nous avons de nouveau pratiqué depuis le 4 septembre et qui trouvera toujours de chauds partisans parmi les exploiteurs du suffrage universel. Et l’on appelle cela interroger la nation !

Quel trouble dans les idées à cette date de 1848, et quelle étrange confusion des mots et des choses !

Voici un ancien adepte de Saint-Simon et de Fourier, aujourd’hui bon catholique, et qui recommande sa candidature, à ce double titre de ce qu’il était naguère et de ce qu’il est devenu depuis, aux socialistes aussi bien qu’aux catholiques. « Le retour au christianisme, dit-il, ne m’a jamais fait éprouver le besoin de condamner les premiers entraînements de ma pensée. Sans doute, j’ai répudié des théories saint-simoniennes et fouriéristes tout ce qu’elles avaient d’incompatible avec la vérité chrétienne ; mais :enfin je leur dois d’avoir reconnu depuis longtemps la nécessité et aussi la possibilité de réaliser cette même vérité dans toutes les relations sociales. » Il ajoute :« Le principe de la république annule les seuls obstacles qui pouvaient s’opposer à cette réalisation. Je suis donc républicain à un double titre, comme chrétien et comme socialiste. »

Et cette candidature, d’ailleurs pleine d’honnêteté et de bonne foi, était chaudement patronnée par les comités catholiques.

Relégué dans sa province et privé des lumières qu’il aurait voulu recevoir sur les candidatures parisiennes, Clerc croyait faire encore pour le mieux en hasardant certains noms qui ne lui étaient nullement sympathiques. Mais si l’électeur catholique, nommant Michelet et Béranger, était en règle avec sa conscience, que penser du système qui lui extorquait de pareils votes ? Si Alexis était à cent lieues des idées socialistes, son frère ne les repoussait pas aussi résolument et il était de ceux qui essayaient de les concilier, dans une certaine mesure, avec le dogme catholique. Abonné de l’Ère nouvelle, il ne désapprouvait pas le P. Lacordaire allant s’asseoir à l’Assemblée nationale, non loin de Barbès et de Ledru-Rollin. Alexis faisait tout le possible pour le désabuser. Dans le courant du mois de juin, il se mit à écrire une longue lettre, d’un caractère dogmatique, à Mme de S***, dont il n’était pas seul à reconnaître la supériorité d’esprit, lettre évidemment destinée à son frère beaucoup plus qu’à cette dame, dont les sentiments connus lui promettaient un auxiliaire pour la cause qu’il cherchait à faire triompher. Mais pendant qu’il écrit, les événements se précipitent et de terribles explosions de la fureur populaire, rallumée par les sociétés secrètes, jettent la consternation et l’épouvante dans la France entière. Sous le coup des émotions navrantes qui se renouvellent d’heure en heure, Alexis termine par ces mots qui peignent au vif la situation :

« Je vous ai écrit ces froides pages pendant que Paris était à feu et à sang et que les dépêches télégraphiques nous tenaient suspendus dans une fébrile anxiété. Vous vous étonnerez que je les aie poursuivies, mais c’est que cette horrible guerre ne tranche pas la question, et elle surgira tôt ou tard. Je crois aujourd’hui n’avoir aucun malheur à déplorer parmi ceux qui me sont chers. Nous avons assez de pleurer sur la patrie et de prier pour elle. Puisse un aussi terrible châtiment ne pas expier seulement nos crimes, et plaise à Dieu d’accepter d’aussi héroïques dévouements comme prix de tant d’indifférence et d’égoïsme. Ouvrons les yeux et jugeons des arbres des doctrines nouvelles par les fruits qu’ils portent. J’ai enfin l’espoir que le malheur, qui sanctifie l’homme, améliorera la nation. Oh !si Dieu le voulait ainsi, nous serions alors véritablement sauvés. »

Espoir encore prématuré !

« Que mon sang soit le dernier versé ! » avait dit en expirant l’archevêque martyr, frappé devant la barricade du faubourg Saint-Antoine au moment où il portait aux insurgés des paroles de paix. Le général Négrier venait de tomber à la même place, et le général de Bréa avait été lâchement assassiné à la barrière de Fontainebleau, tous les deux après avoir fait cesser le feu de leurs troupes et en essayant de parlementer. Cinq autres généraux et deux représentants trouvèrent la mort dans cette horrible lutte, une des plus acharnées qui aient ensanglanté les rues de Paris. Les alarmes de Clerc pour les siens ne se calmèrent que lorsque son père, dont il redoutait l’exaltation patriotique, lui eut donné signe de vie.

« Mon cher père, écrit-il le ier  juillet, je te remercie vivement de ta lettre du 27 juin, que j’attendais avec une grande impatience. Je savais par les journaux que le faubourg du Temple avait tenu jusqu’au troisième jour, et je prévoyais bien que le voisinage des ponts, la rareté des voies du canal au boulevard donneraient une importance stratégique au quartier que tu habites. Mme Mallet mère avait reçu le 28 une lettre de Mme Pagès dont j’avais auguré que tu étais sain et sauf ; néanmoins j’avais besoin de nouvelles directes et je te remercie de n’avoir pas tardé à m’en donner.

« Je remercie, ne t’en déplaise, les insurgés, la mobile et la garde nationale de t’avoir tour à tour gardé prisonnier chez toi. Je ne peux guère te dire qu’il n’est pas raisonnable d’aller flâner au milieu d’une guerre civile. Il est impossible d’être calme dans des circonstances si critiques, et sans cette force majeure tu serais allé t’exposer à un danger inutile. D’après ton itinéraire du premier jour, je conjecture que tu avais bien des chances de ne pas t’en tirer à si bon marché.

« J’apprendrai avec beaucoup d’intérêt tout ce que tu pourras te rappeler des paroles des insurgés ; quels étaient leurs moyens, leur but ; afin de savoir au juste l’effroyable ennemi qui a failli anéantir la patrie et qui a coûté si cher à détruire.

« Si tu voulais, mon cher père, permettre une réflexion sur ce grand malheur, je te renverrais à ma dernière lettre. L’État est une personne morale soumise à la loi de la souffrance comme un homme ; pour lui aussi il faut que la justice s’exerce. C’est la cause de ces catastrophes que l’histoire enregistre avec effroi ; il lui faut de ces expiations sanglantes qui rachètent tant de crimes impunis. Il lui faut enfin comprendre que la main qui le châtie cherche surtout à le corriger.

« Le châtiment est terrible. La France a versé le plus pur de son sang. J’espère que nous n’avons plus à expier. Fasse le Dieu juste et bon que nous changions nos voies et que nous marchions dans celles qu’il nous a tracées. Oh !alors la France est réellement sauvée. Sinon, — si nous continuons de vouloir établir les fondements de la société sur un égoïsme bien entendu ; si cet égoïsme, aussi éclairé qu’on le voudra, est le principe de la morale et du contrat social, — nous sommes perdus. Il ne s’agit plus de céder à l’État une partie de sa liberté en obéissant à la loi, une partie de son bien en payant l’impôt ; nous resterions dans nos anciens errements et nous aurions vu seulement la première scène de la destruction de notre pays.

« Non, il faut que la France, qui a toujours donné à l’univers l’exemple des grands et des généreux sentiments, — et c’est là plus que sa puissance, plus que son génie militaire ce qui nous la fait chérir ; il faut que, cessant de calquer la civilisation anglaise, qui ne va ni à ses mœurs, ni à son esprit, ni à son cœur, elle abjure l’égoïsme et que la fraternité qu’elle a gravée sur ses armes se grave profondément dans son cœur.

« Les déplorables philosophes du dernier siècle et de celui-ci sont parvenus, les premiers à dessécher nos cœurs, les autres à nous inspirer de la haine contre les prétendus heureux du monde, par leurs calomnies, et à nous faire croire que notre destinée et notre droit est un bonheur sans mélange sur la terre. Ces doctrines ne sont pas restées dans le domaine de l’idéologie, le feuilleton les a répandues partout, les Mystères de Paris, le Juif-errant et bien d’autres, qui ont fait moins de bruit, les ont popularisées ; et je ne doute pas que l’enquête que l’on va faire sur cette abominable insurrection ne prouve que ce n’est que la conséquence logique de ces principes. Ces romanciers, ces philosophes ne se battent pas ; ils détestent la guerre civile, on ne saurait les atteindre ; ils sont cependant les plus coupables, ils sont les vrais instigateurs de la guerre civile. Comprendront-ils ce qu’ils ont fait ? Je n’ose l’espérer de tous. La Réforme a donné le généreux exemple de déplorer les paroles haineuses qu’elle a publiées , et s’en trouve amèrement punie. »

Voilà certes des vues d’une élévation et d’une justesse peu communes, et plût à Dieu qu’elles eussent eu quelque influence sur les classes dirigeantes qui, plus éclairées, portent, devant Dieu et devant l’histoire, le poids d’une plus lourde responsabilité.

La lettre suivante touche à un sujet moins grave, mais elle est assez piquante et elle met d’ailleurs dans tout son jour la noble fierté que notre Alexis savait très-bien concilier avec l’humilité chrétienne. Pour qu’on la comprenne, il suffira de dire que, le Caffarelli étant décidément mis à la réforme et M. Mallet ayant reçu un autre commandement, on désirait vivement dans la famille qu’Alexis ne fût pas séparé d’un chef dont la bienveillance lui était acquise depuis longtemps. De là la démarche de M. Jules Clerc auprès de leur ami d’enfance M. Émile Marie, dont le père, devenu ministre de la justice, occupait l’hôtel de la place Vendôme. Entre nous, Alexis n’était pas fâché de gloser, à l’occasion, sur l’austérité républicaine de son frère Jules et de la trouver en défaut.

« Mon bon Jules,

« Je ne saurais te reprocher ce que tu as fait pour mon embarquement avec M. Mallet, Mme Pagès surtout t’en ayant donné le conseil ; mais je dois te dire que c’est avec un vif déplaisir que j’en ai reçu la nouvelle. Comment fais-tu pour moi ce que ta susceptibilité t’empêcherait de faire pour toi-même ?

De grâce, si j’ai le bonheur d’avoir quelques amis plus haut placés que moi, ne me les fais pas perdre. Je comprends cette espèce de mépris pour les hommes qui s’empare si souvent des gens puissants quand ils ont éprouvé qu’on se fait un marchepied de leurs sentiments les plus intimes. Ne vois-tu pas que la position d’Émile Marie, et notre amitié, sont deux choses d’un ordre complètement différent et qu’il est aussi absurde qu’injuste de prétexter de l’une pour user de l’autre. Tu ne te doutes probablement pas de la tourbe de solliciteurs qui accable ce pauvre garçon et tu lui retires ce pauvre petit moment de plaisir qu’il eût éprouvé, quand il aurait pensé à moi, en se disant que je n’avais pas été importun.

« Il a bien plus besoin d’une affection désintéressée que je n’ai besoin de tous les services qu’il peut me rendre par sa position. Et toi, mon bon Jules, dont la délicatesse de sentiments est si exquise, tu as fait cette démarche ! Ce qui me peine le plus, c’est que votre affection pour moi, à vous tous à Paris, s’aveugle volontairement ; car d’abord, vous ne feriez pas pour vous-mêmes ce que vous faites pour moi, et si vous ne vous mépreniez pas autant sur mes sentiments, vous ne le feriez pas pour moi. Tu as été rebuté par de Plas [1], j’en étais sûr et j’en suis enchanté ; Émile aurait dû en faire autant. Ne va pas croire que je ne fais pas cas de l’amitié et que je ne veuille jamais rien lui demander : il est trop doux pour moi de pouvoir être utile à ceux que j’aime ; mais je demanderai à mes amis des choses qui dépendent d’eux personnellement et non pas de leurs fonctions publiques. Le côté plaisant de la chose, c’est que tu fais un républicain de la veille de plus qui fait le métier de solliciteur, et que moi, qui suis le réactionnaire, je fais le puritain.

« J’avais prévenu de Plas des tours dont tu étais capable, mais j’avoue que je n’avais pas eu la subtilité de prévoir que tu dénicherais ce pauvre Émile pour des démarches si en dehors de son ressort.

« Enfin, il faut que je dise qu’à votre propre point de vue, vous avez fait une boulette. Vous croyez que M. Mallet, qui connaît tout Paris, qui connaît presque entièrement tout le ministère, a besoin de ce pauvre Émile pour faire tenir une lettre à son ami N***. En vérité, c’est un peu naïf pour des gens qui savent leur monde. Je ne veux pas dire que M. Mallet ne désire sincèrement mon embarquement avec lui, mais il ne se peut qu’il soit obligé à une pareille ficelle pour obtenir ce qui est dans son droit. De deux choses l’une : ou il ne le désire pas assez pour l’obtenir, et ça ne m’empêchera pas de lui savoir gré de l’avoir désiré au degré où il l’a fait ; ou il a employé un hors-d’œuvre pour donner satisfaction à votre impatience. Alors, mon pauvre Jules a fait briller en pure perte, auprès des huissiers de la place Vendôme, son incorruptibilité républicaine. C’était un si agréable passe-temps pour nous de nous indigner de la corruption et du népotisme de nos contemporains ! Va-t’en bien vite trouver Émile ; pénètre, malgré les huissiers que tu as déjà appris à mettre en défaut, et dis-lui de rester chez lui ; que je veux toujours qu’il fasse deux lieues pour venir me voir, mais que je ne veux pas qu’il fasse deux pas pour m’obtenir quoi que ce soit. »

La lettre se termine par cet avis qui s’adresse à la foi et à la piété de son frère :

« Toi, mon bon Jules, recueille-toi le plus que tu pourras ; je conviens que c’est très-difficile pour tout le monde et que tu as de plus que les autres les obstacles de ta vie si occupée à surmonter, mais fais ce que tu pourras ; dix minutes de prière valent mieux que toute la politique du monde, et, par-dessus le marché, c’est la seule vraie et bonne politique, car il y a une Providence qui nous gouverne. Grave bien dans ta tête cette belle parole, de Bossuet, je crois : l’homme s’agite et Dieu le mène [a]; tu en tireras bientôt un calme dont tu es privé depuis longtemps et un jugement plus sain sur beaucoup d’événements ; tu interviendras aussi plus à mon gré dans mes affaires, et enfin, j’espère, nous n’aurons plus de dissentiment sur aucun point, ainsi qu’il convient à des frères et à des chrétiens.

« A bientôt,

« A. CLERC.

« Va sans différer remercier Émile de sa bonne volonté et l’en dispenser. »

Cependant Alexis s’aperçoit que son frère Jules n’est pas assez en garde contre certaines idées courantes qui, sous les vagues formules où elles s’enveloppent, favorisent le socialisme, et qu’on a surpris sa bonne foi en affectant de respecter son orthodoxie catholique. Les explications données par son frère ne le satisfont qu’à moitié ; il les reprend une à une, il les discute, les approfondit et se met en devoir de prouver que, si on écarte tous les voiles, toutes les équivoques, ces deux contraires, — le socialisme et le Christianisme, — sont absolument et radicalement inconciliables.

Il y a tant de raison dans ces pages, tant de sérieux bon sens éclairé par la foi, que nous croyons faire chose agréable à nos lecteurs en les reproduisant ici en grande partie. Assurément les doctrines de Fourier et de Victor Considérant, telles qu’on les professait en 1848, n’ont plus guère d’adeptes en ce temps-ci, et elles peuvent passer pour surannées en présence de doctrines moins spéculatives qui ont depuis fait leurs preuves avec un certain éclat. Mais les principes d’erreurs, d’où procède le mal, sont les mêmes, et ils s’accordent tous en un point, la négation du surnaturel. Quant aux principes que Clerc opposait à ces utopistes dangereux, ils sont immuables comme la vérité.

Donc, M. Jules Clerc avait dit, à ce qu’il paraît :

« Je ne crois pas que la religion doive intervenir d’une manière directe dans les questions politiques, si ce n’est pour nous conserver toujours devant les yeux les principes de moralité et de fraternité de l’Évangile. »

« — Très-bien, reprend Alexis, empruntons à l’ordre religieux des principes infaillibles et bâtissons dessus ; nous pourrons bien nous tromper dans des cas particuliers, mais nous avons de bonnes conditions de vérité. Tu es dans le vrai ; Dieu nous a donné tout ce qu’il faut pour notre salut, si tu veux, pour notre vrai bien, et pour cela il n’a pas pourvu seulement à l’ordre de la grâce, mais aussi à l’ordre de la nature, et il a posé les principes naturels, nous a ordonné de les suivre, et, si nous ne le voulons pas faire, nous détruirons et nous n’édifierons pas.

« Je te prie d’excuser l’excursion que je vais faire ici ; ce n’est pas une réponse directe à ta lettre, mais je tiens beaucoup à ce que tu ne te figures pas que la religion a un domaine propre où elle doit se renfermer et que la chose publique doit se régler par ses propres lois. La religion, au contraire, est la loi universelle, et elle doit être unique, car le but unique de l’homme est son salut, qui dépend de la seule religion. Les créatures, la nature, les sociétés ne sont et ne doivent être que des moyens d’atteindre ce but.

« Or, l’homme est déchu et par sa chute il a tout perdu dans l’ordre de la grâce, ce qui n’intéresse que la religion ; et sa nature même a été corrompue, ce qui intéresse l’ordre naturel et la société. Mais, par la Rédemption, il est capable de rentrer dans l’état de grâce et de vaincre la corruption de sa nature. Il en résulte que la première condition de toute société est la religion, et on ne peut citer aucune société qui en ait été dépourvue. La corruption étant propre à chaque homme, il faut que chaque homme tâche de se vaincre ; c’est le plus grand service qu’il puisse rendre à la société. Par suite de cette corruption, la société a le droit de coercition sur ceux qui menacent son existence. Enfin l’homme a, par sa faute, été condamné au travail et à la souffrance, et Celui qui a prononcé l’arrêt, le maintiendra.

« Eh bien ! Fourier et ses disciples nient que l’homme soit déchu et, le supposant sorti tel qu’il est des mains de Dieu, ils le déclarent bon et veulent lui permettre de satisfaire ses passions les plus ardentes et ses désirs les plus fugitifs. Comme philosophie, il est facile de prouver que ce système est absurde en ce qu’il méconnaît la nature intime de notre cœur, et ne peut expliquer le mal actuel et passé. Mais notre foi nous fait rejeter ces folies. Si l’homme est mauvais, quoi de plus insensé que de compter avec lui comme s’il était bon ?

« J’ai vu ici V*** [2] en revenant de Paris, et je lui ai reproché de t’avoir trompé ; il s’en est défendu en disant qu’il ne t’avait rien dissimulé et que, comme il est possible que l’on arrive à créer une même institution en partant de principes différents, il s’était borné à te proposer ces réalisations pratiques sans s’inquiéter des principes qui leur serviraient de base dans ton jugement. En fait de politique on ne s’occupe que des faits et peu des idées, à ce qu’il paraît. Pour sa part, il m’a bien déclaré que les deux principes, fondements de ses projets de réforme, étaient que l’homme n’était pas déchu, et qu’après sa mort il continuait éternellement à mériter dans une vie nouvelle et différente. Avec ces principes je conviens qu’il est assez logique ; peux-tu l’être avec des principes contraires ? Non, je te l’ai déjà dit, ta bonne foi a été surprise.

« Tu me dis :« Les idées de Fourier sur l’organisation de la société sont belles en ce qu’elles tournent l’égoïsme de chacun, quand elles ne le détruisent pas, au bien-être de tous. » Quant à belles, nous le verrons plus tard ; quant à fausses, nous le verrons tout de suite. Le travail doit devenir un plaisir par l’attrait que l’organisation saura y attacher. Notre conscience nous dit bien haut que cela ne saurait être, mais qu’est-ce que Fourier répondra à ces paroles :« La terre est maudite dans ton œuvre, tu en mangeras (les fruits) tous les jours de ta vie ; elle te germera des épines et des ronces et tu mangeras l’herbe de la terre ; tu mangeras ton pain à la sueur de ton front jusqu’à ce que tu retournes à la terre d’où tu as été tiré, car tu es poussière et tu retourneras en poussière [3]. » Aurons-nous après cela la crédulité de compter sur ses promesses de paradis terrestre ? N’oublions jamais cette terrible sentence qui pèse sur l’humanité et dont veulent nous relever tous les prophètes de nos jours.

« Est-ce beau de perfectionner la gourmandise jusqu’à faire, je crois, six repas copieux par jour ?de permettre à la sensualité de rejeter toute entrave ?d’accorder aux instincts les plus abjects des satisfactions que notre corruption actuelle ne peut même pas envisager sans rougir ? Tu parles des moyens que Fourier veut employer pour détruire l’égoïsme ; mais il n’y en a pas d’autres, à son avis, que de laisser librement se développer les passions de l’homme ! Du reste il ne veut pas le détruire, il en serait bien fâché puisqu’il lui faut le développement de tout ce qui est dans le cœur de l’homme. — Mais il l’utilise. — Cela n’est pas trop maladroit ; cependant, jusqu’à présent j’avais cru Dieu seul capable de tirer le bien du mal.

« Enfin je termine par la dernière phrase de ta première feuille. « La solidarité est un sentiment chrétien et je ne le crois pas inapplicable dans la suite des temps. »

« C’est là une phrase peu réfléchie ; la solidarité n’est pas un sentiment, c’est une loi par laquelle les hommes sont responsables les uns pour les autres du bien ou du mal qu’ils ont commis ; les fouriéristes donnent le nom d’unitéisme à ce que tu veux dire, et trois mois plus tôt tu eusses dit avec nous la charité, qui certainement, comme tu le dis, est un sentiment chrétien et si chrétien, qu’il n’existe pas hors du christianisme ; ce qui me fait croire que la suite des temps ne le rendra pas applicable si le monde ne devient pas chrétien, et que si Dieu nous accorde la grâce de l’être, il sera, quel que soit le temps, applicable et même appliqué. Tu diras que je l’applique fort peu moi-même et que tout ceci est bien sévère ; si tu devais t’en blesser, je t’en demanderais sincèrement pardon. Mais l’importance des questions que soulèvent tes quelques lignes justifie peut-être l’ardeur avec laquelle je désire que ton attention se fixe plus mûrement sur des nouveautés décevantes. »

 

Voilà qui est parler net, ce me semble. Sans doute cette argumentation, empruntant toutes ses majeures à des vérités de foi, n’arriverait pas à convertir un aveugle disciple de Fourier, mais elle avait sa valeur auprès de l’excellent catholique auquel elle était adressée. Alexis ne demandait pas à la raison, trop souvent à court de preuves péremptoires, ce que la foi donne abondamment à qui a le bonheur de croire. La direction pratique de son esprit se révèle dans cette discussion, où il ne cherche pas à briller, mais à convaincre, en homme qui sait le prix des âmes et à qui l’âme de son frère est chère entre toutes.

Je dois noter l’impression que fit sur lui le vote du 10 décembre 1848.

L’élection du prince Napoléon à la présidence, par cinq millions de voix, le surprit désagréablement et il lui fallut du temps pour se remettre de ce qu’il appelait « un rude échec à sa pénétration politique. » Il avait voté pour Cavaignac, non par républicanisme, mais par sincérité dans l’acceptation du régime politique légalement établi, et aussi par une généreuse réaction contre d’odieuses calomnies auxquelles l’incorruptible général n’avait fourni aucun prétexte. Il éprouvait une répulsion instinctive pour son compétiteur princier, qui lui apparaissait toujours comme l’aventurier de Boulogne et de Strasbourg, avec du sang sur les mains. Nous ne répéterons pas les expressions extrêmement dures dont il se sert pour le flétrir ; la pitié les eût sans doute adoucies après l’immense désastre où cet homme a sombré avec la fortune de la France. Mais nous pouvons laisser passer cette plainte amère, trop justifiée par l’état de prostration et d’anémie où nous réduisent les révolutions :« Ma douleur est de voir le pays entier se renoncer lui-même en faisant un choix qui est un refus de choisir quand on est forcé de choisir. C’est le suicide d’une grande nation ; elle se renonce elle-même pour telle. »

Mais peut-être y a-t-il à ce choix des motifs plus avouables, par exemple l’amour de la gloire militaire, dont Napoléon est pour nous le symbole ?L’esprit militaire est si profondément imprimé au caractère français ; il n’est pas absurde de croire que c’est lui qui a parlé. Sur quoi il ajoute avec grande raison, ce qu’on n’a voulu comprendre ni en 1848, ni en 1852, et ce que nous ne savons que trop aujourd’hui :« Ce serait très-déplorable, très-malheureux. Si c’était la signification de Louis Bonaparte, alors s’ouvrirait une nouvelle ère de guerres interminables avec toute l’Europe. »

Autre hypothèse. « Nous ne sommes pas républicains. On veut ménager un retour à la monarchie. Dans trois ans, une nouvelle constituante décrétera la monarchie et le suffrage universel appellera au trône Henri V. » Si c’est là qu’on en veut venir, ajoute Alexis, ceci est légitime et je m’y soumettrai de bon cœur. « Il n’en restera pas moins déplorable que tous ces monarchistes se soient comptés autour…d’un pareil nom. »

Telle fut la politique de ce fervent et intrépide chrétien à une époque où il était si difficile de voir juste et d’accomplir sans trouble comme sans faiblesse les devoirs d’un bon citoyen. Avouons qu’il n’était pas si mal inspiré par son inviolable attachement à la vérité catholique, dont les conséquences vont bien au-delà de la sphère que lui assignent les esprits superficiels ou d’une sincérité équivoque.

Ah !si nous avions des principes !on ne nous verrait pas verser tantôt à droite et tantôt à gauche, et notre loyauté ne se démentirait jamais, alors même qu’elle serait mise aux plus rudes épreuves par les erreurs et les fautes d’un gouvernement que nous n’aurions pas choisi et qui nous serait peu sympathique.

 

 

Notes additionnelles :

[a] « l’homme s’agite et Dieu le mène » serait de Fénelon et non pas de Bossuet.

N’exagérons point pourtant, n’insistons pas trop sur cette langueur et cet amollissement, et tout en reconnaissant que le caractère ordinaire du style de Fénelon est la grâce tendre, sachons bien qu'il n'est pas incapable de force, que le grand mot souvent attribué à Bossuet et digne de lui : "L'homme s'agite et Dieu le mène" est de Fénelon, et de Fénelon aussi cette vigoureuse peinture : "Les hommes, gâtés jusque dans la moelle des os par l'ébranlement et les enchantements des plaisirs violents et raffinés, ne trouvent plus qu'une douceur fade dans les consolations d'une vie innocente; ils tombent dans les langueurs mortelles de l'ennui, dès qu'ils ne sont plus animés par la fureur de quelque passion... "

In Émile Faguet: Fénelon, un des plus grands esprits français, in EMILE FAGUET, Histoire de la littérature française, Paris, Plon-Nourrit, 1901, tome 2

Sur la toile : http://agora.qc.ca/Dossiers/Francois_de_Salignac_de_La_Mothe-_Fenelon

 



[1] Cet ami chrétien avait tous les sentiments de Clerc et ils étaient dignes l’un de l’autre. Nous ferons dans la suite plus ample connaissance avec lui.

[2] Un de leurs amis, engagé assez avant dans les doctrines socialistes, et dont le 4 septembre n’a pas manqué de faire un préfet.

[3] Genèse, III. 17-19.

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