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17/03/2018

Recensions de livres du RP Charles Daniel (L'Université Catholique - 1896)

Voici une recension de deux livres du RP Charles Daniel, sj. Cette recencion est parue est parue dans 

L’Université catholique, nouvelle série, Tome XXII. Faculté Catholique de Lyon,  Mai-Août 1896

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Bibliographie

  1. Questions actuelles. — Religion, philosophie, histoire, art, et littérature, par le R. P. Ch. Daniel, fondateur des Etudes religieuses. Précédées d’une notice et d’une introduction par les RR. PP. Mercier et Fontaine, S. J. 1896. 1 vol. in—8 de 489 pp. Paris et Poitiers, H. Oudin.
  2. Alexis Clerc, marin, jésuite et ôtage de la commune, fusillé à la Roquette le 24 mai 1871. Simple biographie, parle R. P. Ch. Daniel, de la Compagnie de Jésus. 1895. 1 vol. in-12 de VIII-496 pp. Paris, Téqui.

Le nom du P. Charles Daniel n’est pas encore oublié. Bien que des infirmités douloureuses l’aient condamné, à la fin de sa vie, à une inaction forcée, et lui aient fait rompre brusquement toute relation avec le monde, il a joué un rôle trop considérable pour que sa mémoire s’éteigne si vite, même à une époque où les préoccupations d’hier disparaissent si facilement devant les intérêts d’aujourd’hui. II reste toujours le fondateur des Etudes religieuses, et son rédacteur le plus goûté de la première heure. Comme son activité a été en partie absorbée par des articles de revues, on pouvait craindre qu’elle n’eût plus d’influence sur les lecteurs d’à présent, qui ne songeraient guère à aller chercher ces études dans les collections où elles étaient enfouies. C’est ce qui a déterminé le P. Mercier à choisir les plus remarquables de ces travaux pour en composer un juste volume. Afin que nous puissions les comprendre plus parfaitement et entrer dans l’esprit de celui qui les a composés, le P. Mercier nous donne en même temps une biographie du P. Daniel, et le P. Fontaine a écrit une introduction très claire et très nette, où il nous explique l’occasion qui e fait naître les articles, et l’importance qu’ils eurent au moment de leur apparition.

Quel nom fallait-il donner à ce recueil, composé d’études si variées, nous allions dire si disparates ? Les éditeurs ont choisi celui de Questions actuelles, dont l’exactitude pourrait être discutée. Si l’on peut appliquer cette dénomination à des questions qui ont quelques rapports avec celles qui s’agitent aujourd’hui, qui peuvent, par exemple, se résoudre d’après les mêmes principes, nous n’avons aucune objection à opposer ici. Mais si l’on réserve cette appellation pour les problèmes qui sont à l’ordre du jour, et qui sont de nature à passionner le grand public, elle n’aurait pas dû être donnée à ce recueil. Ne chicanons pas d’ailleurs sur les mots. Nous avons lu avec plaisir et profit ce livre, où il y a tant de belles pages et tant de détails intéressants. L’humble et savant religieux écrit parfois d’une manière admirable, qui rappelle nos grands écrivains du xviie siècle. Dans les polémiques, il change de ton, et devient aussi vivant que précis, aussi pressant qu’imagé. Partout il mérite de retenir l’attention, soit qu’il rectifie un point des Mémoires de M. Guizot, soit qu’il célèbre avec enthousiasme Montalembert et ses Moines d’Occident, soit qu’il esquisse la biographie de Mme Swetchine, soit qu’il expose la banqueroute du protestantisme, soit qu’il montre le chemin qui mène de l’optimisme au panthéisme. Mais n’insistons pas plus longtemps sur ce recueil d’articles : nous avons à parler d’un livre proprement dit composé par le P. Daniel nous voulons dire la biographie du P. Alexis Clerc, l’un des martyrs de la Commune.

Misericordias Domini in æternum cantabo. Telles sont les paroles qu’un vieux peintre espagnol met dans la bouche de sainte Thérèse, comme si elles suffisaient à résumer toute sa vie. C’est aussi l’épigraphe que l’on pourrait donner à la biographie du pieux jésuite. On ne saurait assez admirer la miséricordieuse conduite de la Providence à son égard, et ce que peut la grâce dans la transformation de l’homme. A force de persévérance et de recherches, le P. Daniel est parvenu à reconstituer les détails de cette vie si extraordinaire, et qui devait finir par le martyre. II est intéressant de suivre avec lui son héros à la maison paternelle, où il eut le malheur de perdre trop tôt sa mère, puis dans ces pensions où il s’habitua trop facilement à l’indifférence religieuse, et ensuite à l’Ecole polytechnique, où il se fit aimer de tous par son enjouement et son heureux caractère. Alexis Clerc songea quelque temps devenir professeur ; puis, au grand étonnement de tous, il se fit marin. La Providence, semble—t-il, voulait l’arracher à la maison paternelle, où les exemples de son père, un des premiers actionnaires du Siècle, ne pouvaient être que pernicieux pour lui. C’est en plein océan Pacifique, dans l’archipel des îles Gambier, que devait commencer son retour à Dieu. Il fut émerveillé, comme l’avait été peu de temps auparavant le commandant Marceau, par le dévouement des missionnaires et les heureux effets de leur apostolat parmi les indigènes. Puis, avec sa droiture naturelle, il voulut connaître de plus près cette religion qu’il avait appris à aimer sur les genoux de sa mère, et qu’il avait tant négligée depuis. La Démonstration évangélique, de Duvoisin, suffit à le ramener. Quand il eut fait le dernier pas, en revenant à la pratique des sacrements, il devint un apôtre, et contribua puissamment à convertir plusieurs de ses amis. Puis, en marchant d’un pas ferme et continu dans la voie de la perfection, il crut qu’il devait être quelque chose de plus qu’un marin, et il se fit jésuite.

On le vit alors, modeste surveillant de l’école préparatoire de la rue des Postes, conduire les élèves en promenade travers les rues de Paris. Quand il eut été nommé professeur la même école, il continua de faire le bien en cherchant le silence et l’oubli. Puis, à cinquante-un ans, en pleine activité scientifique et au moment où les moissons les plus abondantes semblaient réservées à son zèle, la guerre éclata, suivie des horreurs de la Commune. Et, pour le nom de Jésus-Christ, auquel il s’était donné tout entier, le P. Clerc tomba sous les balles des fédérés, après avoir ramené à Dieu un parlementaire imbu des traditions gallicanes, le président Bonjean.

Certes, c’est une vie et une mort bien enviables. Le P. Daniel nous les raconte avec un vrai talent d’écrivain, et la biographie qu’il a écrite est palpitante d’intérêt. Nous engageons ceux qui ne la connaissent pas encore à se la procurer, et à apprendre ce que fut cet éminent religieux, appelé à la troisième heure, mais ouvrier d’autant plus infatigable et sans reproche, operarius inconfusibilis.

A. L.

24/03/2017

"Marcher par la route la plus droite" - Recension et témoignage

C'est dans le journal L'Univers du dimanche 24 octobre 1875 qu'est parue cette longue recension du livre du R.P. Charles Daniel, sur la vie d'Alexis Clerc.

Mais l'intérêt de cette recension est qu'elle a été écrite par Alex. de Saint-Albin, qui dit avoir connu le jeune Alexis Clerc [1] et apporte des éléments inédits sur la période de l'engagement d'Alexis dans la Compagnie de Jésus.

D'autre part, l'auteur évoque, en fin de recension, un dialogue tiré d'un livre de Louis Veuillot, dialogue qui, écrit vingt ans avant les événements tragiques de la Commune, semble fort prémonitoire...

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Alexis Clerc, marin, jésuite et otage de la Commune. Simple biographie par le R. P. Charles Daniel, S. J. — Un vol. in-18 jésus. Paris, Albanel et Baltenweck.

A la dernière page de ce livre, après avoir raconté la mort d’Alexis Clerc et ces glorieuses funérailles qui réunirent les cinq jésuites fusillés par la Commune, le P. Daniel ajoute, en parlant d’Alexis : « Depuis sa conversion, il a toujours marché par la route la plus droite. » Les trois premiers mots de ce témoignage sont de trop ; et plus ancien témoin que le P. Daniel, témoin de l’enfance et de la jeunesse d’Alexis, je veux les effacer et dire pour mon compte : « Il a toujours marché par la route la plus droite. »

Le souvenir des pieuses leçons d’une mère chrétienne triomphe difficilement des contradictions qui leur arrivent de toutes parts, quand l’enfant qui les reçut, gagnant sa quatorzième ou quinzième année, exerçant tous les jours les forces de son intelligence, croit trop volontiers à la sûreté de sa raison, qu’il a un père, des maîtres et des condisciples incrédules, et que la pauvre mère est devenue muette. Plus tard, l’expérience de la vie vient faire douter de la sagesse des douteurs, et l’homme se souvient de cette foi simple dont la simplicité même l’avait fait sourire, de cette foi qui fut celle de sa mère. Mais, avant cet heureux retour, il y a des années où la loi chrétienne, encore qu’elle ait été révélée à l’enfant par la bouche sacrée de sa mère, demeure en un oubli profond. En ces années-là, le futur jésuite, le futur martyr, ne connaissait que la loi naturelle ; et il l’aimait, ayant le cœur fait pour aimer la justice et la vérité. « Il a toujours marché par la route la « plus droite. » Et si les égarements dont il est parlé dans sa biographie outrageaient la loi chrétienne, encore une fois, Alexis ne connaissait pas alors la loi chrétienne. La route la plus droite n’était pas encore devenue pour lui cette « voie étroite qui conduit à la vie ». (Matt., VII, 14.)

La droiture naturelle, Alexis la tenait de son père, et il n’y avait pas beaucoup d’autres traits communs entre le père et le fils. Ils s’aimaient fort tendrement : mais ils n’avaient ni le même caractère, ni les mêmes inclinations, ni les mêmes goûts. Le père, voltairien et révolutionnaire passionné, se complaisait dans la lecture des livres qui flattaient ses antipathies ; et pourvu que la conclusion fût contre l’Eglise et contre la monarchie chrétienne, il croyait aveuglément tout ce que ses auteurs lui disaient. Bien autre était Alexis. Vif et ardent, en apparence prêt à se passionner pour tout, il ne se passionnait pour rien. Je n’ai jamais connu de nature qui parût plus portée à l’enthousiasme, et je ne le vis, au temps de sa jeunesse, enthousiaste d’aucun système religieux, politique ou littéraire. Pouvait-il trouver, en effet, dans tous les systèmes dont s’éprenaient alors les jeunes gens élevés comme lui, rien qui fût digne des chastes embrassements de son cœur ?

On a raconté des conversions plus frappantes que la sienne, on n’en a pas raconté de plus touchantes, et ce sera l’avis de tous ceux qui liront le livre du P. Daniel. Dieu s’était préparé cette âme-là dès le commencement. « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, et il faut que je les amène. Elles écouteront ma voix. » Cette parole n’a pas été dite seulement pour les Gentils que les premiers apôtres devaient convertir et pour les infidèles que nos missionnaires vont toujours chercher aux extrémités de la terre, elle a été dite encore pour ces âmes « naturellement chrétiennes » que Dieu fait naître dans des pays chrétiens sans doute, mais dans des milieux où le nom de Jésus-Christ est méprisé. Âmes dont la douceur charme tous ceux qui ont quelque commerce avec elles, mais qui ne se laissent point charmer par les promesses et les séductions du monde, et qui semblent se garder intactes pour s’abandonner, quand viendra l’heure, aux promesses de Jésus-Christ et aux attraits tout-puissants de sa grâce.

Alexis, cependant, on le verra dans le récit du P. Daniel, n’a pas répondu au premier appel de Dieu. Il a hésité, non pas à confesser loyalement et hautement la vérité connue, mais à y conformer sa vie. A l’entrée de la voie étroite, il avait pressenti les grands sacrifices que Dieu allait lui demander, et son courage avait faibli un moment. Mais bientôt, étouffant les révoltes de la nature, il avait répondu à la grâce d’en haut par un don sans réserve de son cœur, de son esprit, de tout son être.

L’accomplissement des sacrifices suivit de près le consentement. Pour lui, qui avait connu les jésuites dans les missions, la pensée de vivre en chrétien et celle d’entrer dans la Compagnie de Jésus se liaient étroitement l’une à l’autre, sans toutefois se confondre. Devenu chrétien, non encore résolu à se faire jésuite, il ne cessa pas un instant cependant d’aspirer à la vie religieuse, d’y tendre comme à un but marqué d’avance et d’y « marcher par la route la plus droite. » Mais il n’était pas encore jésuite, il n’était pas même novice, il n’était que retraitant et frappait à la porte du noviciat, quand son père lui fit la menace, s’il entrait, de rompre pour toujours avec lui. Alexis entra où Dieu l’appelait. Mais il était le plus tendre des fils et il adressa lettres sur lettres à son père, prières sur prières, supplications sur supplications, pendant neuf années. Rien ne put fléchir cette colère, si cruelle au fils, coupable seulement d’avoir disposé de lui-même à l’âge de trente-cinq ans, si cruelle au père, qu’elle forçait d’étouffer la voix de son cœur.

La mort vint avant le pardon, du moins avant le pardon prononcé par le père et recueilli par l’enfant ; car un doute reste sur les sentiments de M. Clerc aux derniers jours de sa vie, sur ses sentiments envers Dieu et envers Alexis. Ce doute demeura au fils jusqu’à la fin pour qu’il eût à renouveler en quelque sorte chaque jour son sacrifice du premier jour, jusqu’au jour de son sacrifice sanglant, le 24 mai 1871. Il m’a été donne d’assister à une entrevue inoubliable de ce père inflexible et de ce fils à la fois si tendre et si ferme. C’était, je crois, en 1859. Je le rencontrai rue d’Hauteville, au seuil de la maison de son père. En montant l’escalier, il m’annonça qu’il partait le soir même pour Laval, où il allait recevoir la prêtrise. M. Clerc était seul. Alexis lui dit en peu de mots le pas nouveau qu’il allait faire, non dans sa carrière de religieux, mais dans celle de ministre de Jésus-Christ. Avant d’être ordonné prêtre, il voulait recevoir la bénédiction paternelle, et il venait la demander.

Le coup ne pouvait pas être inattendu. M. Clerc le supporta sans éclater en paroles violentes. Cependant, il se dressa, comme soulevé par une indignation mal contenue, et il répondit a son fils : « Vous savez combien est contraire à ma volonté le parti que vous avez pris; vous n’aviez pas besoin de venir me trouver, puisque vous étiez décidé à ne tenir aucun compte de mon opposition... » Et il parla ainsi pendant cinq ou dix minutes, qui me parurent des siècles. Le mot de malédiction ne fut point prononcé, mais le mot seul manqua. Alexis demeurait muet, offrant sans doute à Dieu dans son cœur ce qu’il souffrait à ce moment-là pour lui. Nous regagnâmes ensemble le quartier du Luxembourg, devisant de toutes choses, excepté de sa douleur.

L’entreprise de convertir son père tient une grande place dans la biographie d’Alexis. Lui, qui avait déjà converti tant d’âmes et qui devait en convertir tant d’autres encore, ne put vaincre la funeste obstination de celle-ci. Ô justice de Dieu ! Les idées auxquelles M. Clerc ne voulut jamais renoncer devaient avoir leur dernière conséquence dans le chemin de ronde de la Roquette. Assurément M. Clerc n’admettait pas les théories odieuses que la Commune devait proclamer ; mais M. Clerc était, comme la, plupart des révolutionnaires, rebelle à la logique de l’erreur autant qu’à la vérité de Dieu ; il réprouvait les conséquences de ses principes. Il aurait pu, sans donner un démenti à ses affections de 1848 et de toute sa vie, condamner les hommes de la Commune ; il n’aurait pas pu condamner ceux qui, encore à cette heure, évitent de prononcer une parole de réprobation contre les assassins des otages. Cette leçon, que Dieu a épargnée ici-bas au cœur d’un père, doit être une leçon aux hommes si souvent indifférents entre l’erreur et la vérité. Nous ne pouvons pas trahir celle-ci sans trahir la cause de nos enfants ; nous ne pouvons pas contribuer au succès de l’erreur sans en préparer les conséquences terribles, qui retomberont sur des êtres qui nous sont plus chers que nous-mêmes.

Pour Alexis Clerc, si loin qu’on remonte dans l’histoire de sa vie, on ne lui voit jamais prendre aucune part aux doctrines abominables d’où la Commune est sortie. Tant qu’il ne connaît pas la vérité chrétienne, il semble se réserver pour le jour où il la connaîtra, et il sera ainsi, à l’heure des expiations et des sacrifices, une victime toute pure.

Victime volontaire, car il choisit la compagnie de Jésus pour aller par elle où il est arrivé le 24 mai 1871. Dix-sept ans auparavant, il écrivait parmi ses motifs d’élection : « Elle s’appelle justement la compagnie de Jésus, parce que Jésus est le capitaine qui la conduit au combat et qu’elle souffre avec lui la persécution et les mépris. » Elle souffre, avec lui tout ce qu’il a souffert.

Entrant dans la compagnie de Jésus, Alexis avait les yeux fixés sur la croix où Jésus est mort. Il n’avait pas fait élection de son divin capitaine pour ne pas le suivre jusqu’au bout, pour s’arrêter à mi-chemin comme un soldat de peu de courage. Tandis qu’il suivait les exercices de saint Ignace, Jésus lui avait demandé : « Jusqu’où veux-tu me suivre et m’imiter ? Combien de coups de fouet veux-tu bien recevoir pour moi ? Veux-tu aussi être lié, dépouillé ? Iras tu jusqu’à verser quelques gouttes de sang ? Combien ? Revêtiras-tu le manteau de pourpre ? Veux-tu sentir aussi quelques épines de ma couronne ? » Et Alexis, loin d’être effrayé par ces appels du Dieu crucifié, mais exalté au contraire, avait répondu : « Je veux, Jésus, aller jusqu’où vous m’appellerez. Je veux ne pas détourner un coup, éviter une épine que vous me destinez. Je veux souffrir et être humilié pour vous, autant que vous le voudrez. Vous donnez la force de faire ce que vous demandez. Et aussi je vous demande que vous demandiez beaucoup de moi. »

Il enfermait ainsi dans un seul mot la demande du martyre et la demande de la soumission à la volonté divine. Il fut exaucé. Il fut arrêté, jeté en prison comme un vil criminel. Ce n’était pas encore assez pour son amour de Jésus-Christ, ce n’était pas assez non plus pour son amour de la patrie, si malheureuse et si rudement frappée par la colère de Dieu. Quand Paris, épouvanté par la Commune, attendait sa délivrance de Versailles, Alexis comprenait que tous les secours humains seraient impuissants contre les hommes de Satan qui siégeaient à l’Hôtel de Ville, qu’un sacrifice sanglant comme celui du Calvaire devait encore être offert à Dieu, et trop humble pour se mettre en avant même à ce moment-là, il savait s’offrir sans se nommer. Une dame, qui était venue le visiter rue Lhomond lui demandait : « Mon Père, n’avez-vous point peur pour vos maisons et vos personnes à Paris ? — Si fait, madame, répondit-il, j’ai d’autant plus peur que Paris est plus coupable ; il aurait besoin d’être purifié par le sang... Le bon Dieu devrait bien prendre le sang de quarante d’entre nous. » Le bon Dieu ne devait pas en prendre un aussi grand nombre : mais les victimes qui s’offrent ainsi pour apaiser sa colère, ne connaissent pas leur prix.

Le 21 mai 1871, trois jours avant la mort d’Alexis, M. Louis Veuillot écrivait la dédicace de la nouvelle édition du Lendemain de la Victoire. Dans ce’ livre, écrit vingt ans auparavant, c’est-à-dire à une époque où Alexis n’était encore ni jésuite, ni même novice, mais officier de marine chrétien, l’auteur a placé un Père jésuite qu’il a précisément nommé le P. Alexis. Celui-ci fait, comme Alexis Clerc devait le faire, le sacrifice de sa vie. Et je demande au lecteur la permission de détacher ici une page du livre de M. Louis Veuillot :

VALENTIN. — Mon Père, je cours aux barricades. L’affaire est grave. Songez à votre sûreté.

LE P. ALEXIS. — Mes vieilles résolutions tiennent toujours, mon cher ami. J’irai demeurer dans une maison moins connue, mais je ne quitterai point la ville.

VALENTIN. — Si les socialistes triomphent, ils vous découvriront.

LE P. ALEXIS. — Je n’ai pas l’intention de me cacher beaucoup.

VALETIN. — Ils vous tueront.

LE P. ALEXIS, souriant. — C’est trop juste. Dieu m’a fermé la route des missions, il me doit un dédommagement.

Le jésuite de la fiction ne veut pas se cacher beaucoup ; il ira dans une maison moins connue, mais il ne quittera point la ville menacée. Le jésuite de la réalité, ne veut pas se ca cher du tout ; il ne quittera ni Paris, déjà au pouvoir de la Commune, ni la sainte maison de son ordre : il y attend son dédommagement, il y attend la mort.

Enfermé à Mazas, Alexis renouvela son oblation, il la renouvela jusqu’au moment où la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa prison lui fit espérer qu’elle allait être acceptée. Un jésuite avait su, comme l’a déjà raconté le Père de Ponlevoy, faire passer à ses frères prisonniers de la Commune, des hosties consacrées. Jésus-Christ fut ainsi présent au milieu de ses disciples et de ses confesseurs jusqu’à la fin. Alexis vivait avec Jésus-Christ en attendant de mourir pour lui ; il le portait sur sa poitrine et il était heureux de signer Christophore, c’est-à-dire Porte-Christ, et c’est bien véritablement en compagnie de Jésus qu’il écrivait ces lignes, qui sont ses dernières lignes :

Oh ! dure toujours, ma prison, qui me vaux de porter mon Seigneur sur mon cœur, non pas comme un signe, mais comme la réalité de mon union avec lui ! Dans les premiers jours, j’ai demandé avec une grande instance que Notre-Seigneur m’appelât à un plus excellent témoignage de son nom. Les plus mauvais jours ne sont pas encore passés ; au contraire, ils s’approchent et ils seront si mauvais, que la bonté de Dieu devra les abréger ; mais enfin, nous y touchons. J’avais l’espérance que Dieu me donnerait la force de bien mourir ; aujourd’hui, mon espérance est devenue une vraie et solide confiance. Il me semble que je peux tout en celui qui me fortifie et qui m’accompagnera jusqu’à la mort. Le voudra-t-il ? Ce que je sais, c’est que, s’il ne le veut pas, j’en aurai un regret que la seule soumission à sa volonté pourra calmer.

Le P. Olivaint n’avait-il pas raison de dire : Ibant Gaudentes !

Alexis Clerc n’eut point le regret de ne pas mourir pour Jésus-Christ, son capitaine, pour la France qu’il avait toujours aimée d’un amour si profond et si délicat, pour Paris dont il était l’enfant. Il est mort pour expier les crimes de cette révolution qui n’avait jamais séduit son esprit ni son cœur, mais à laquelle il appartenait cependant par son origine. Parisien, il est mort frappé par les balles de la Commune de Paris ; officier français, il est mort en découvrant sa poitrine à ses assassins ; chrétien, soldat, de Jésus-Christ, il est mort portant l’habit de sa compagnie, la robe de jésuite.

Alex. de Saint-Albin.

source

L’UNIVERS – N° 2952. – Edition quotidienne. – Dimanche 24 Octobre 1875

Note de la rédaction

[1] nous renvoyons à la rubrique nécrologique de M. Alexandre-Denis Huot de Saint-Albin, parue dans la revue Polybiblion, parue en 1879, disponible ici : [Lien]

 

Liens

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k700225m/f3.image.r=...

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k700225m/f4.image.r=...

08/11/2014

Ch. Daniel's book review

Voici une recension parue dans la revue The Catholic World (New York) de la traduction du livre du Père Charles Daniel, sj. Cela montre, s'il en était besoin, l'écho qu'ont eu à l'étranger les drames de la Commune et, plus précisément, le martyr du Père Alexis Clerc, dont toute la vie fut, depuis sa conversion jusqu'à sa mort héroïque, exemplaire.

 

Review

LIFE OF FATHER ALEXIS CLERC, S.J., SAILOR AND MARTYR. By Rev. Father Charles Daniel, S.J. New York : D. & J. Sadlier & Co. 1880.

 

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We have read through this life of Father Clerc and have found it most interesting and edifying. It depicts the career of a man of our own day who had to contend with the most adverse influences, but who, being faithful to the inspirations of divine grace, overcame them all and obtained at last the martyr's crown.

Father Clerc reached the age of thirteen under the influence of a devoted and pious mother, but the religious impressions derived from her were soon smothered by the infidelity and hatred of religion prevailing in the state schools, to which he was sent by his father. After graduating at the Polytechnic he chose a career in the navy. For a little while he led a rather reckless life, like the rest of the midshipmen with whom he was thrown, but the sight of the heroism and self-sacrificing life of some French missionaries to the Gambier Islands in the South Seas aroused him to more noble thoughts, and then, after a long and difficult struggle of some years between these and the evil influence of former habits and irreligious companions, he finally emancipated himself from the slavery of vice and devoted himself henceforth to the service of God with his whole heart. He found his happiness in the exact performance of his duty as an officer, in studying the works of St. Thomas, and in the exercise of much prayer and communion with God. His piety was not sour or morose ; on the contrary, he appears to have been uniformly cheerful, and with a playful, innocent humor which made him a universal favorite with his associates in the navy. In this way he was the means of many conversions, and several of his companions, like himself, renounced their worldly prospects to devote themselves to a religious life.

The grace of God kept leading Father Clerc higher and higher, until, after ripe and mature deliberation, he came to the irrevocable determination to quit the navy and join the Society of Jesus. Then he practised for some years the virtues of humility and obedience in a way to edify all his companions, though hidden from the eyes of the world. God, as a reward for his faithfulness, selected him for martyrdom. He was shot, in company with the Archbishop of Paris and other eminent ecclesiastics, by the Communists in their rage when the city of Paris was taken from them. One cannot peruse this life without being strongly moved to follow Father Clerc's example. Father Daniel has faithfully collected the incidents of his life, many of his letters and the testimonies of the friends who knew and loved him, and has thus given us a most interesting biography which will well repay any one who will read it.

  

THE CATHOLIC WORLD.
A Monthly Magazine of General Literature and Science
Vol. XXXII. October, 1880, to March, 1881,

(pp. 719-720)

New York: The Catholic Publication Society Co., 9 Barclay Street, 1881.
Copyright, 1880, by I. T. HECKER.
 

Source:

https://archive.org/stream/catholicworld32pauluoft#page/n3/mode/2up