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24/03/2017

"Marcher par la route la plus droite" - Recension et témoignage

C'est dans le journal L'Univers du dimanche 24 octobre 1875 qu'est parue cette longue recension du livre du R.P. Charles Daniel, sur la vie d'Alexis Clerc.

Mais l'intérêt de cette recension est qu'elle a été écrite par Alex. de Saint-Albin, qui dit avoir connu le jeune Alexis Clerc [1] et apporte des éléments inédits sur la période de l'engagement d'Alexis dans la Compagnie de Jésus.

D'autre part, l'auteur évoque, en fin de recension, un dialogue tiré d'un livre de Louis Veuillot, dialogue qui, écrit vingt ans avant les événements tragiques de la Commune, semble fort prémonitoire...

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Alexis Clerc, marin, jésuite et otage de la Commune. Simple biographie par le R. P. Charles Daniel, S. J. — Un vol. in-18 jésus. Paris, Albanel et Baltenweck.

A la dernière page de ce livre, après avoir raconté la mort d’Alexis Clerc et ces glorieuses funérailles qui réunirent les cinq jésuites fusillés par la Commune, le P. Daniel ajoute, en parlant d’Alexis : « Depuis sa conversion, il a toujours marché par la route la plus droite. » Les trois premiers mots de ce témoignage sont de trop ; et plus ancien témoin que le P. Daniel, témoin de l’enfance et de la jeunesse d’Alexis, je veux les effacer et dire pour mon compte : « Il a toujours marché par la route la plus droite. »

Le souvenir des pieuses leçons d’une mère chrétienne triomphe difficilement des contradictions qui leur arrivent de toutes parts, quand l’enfant qui les reçut, gagnant sa quatorzième ou quinzième année, exerçant tous les jours les forces de son intelligence, croit trop volontiers à la sûreté de sa raison, qu’il a un père, des maîtres et des condisciples incrédules, et que la pauvre mère est devenue muette. Plus tard, l’expérience de la vie vient faire douter de la sagesse des douteurs, et l’homme se souvient de cette foi simple dont la simplicité même l’avait fait sourire, de cette foi qui fut celle de sa mère. Mais, avant cet heureux retour, il y a des années où la loi chrétienne, encore qu’elle ait été révélée à l’enfant par la bouche sacrée de sa mère, demeure en un oubli profond. En ces années-là, le futur jésuite, le futur martyr, ne connaissait que la loi naturelle ; et il l’aimait, ayant le cœur fait pour aimer la justice et la vérité. « Il a toujours marché par la route la « plus droite. » Et si les égarements dont il est parlé dans sa biographie outrageaient la loi chrétienne, encore une fois, Alexis ne connaissait pas alors la loi chrétienne. La route la plus droite n’était pas encore devenue pour lui cette « voie étroite qui conduit à la vie ». (Matt., VII, 14.)

La droiture naturelle, Alexis la tenait de son père, et il n’y avait pas beaucoup d’autres traits communs entre le père et le fils. Ils s’aimaient fort tendrement : mais ils n’avaient ni le même caractère, ni les mêmes inclinations, ni les mêmes goûts. Le père, voltairien et révolutionnaire passionné, se complaisait dans la lecture des livres qui flattaient ses antipathies ; et pourvu que la conclusion fût contre l’Eglise et contre la monarchie chrétienne, il croyait aveuglément tout ce que ses auteurs lui disaient. Bien autre était Alexis. Vif et ardent, en apparence prêt à se passionner pour tout, il ne se passionnait pour rien. Je n’ai jamais connu de nature qui parût plus portée à l’enthousiasme, et je ne le vis, au temps de sa jeunesse, enthousiaste d’aucun système religieux, politique ou littéraire. Pouvait-il trouver, en effet, dans tous les systèmes dont s’éprenaient alors les jeunes gens élevés comme lui, rien qui fût digne des chastes embrassements de son cœur ?

On a raconté des conversions plus frappantes que la sienne, on n’en a pas raconté de plus touchantes, et ce sera l’avis de tous ceux qui liront le livre du P. Daniel. Dieu s’était préparé cette âme-là dès le commencement. « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie, et il faut que je les amène. Elles écouteront ma voix. » Cette parole n’a pas été dite seulement pour les Gentils que les premiers apôtres devaient convertir et pour les infidèles que nos missionnaires vont toujours chercher aux extrémités de la terre, elle a été dite encore pour ces âmes « naturellement chrétiennes » que Dieu fait naître dans des pays chrétiens sans doute, mais dans des milieux où le nom de Jésus-Christ est méprisé. Âmes dont la douceur charme tous ceux qui ont quelque commerce avec elles, mais qui ne se laissent point charmer par les promesses et les séductions du monde, et qui semblent se garder intactes pour s’abandonner, quand viendra l’heure, aux promesses de Jésus-Christ et aux attraits tout-puissants de sa grâce.

Alexis, cependant, on le verra dans le récit du P. Daniel, n’a pas répondu au premier appel de Dieu. Il a hésité, non pas à confesser loyalement et hautement la vérité connue, mais à y conformer sa vie. A l’entrée de la voie étroite, il avait pressenti les grands sacrifices que Dieu allait lui demander, et son courage avait faibli un moment. Mais bientôt, étouffant les révoltes de la nature, il avait répondu à la grâce d’en haut par un don sans réserve de son cœur, de son esprit, de tout son être.

L’accomplissement des sacrifices suivit de près le consentement. Pour lui, qui avait connu les jésuites dans les missions, la pensée de vivre en chrétien et celle d’entrer dans la Compagnie de Jésus se liaient étroitement l’une à l’autre, sans toutefois se confondre. Devenu chrétien, non encore résolu à se faire jésuite, il ne cessa pas un instant cependant d’aspirer à la vie religieuse, d’y tendre comme à un but marqué d’avance et d’y « marcher par la route la plus droite. » Mais il n’était pas encore jésuite, il n’était pas même novice, il n’était que retraitant et frappait à la porte du noviciat, quand son père lui fit la menace, s’il entrait, de rompre pour toujours avec lui. Alexis entra où Dieu l’appelait. Mais il était le plus tendre des fils et il adressa lettres sur lettres à son père, prières sur prières, supplications sur supplications, pendant neuf années. Rien ne put fléchir cette colère, si cruelle au fils, coupable seulement d’avoir disposé de lui-même à l’âge de trente-cinq ans, si cruelle au père, qu’elle forçait d’étouffer la voix de son cœur.

La mort vint avant le pardon, du moins avant le pardon prononcé par le père et recueilli par l’enfant ; car un doute reste sur les sentiments de M. Clerc aux derniers jours de sa vie, sur ses sentiments envers Dieu et envers Alexis. Ce doute demeura au fils jusqu’à la fin pour qu’il eût à renouveler en quelque sorte chaque jour son sacrifice du premier jour, jusqu’au jour de son sacrifice sanglant, le 24 mai 1871. Il m’a été donne d’assister à une entrevue inoubliable de ce père inflexible et de ce fils à la fois si tendre et si ferme. C’était, je crois, en 1859. Je le rencontrai rue d’Hauteville, au seuil de la maison de son père. En montant l’escalier, il m’annonça qu’il partait le soir même pour Laval, où il allait recevoir la prêtrise. M. Clerc était seul. Alexis lui dit en peu de mots le pas nouveau qu’il allait faire, non dans sa carrière de religieux, mais dans celle de ministre de Jésus-Christ. Avant d’être ordonné prêtre, il voulait recevoir la bénédiction paternelle, et il venait la demander.

Le coup ne pouvait pas être inattendu. M. Clerc le supporta sans éclater en paroles violentes. Cependant, il se dressa, comme soulevé par une indignation mal contenue, et il répondit a son fils : « Vous savez combien est contraire à ma volonté le parti que vous avez pris; vous n’aviez pas besoin de venir me trouver, puisque vous étiez décidé à ne tenir aucun compte de mon opposition... » Et il parla ainsi pendant cinq ou dix minutes, qui me parurent des siècles. Le mot de malédiction ne fut point prononcé, mais le mot seul manqua. Alexis demeurait muet, offrant sans doute à Dieu dans son cœur ce qu’il souffrait à ce moment-là pour lui. Nous regagnâmes ensemble le quartier du Luxembourg, devisant de toutes choses, excepté de sa douleur.

L’entreprise de convertir son père tient une grande place dans la biographie d’Alexis. Lui, qui avait déjà converti tant d’âmes et qui devait en convertir tant d’autres encore, ne put vaincre la funeste obstination de celle-ci. Ô justice de Dieu ! Les idées auxquelles M. Clerc ne voulut jamais renoncer devaient avoir leur dernière conséquence dans le chemin de ronde de la Roquette. Assurément M. Clerc n’admettait pas les théories odieuses que la Commune devait proclamer ; mais M. Clerc était, comme la, plupart des révolutionnaires, rebelle à la logique de l’erreur autant qu’à la vérité de Dieu ; il réprouvait les conséquences de ses principes. Il aurait pu, sans donner un démenti à ses affections de 1848 et de toute sa vie, condamner les hommes de la Commune ; il n’aurait pas pu condamner ceux qui, encore à cette heure, évitent de prononcer une parole de réprobation contre les assassins des otages. Cette leçon, que Dieu a épargnée ici-bas au cœur d’un père, doit être une leçon aux hommes si souvent indifférents entre l’erreur et la vérité. Nous ne pouvons pas trahir celle-ci sans trahir la cause de nos enfants ; nous ne pouvons pas contribuer au succès de l’erreur sans en préparer les conséquences terribles, qui retomberont sur des êtres qui nous sont plus chers que nous-mêmes.

Pour Alexis Clerc, si loin qu’on remonte dans l’histoire de sa vie, on ne lui voit jamais prendre aucune part aux doctrines abominables d’où la Commune est sortie. Tant qu’il ne connaît pas la vérité chrétienne, il semble se réserver pour le jour où il la connaîtra, et il sera ainsi, à l’heure des expiations et des sacrifices, une victime toute pure.

Victime volontaire, car il choisit la compagnie de Jésus pour aller par elle où il est arrivé le 24 mai 1871. Dix-sept ans auparavant, il écrivait parmi ses motifs d’élection : « Elle s’appelle justement la compagnie de Jésus, parce que Jésus est le capitaine qui la conduit au combat et qu’elle souffre avec lui la persécution et les mépris. » Elle souffre, avec lui tout ce qu’il a souffert.

Entrant dans la compagnie de Jésus, Alexis avait les yeux fixés sur la croix où Jésus est mort. Il n’avait pas fait élection de son divin capitaine pour ne pas le suivre jusqu’au bout, pour s’arrêter à mi-chemin comme un soldat de peu de courage. Tandis qu’il suivait les exercices de saint Ignace, Jésus lui avait demandé : « Jusqu’où veux-tu me suivre et m’imiter ? Combien de coups de fouet veux-tu bien recevoir pour moi ? Veux-tu aussi être lié, dépouillé ? Iras tu jusqu’à verser quelques gouttes de sang ? Combien ? Revêtiras-tu le manteau de pourpre ? Veux-tu sentir aussi quelques épines de ma couronne ? » Et Alexis, loin d’être effrayé par ces appels du Dieu crucifié, mais exalté au contraire, avait répondu : « Je veux, Jésus, aller jusqu’où vous m’appellerez. Je veux ne pas détourner un coup, éviter une épine que vous me destinez. Je veux souffrir et être humilié pour vous, autant que vous le voudrez. Vous donnez la force de faire ce que vous demandez. Et aussi je vous demande que vous demandiez beaucoup de moi. »

Il enfermait ainsi dans un seul mot la demande du martyre et la demande de la soumission à la volonté divine. Il fut exaucé. Il fut arrêté, jeté en prison comme un vil criminel. Ce n’était pas encore assez pour son amour de Jésus-Christ, ce n’était pas assez non plus pour son amour de la patrie, si malheureuse et si rudement frappée par la colère de Dieu. Quand Paris, épouvanté par la Commune, attendait sa délivrance de Versailles, Alexis comprenait que tous les secours humains seraient impuissants contre les hommes de Satan qui siégeaient à l’Hôtel de Ville, qu’un sacrifice sanglant comme celui du Calvaire devait encore être offert à Dieu, et trop humble pour se mettre en avant même à ce moment-là, il savait s’offrir sans se nommer. Une dame, qui était venue le visiter rue Lhomond lui demandait : « Mon Père, n’avez-vous point peur pour vos maisons et vos personnes à Paris ? — Si fait, madame, répondit-il, j’ai d’autant plus peur que Paris est plus coupable ; il aurait besoin d’être purifié par le sang... Le bon Dieu devrait bien prendre le sang de quarante d’entre nous. » Le bon Dieu ne devait pas en prendre un aussi grand nombre : mais les victimes qui s’offrent ainsi pour apaiser sa colère, ne connaissent pas leur prix.

Le 21 mai 1871, trois jours avant la mort d’Alexis, M. Louis Veuillot écrivait la dédicace de la nouvelle édition du Lendemain de la Victoire. Dans ce’ livre, écrit vingt ans auparavant, c’est-à-dire à une époque où Alexis n’était encore ni jésuite, ni même novice, mais officier de marine chrétien, l’auteur a placé un Père jésuite qu’il a précisément nommé le P. Alexis. Celui-ci fait, comme Alexis Clerc devait le faire, le sacrifice de sa vie. Et je demande au lecteur la permission de détacher ici une page du livre de M. Louis Veuillot :

VALENTIN. — Mon Père, je cours aux barricades. L’affaire est grave. Songez à votre sûreté.

LE P. ALEXIS. — Mes vieilles résolutions tiennent toujours, mon cher ami. J’irai demeurer dans une maison moins connue, mais je ne quitterai point la ville.

VALENTIN. — Si les socialistes triomphent, ils vous découvriront.

LE P. ALEXIS. — Je n’ai pas l’intention de me cacher beaucoup.

VALETIN. — Ils vous tueront.

LE P. ALEXIS, souriant. — C’est trop juste. Dieu m’a fermé la route des missions, il me doit un dédommagement.

Le jésuite de la fiction ne veut pas se cacher beaucoup ; il ira dans une maison moins connue, mais il ne quittera point la ville menacée. Le jésuite de la réalité, ne veut pas se ca cher du tout ; il ne quittera ni Paris, déjà au pouvoir de la Commune, ni la sainte maison de son ordre : il y attend son dédommagement, il y attend la mort.

Enfermé à Mazas, Alexis renouvela son oblation, il la renouvela jusqu’au moment où la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa prison lui fit espérer qu’elle allait être acceptée. Un jésuite avait su, comme l’a déjà raconté le Père de Ponlevoy, faire passer à ses frères prisonniers de la Commune, des hosties consacrées. Jésus-Christ fut ainsi présent au milieu de ses disciples et de ses confesseurs jusqu’à la fin. Alexis vivait avec Jésus-Christ en attendant de mourir pour lui ; il le portait sur sa poitrine et il était heureux de signer Christophore, c’est-à-dire Porte-Christ, et c’est bien véritablement en compagnie de Jésus qu’il écrivait ces lignes, qui sont ses dernières lignes :

Oh ! dure toujours, ma prison, qui me vaux de porter mon Seigneur sur mon cœur, non pas comme un signe, mais comme la réalité de mon union avec lui ! Dans les premiers jours, j’ai demandé avec une grande instance que Notre-Seigneur m’appelât à un plus excellent témoignage de son nom. Les plus mauvais jours ne sont pas encore passés ; au contraire, ils s’approchent et ils seront si mauvais, que la bonté de Dieu devra les abréger ; mais enfin, nous y touchons. J’avais l’espérance que Dieu me donnerait la force de bien mourir ; aujourd’hui, mon espérance est devenue une vraie et solide confiance. Il me semble que je peux tout en celui qui me fortifie et qui m’accompagnera jusqu’à la mort. Le voudra-t-il ? Ce que je sais, c’est que, s’il ne le veut pas, j’en aurai un regret que la seule soumission à sa volonté pourra calmer.

Le P. Olivaint n’avait-il pas raison de dire : Ibant Gaudentes !

Alexis Clerc n’eut point le regret de ne pas mourir pour Jésus-Christ, son capitaine, pour la France qu’il avait toujours aimée d’un amour si profond et si délicat, pour Paris dont il était l’enfant. Il est mort pour expier les crimes de cette révolution qui n’avait jamais séduit son esprit ni son cœur, mais à laquelle il appartenait cependant par son origine. Parisien, il est mort frappé par les balles de la Commune de Paris ; officier français, il est mort en découvrant sa poitrine à ses assassins ; chrétien, soldat, de Jésus-Christ, il est mort portant l’habit de sa compagnie, la robe de jésuite.

Alex. de Saint-Albin.

source

L’UNIVERS – N° 2952. – Edition quotidienne. – Dimanche 24 Octobre 1875

Note de la rédaction

[1] nous renvoyons à la rubrique nécrologique de M. Alexandre-Denis Huot de Saint-Albin, parue dans la revue Polybiblion, parue en 1879, disponible ici : [Lien]

 

Liens

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