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12/06/2016

Le Nunc demittis du Père Alexis Clerc

  Alors qu’il était encore emprisonné à Mazas, le père Alexis Clerc écrivit une dernière lettre, avant son transfert vers la prison de la Roquette ou l’attendait le martyr.

  Selon son biographe, le RP Charles Daniel, cette lettre constitue « vraiment son Nunc dimittis ».[1] Après avoir cité la lettre dans son intégralité, il rajoute ceci : « Un prêtre, ayant lu cette lettre aux fidèles du haut de la chaire, la comparait à celles de saint Ignace d’Antioche. Oui, certes, la ressemblance est frappante. C’est que le même Dieu habitait en eux et leur inspirait les mêmes ardeurs ; et si Clerc avait eu, comme cet illustre martyr, à s’expliquer devant des juges, il leur aurait tenu le même langage : « Je suis prêtre de Jésus-Christ, à qui je sacrifie tous les jours, et maintenant je souhaite me sacrifier moi-même en mourant pour sa gloire comme il est mort pour mon amour. »

  Quelques décennies plus tard, rendant hommage aux otages, dans la revue Etudes, un certain Y.B. confirme à son tour ce possible rapprochement avec la Lettre aux romains de Saint Ignace d’Antioche : « Une lettre d’actions de grâces, écrite de Mazas, le 16 mai, par le P. Alexis Clerc, mérite d’être rapprochée de l’épître fameuse aux chrétiens de Rome, où le martyr saint Ignace d’Antioche, au début du second siècle, chante avec amour son ardent désir d’être uni par le sacrifice de son sang au Pain véritable et vivant, Jésus-Christ »[2]

  Pour juger sur pièce nous donnons les deux lettres, d’abord celle du Père Alexis Clerc, suivie de celle de Saint Ignace d’Antioche, telle que disponible sur le site :

http://regnat.pagesperso-orange.fr/Doc200/IgnaceDAntioche...

 oOo

 

LETTRE DU PÈRE CLERC, 16 MAI 1871

 

Ah ! mon Dieu, que vous êtes bon ! et qu'il est vrai que la miséricorde de votre cœur ne sera jamais démentie !

Et nous, que de remerciements, que d'actions de grâces ne vous devons-nous pas ? Après avoir mille et mille fois répété l'expression de mon impérissable reconnaissance, et vous avoir offert à un titre nouveau les faibles services d'un cœur cependant sincère et dévoué, il me restera de souhaiter que le don que vous me faites vous soit toujours fait à vous-même, et surtout aux jours des épreuves.

Je n'avais pas osé concevoir l'espérance d'un tel bien. Posséder Notre-Seigneur, l'avoir pour compagnon de ma captivité, le porter sur mon cœur et reposer sur le sien, comme il l'a permis à son bien-aimé Jean. Oui, c'est trop pour moi, et ma pensée ne s'y arrêtait pas. Et cependant cela est. Mais n'est-il pas vrai que tous les hommes et tous les saints ensemble n'auraient non plus jamais osé concevoir l'Eucharistie ? Oh ! qu'il est bon, qu'il est compatissant, qu'il est prévenant, le Dieu de l'Eucharistie !

Ne semble-t-il pas nous faire encore ce reproche : « Vous ne demandez rien en mon nom, demandez donc et vous recevrez? » Je l'ai sans l'avoir demandé ; je l'ai et je ne l'abandonnerai plus, et mon désir de l'avoir, éteint faute d'espoir, est ranimé et ne fera que grandir à mesure que durera la possession.

Ah! prison, chère prison, toi dont j'ai baisé les murs en disant : bona crux ! quel bien tu me vaux ! Tu n'es plus une prison, tu es une chapelle. Tu ne m'es plus même une solitude, puisque je n'y suis pas seul, et que mon Seigneur et mon Roi, mon Maître et mon Dieu, y demeure avec moi. Ce n'est plus seulement par la pensée que je m'approche de lui, ce n'est plus seulement par la grâce qu'il s'approche de moi ; mais il est réellement et corporellement venu trouver et consoler le pauvre prisonnier. Il veut lui tenir compagnie ; il le veut et ne le peut-il pas puisqu'il est tout-puissant ? Mais aussi que de merveilles pour venir à bout d'un tel dessein ! Et vous entrez dans ces merveilles de la tendresse du coeur de Jésus pour son indigne serviteur.

Oh ! dure toujours, ma prison, qui me vaux de porter mon Seigneur sur mon cœur, non pas comme un signe, mais comme la réalité de mon union avec lui ! Dans les premiers jours, j'ai demandé avec une grande instance que Notre-Seigneur m'appelât à un plus excellent témoignage de son nom. Les plus mauvais jours ne sont pas encore passés ; au contraire ils s'approchent, et ils seront si mauvais que la bonté de Dieu devra les abréger, mais enfin nous y touchons. J'avais l'espérance que Dieu me donnerait la force de bien mourir; aujourd'hui mon espérance est devenue une vraie et solide confiance. Il me semble que je peux tout en Celui qui me fortifie et qui m'accompagnera jusqu'à la mort. Le voudra-t-il? Ce que je sais, c'est que, s'il ne le veut pas, j'en aurai un regret que ma seule soumission à sa volonté pourra calmer.

Mais s'il le veut, comme vous aurez une grande part à ce bienfait de la force qu'il m'aura prêtée !

 

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La prison de Mazas

 

Ignace d’Antioche

LETTRE AUX ROMAINS

 

Ignace, dit aussi Théophore, à l'Église qui a reçu miséricorde par la magnificence du Père très haut et de Jésus-Christ son Fils unique, l'Église bien-aimée et illuminée par la volonté de celui qui a voulu tout ce qui existe, selon la foi et l'amour pour Jésus-Christ notre Dieu ; l'Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d'honneur, digne d'être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père ; je la salue au nom de Jésus-Christ, le fils du Père ; aux frères qui, de chair et d'esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus-Christ notre Dieu toute joie irréprochable.

I, 1. Par mes prières j'ai obtenu de Dieu de voir vos saints visages, car j'avais demandé avec insistance de recevoir cette faveur ; car, enchaîné dans le Christ Jésus, j'espère vous saluer, si du moins c'est la volonté de Dieu que je sois trouvé digne d'aller jusqu'au terme. 2. Car le commencement est facile ; si du moins j'obtiens la grâce de recevoir sans empêchement la part qui m'est réservée. Mais je crains que votre charité ne me fasse tort. Car à vous il est facile de faire ce que vous voulez, mais à moi il est difficile d'atteindre Dieu, si vous ne m'épargnez pas.

Il, 1. Car je ne veux pas que vous plaisiez aux hommes, mais que vous plaisiez à Dieu, comme, en fait, vous lui plaisez. Pour moi, jamais je n'aurai une telle occasion d'atteindre Dieu, et vous, si vous gardez le silence, vous ne pouvez souscrire à une oeuvre meilleure. Si vous gardez le silence à mon sujet, je serai à Dieu ; mais si vous aimez ma chair, il me faudra de nouveau courir. 2. Ne me procurez rien de plus que d'être offert en libation à Dieu (cf. Ph 2, 17; 2 Tm 4, 6), tandis que l'autel est encore prêt, afin que, réunis en choeur dans la charité, vous chantiez au Père dans le Christ Jésus, parce que Dieu a daigné faire que l'évêque de Syrie fût trouvé en lui , l'ayant fait venir du levant au couchant. Il est bon de se coucher loin du monde vers Dieu, pour se lever en lui.

III, 1. Jamais vous n'avez jalousé personne, vous avez enseigné les autres. Je veux, moi, que ce que vous commandez aux autres par vos leçons garde sa force. 2. Ne demandez pour moi que la force intérieure et extérieure, pour que non seulement je parle, mais que je veuille, pour que non seulement on me dise chrétien, mais que je le sois trouvé de fait . Si je le suis de fait, je pourrai me dire tel, et être un vrai croyant, quand je ne serai plus visible au monde. 3. Rien de ce qui est visible n'est bon. Car notre Dieu, Jésus-Christ, étant en son Père, se fait voir davantage. Car ce n'est pas une oeuvre de persuasion que le christianisme, mais une oeuvre de puissance, quand il est haï par le monde.

IV, 1. Moi, j'écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c'est de bon coeur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous vous ne m'en empêchez pas. Je vous en supplie, n'ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ. 2. Flattez plutôt les bêtes, pour qu'elles soient mon tombeau, et qu'elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C'est alors que je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra même plus mon corps. Implorez le Christ pour moi, pour que, par l'instrument des bêtes, je sois une victime offerte à Dieu. Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient libres, et moi jusqu'à présent un esclave (cf. 1 Co 9, 1). Mais si je souffre, je serai un affranchi de Jésus-Christ (1 Co 7, 22) et je renaîtrai en lui, libre. Maintenant enchaîné, j'apprends à ne rien désirer.

V, 1. Depuis la Syrie jusqu'à Rome, je combats contre les bêtes (cf. 1 Co 15, 32), sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c'est-à-dire à un détachement de soldats ; quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires. Mais, par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple, mais " je n'en suis pas pour autant justifié " (1 Co 4,4). 2. Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu'elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu'elles me dévorent promptement, non comme certains dont elles ont eu peur, et qu'elles n'ont pas touchés. Et, si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai. 3. Pardonnez-moi ; ce qu'il me faut, je le sais, moi. C'est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m'empêche par jalousie, de trouver le Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ.

VI, 1. Rien ne me servira des charmes du monde ni des royaumes de ce siècle. Il est bon pour moi de mourir (cf. 1 Co 9, 15) pour m'unir au Christ Jésus, plus que de régner sur les extrémités de la terre. C'est lui que je cherche, qui est mort pour nous ; lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. Mon enfantement approche, 2. Pardonnez-moi, frères ; ne m'empêchez pas de vivre, ne veuillez pas que je meure. Celui qui veut être à Dieu, ne le livrez pas au monde, ne le séduisez pas par la matière. Laissez-moi recevoir la pure lumière ; quand je serai arrivé là, je serai un homme. 3. Permettez-moi d'être un imitateur de la passion de mon Dieu. Si quelqu'un a Dieu en lui, qu'il comprenne ce que je veux, et qu'il ait compassion de moi, connaissant ce qui m'étreint (cf. Ph 1, 23).

VII, 1. Le prince de ce monde veut m'arracher, et corrompre les sentiments que j'ai pour Dieu. Que personne donc, parmi vous qui êtes là, ne lui porte secours ; plutôt soyez pour moi, c'est-à-dire pour Dieu. N'allez pas parler de Jésus-Christ, et désirer le monde. 2. Que la jalousie n'habite pas en vous. Et si, quand je serai près de vous, je vous implore, ne me croyez pas. Croyez plutôt à ce que je vous écris. C'est bien vivant que je vous écris, désirant de mourir. Mon désir terrestre a été crucifié, et il n'y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais en moi une " eau vive " (cf. Jn 4, 10 ; 7, 38 ; Ap 14, 25) qui murmure et qui dit au-dedans de moi: " Viens vers le Père " (cf. Jn 14, 12, etc.). 3. Je ne me plais plus à une nourriture de corruption ni aux plaisirs de cette vie ; c'est le pain de Dieu que je veux, qui est la chair de Jésus-Christ, de la race de David (Jn 7, 42 ; Rm 1, 3), et pour boisson je veux son sang, qui est l'amour incorruptible.

VIII, 1. Je ne veux plus vivre selon les hommes. Cela sera, si vous le voulez. Veuillez-le, pour que vous aussi, vous obteniez le bon vouloir de Dieu. 2. Je vous le demande en peu de mots : croyez-moi, Jésus-Christ vous fera voir que je dis vrai, il est la bouche sans mensonge par laquelle le Père a parlé en vérité. 3. Demandez pour moi que je l'obtienne. Ce n'est pas selon la chair que je vous écris, mais selon la pensée de Dieu. Si je souffre, vous m'aurez montré de la bienveillance ; si je suis écarté, de la haine.

IX, 1. Souvenez-vous dans votre prière de l'Église de Syrie, qui, en ma place, a Dieu pour pasteur. Seul Jésus Christ sera son évêque, et votre charité. 2. Pour moi, je rougis d'être compté parmi eux, car je n'en suis pas digne, étant le dernier d'entre eux, et un avorton (cf. 1. Co 14, 8, 9). Mais j'ai reçu la miséricorde d'être quelqu'un, si j'obtiens Dieu. 3. Mon esprit vous salue, et la charité des Églises qui m'ont reçu, au nom de Jésus-Christ (cf. Mt 18, 40, 41), non comme un simple passant. Et celles-là mêmes qui n'étaient pas sur ma route selon la chair, allaient au-devant de moi de ville en ville.

X, 1. Je vous écris ceci de Smyrne par l'intermédiaire d'Éphésiens dignes d'être appelés bienheureux. Il y a aussi avec moi, en même temps que beaucoup d'autres, Crocus, dont le nom m'est si cher. 2. Quant à ceux qui m'ont précédé de Syrie jusqu'à Rome pour la gloire de Dieu, je crois que vous les connaissez maintenant : faites-leur savoir que je suis proche. Tous sont dignes de Dieu et de vous, et il convient que vous les soulagiez en toutes choses. 3. Je vous écris ceci le neuf d'avant les calendes de septembre. Portez-vous bien jusqu'à la fin dans l'attente de Jésus-Christ.

 

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[1] Expression tirée de la Bible, dans l’évangile de Saint Luc, au chapitre 2, 29 :

Nunc dimittis servum tuum,
Domine, secundum verbum tuum in pace. Traduction de la Vulgate.

« Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. » (Trad. Liturgique).

[2] Y.B. Le jubilé d’un holocauste. Les otages de la commune (24-27 mai 1871), in Revue Études, 58e année, tome 167e de la collection, 5 mai 1921.

26/10/2015

Souvenirs des martyrs

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26/09/2015

Funérailles des Otages (Compte-rendu)

Paru dans la Biographie de Sa Grandeur Mgr Georges Darboy, archevêque de Paris : avec une notice sur les principaux otages massacrés en mai 1871, par ordre de la Commune, par Cyprien Ordioni, A. Leclère et Cie Ed., Paris, 1871.

 

COMPTE RENDU

DES

FUNÉRAILLES DES OTAGES

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FUNÉRAILLES DES OTAGES

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extrait des journaux

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Aujourd’hui 7 juin Paris a entendu le canon. C’était pour annoncer les funérailles de l’archevêque. Le corps, quittant le palais archiépiscopal, est porté triomphalement à Notre-Dame ; ce corps frappé il y a quelques jours contre le mur intérieur d’une prison, et enfoui avec d’autres à l’angle d’une rue ! Derrière lui marche la France, représentée officiellement par l’Assemblée nationale ; devant lui s’avance la croix, proscrite à vrai dire depuis neuf mois ; car le gouvernement régulier l’avait laissé chasser des écoles, avant que le gouvernement insurgé la fit tomber du fronton des églises et l’arrachât même des autels. La croix revendique et reprend ses droits par le martyre. Il y a une voix du sang et du témoignage qui l’appelle impérieusement. Il faut céder, Dieu le veut. Les barricades s’abaissent, la passion du sauvage s’impose le frein, la passion plus rebelle et plus sourde du lettré s’impose le silence, la croix passe. ‘Vous ferez demain comme il vous plaira, vous comprendrez ou vous ne comprendrez pas, vous changerez de voie ou vous continuerez dans votre voie mauvaise : mais voici un martyr, et vous laisserez passer la croix !

Il y a deux grandes palmes sur ce cercueil, deux palmes immortelles. La palme de l’obéissance est unie à celle du martyre. Avant de mourir avec cette sérénité qui accepte et qui pardonne, l’archevêque avait fait un acte de foi et d’humilité plus précieux même que sa mort. Entre la captivité du siège et la captivité de la prison, il s’est soumis à un décret de l’Eglise qu’il avait combattu. C’est la gloire de sa vie, sa couronne plus resplendissante que la couronne de sang, le triomphe de son âme sacerdotale. C’est par là qu’il a sauvé son Église,, et qu’il obtiendra de Dieu pour son peuple un autre pasteur qui le gardera dans la foi.

Que la mémoire de Georges Darboy, archevêque de Paris, témoin de Pierre, vicaire du Christ, et témoin du Christ, fils unique de Dieu, soit bénie à jamais!...

(Univers.)

Une foule nombreuse s’était portée sur le chemin que devait parcourir le funèbre cortège. Dès le matin, le palais archiépiscopal de la rue de Grenelle-Saint-Germain était l’objet d’un véritable pèlerinage. Tous les fonctionnaires, les députés, les prélats venus de Versailles pour assister aux funérailles, se rendaient à la chapelle ardente.

A dix heures et demie, le cortège se mit en marche et suivit la rue de Bourgogne et les quais, jusqu’au parvis Notre-Dame.

Le corps de Mgr Darboy n’a pas pu être porté à bras et la figure découverte, ainsi qu’on l’avait dit, car avant-hier il a fallu procéder à la mise au cercueil. L’archevêque n’ayant pu être embaumé que trois ou quatre jours après sa mort, cet embaumement n’a produit aucun effet et force a été de le transporter sur un char et dans un double cercueil.

Dès neuf heures du matin, les troupes qui devaient former le cortège se massent sur la place des invalides, rue de l’Université, place et rue de Bourgogne et sur le quai d’Orsay.

Six-coups de canon annoncèrent la sortie du cortège du palais archiépiscopal.

Le 1er régiment de cuirassiers, qui formait la tête, se mit en mouvement. Venait ensuite le général Vinoy et son état-major : le 3e régiment de chasseur d’Afrique, deux généraux de brigade, le 23e régiment des chasseurs de Vincennes, le 39e de ligne, musique en tête, le 48e, et quatre voitures de deuil dans lesquelles ont pris place les chanoines du chapitre métropolitain.

Enfin, la croix, la crosse, la mitre, le bougeoir et le pontifical des archevêques de Paris, portés par de jeunes prêtres, précédant le char, attelé de six chevaux richement caparaçonnés et conduits à la main par des palefreniers en grande livrée et portant les restes mortels de Mgr Darboy.

Le frère du défunt et des parents et amis de la famille suivent à pied, dans le plus profond recueillement.

Ils sont suivis par une députation de l’Assemblée nationale, par les consistoires israélite et protestant, par des académiciens, des artistes, des membres de la chambre de commerce et des commerçants du faubourg Saint-Germain.

Viennent ensuite le char portant les restes de Mgr Surat, attelé de quatre chevaux, le 38e de ligne, une batterie d’artillerie et trois escadrons des 8e et 9e de cuirassiers qui ferment la marche.

La foule est immense sur tout le parcours ; la place du Parvis est inabordable.

Dès six heures du matin, toutes les tribunes de l’immense basilique sont remplies d’assistants.

Personne ne pénètre plus dans l’église. La façade est entièrement tendue de noir.

A la porte, le chapitre de Notre-Dame, les curés de Paris et leur clergé reçoivent le corps de l’archevêque, qui est porté processionnellement sous le catafalque qui lui a été élevé et autour duquel l’attendaient les corps de ses infortunés compagnons, le curé de la Madeleine et les trois pères Jésuites fusillés avec lui.

Sur les marches de l’Hôtel-Dieu, une foule compacte entoure les sœurs de charité qui stationnent au dernier rang.

La tristesse est sur tous les visages à Notre-Dame, et des torchères, à l’esprit de vin, qui brûlent sur toute la longueur de la grande nef, ajoutent encore au milieu de ces tentures noires, à l’émotion qui se lit sur tous les visages.

La chaire et la stalle de l’archevêque sont voilées de longs crêpes noirs à crépine d’argent.

Tout en haut de l’église, sur des écussons appendus à intervalles égaux, on lisait ces dates funestes :

22, 23, 24, 25 mai 1871

ainsi que les noms des malheureuses victimes de ces horribles journées.

Le corps de Mgr Darboy, pendant la cérémonie, était disposé sous un dais magnifique aux coins duquel se trouvaient quatre anges, la main sur la figure en signe de deuil. — Le corps de Mgr Surat reposait à droite et celui de M. l’abbé Deguerry à gauche, sous deux catafalques. Les vêtements sacerdotaux des malheureuses victimes étaient déposés sur leur cercueil.

Au fond de l’église se tenait le général Laveaucoupet, entouré de son état-major. C’est lui qui commandait les forces militaires pour la triste cérémonie.

Dans le chœur étaient placés le maréchal Mac-Mahon, les généraux de Cissey, Susbielle, ainsi que l’amiral Saisset accompagnés de leurs états-majors. Auprès d’eux se trouvaient MM. Jules Favre, Jules Simon, Grévy, Daru, Picard, Léon Say et d’autres encore.

De chaque côté des catafalques étaient les députés au nombre de deux cents au moins. Dans la grande nef, plus près de la grande porte d’entrée, les membres de l’Institut, parmi lesquels le baron Taylor et M. Camille Doucet.

Plus loin, sur le côté opposé, plusieurs généraux entourés d’officiers de tous grades. Derrière ceux-ci, la Société des sauveteurs de Paris.

Pendant la bénédiction, les clairons et les tambours sonnaient ft battaient aux champs. La musique de la garde républicaine s’est fait entendre à diverses reprises.

La cérémonie s’est terminée par cinq absoutes données successivement par les évêques de Versailles, de Coutances, de Châlons, de Bagneux et en dernier lieu par Mgr Chigi, nonce du pape.

Le prélat officiant était Mgr Alouvri, ancien évêque de Pamiers, remplaçant le doyen d’âge, Mgr Allot, évêque de Meaux, empêché par indisposition.

L’évêque de Troyes était avec le chapitre.

Le Miserere de Mozart a été joué à la fin de la cérémonie. Le hasard a produit à ce moment un effet grandiose. Un coup de canon, dont la vibration s’est longtemps prolongée sous les voûtes, a pointé la dernière note du morceau.

La foule s’est retirée en silence, et le cercueil a été descendu dans le caveau des archevêques de Paris. 

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LISTE OFFICIELLE

DES OTAGES ASSASSINÉS AVEC MGR L’ARCHEVÊQUE DE PARIS

 

Mgr Darboy, archevêque de Paris. — Mgr. Surat, protonotaire apostolique, vicaire général de Paris. — L’abbé Deguerry, curé de la Madeleine. — L’abbé Bécourt, curé de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. — L’abbé Sabatier, deuxième vicaire de Notre-Dame-de-Lorette. — L’abbé Allard, prêtre libre, aumônier d’ambulance. — L’abbé Plan chat, aumônier du patronage de Sainte-Anne, à Charonne. — Le R. P. Houillon, prêtre de la Congrégation des Missions étrangères. — M. Seigneret, séminariste de Saint-Sulpice. — Les RR. PP. Ducoudray, Olivaint, Clerc, Caubert, de Bengy, de la Compagnie de Jésus. — Les RR. PP. Radigue, Tuffier, Rouchouze, Tardieu, de la Congrégation des S.-C. de Jésus et de Marie. (Maison de Picpus.) — Les RR. PP. Captier, Bourard, Cotrault, Delhorme, prêtres, Chatagneret, sous-diacre, dominicains de l’école libre Albert-le-Grand, à Arcueil.

MM. Bonjean, président à la cour de cassation. — Chaudey, publiciste. — Jecker, banquier. — Gauquelin, Volant, Petit, maîtres auxiliaires à l’école libre Albert-le-Grand (à Arcueil). — Aimé Gros, Marce, Cathala, Dintroz, Cheminai, serviteurs de l’école libre Albert-le-Grand (à Arcueil).

MM. Genty, maréchal des logis de gendarmerie. — Bermont, Poirot, Pons, brigadiers de gendarmerie. — Bellamy, Chapuis, Doublet, Ducrot, Bodin, Pauly, Walter, gendarmes. — Keller, Weiss, gardes de Paris.

(Journal officiel.)

 

Il faut ajouter à ces noms :

MM. Derest, ancien officier de paix. — Largillière, sergent-fourrier. — Moreau, garde national. — Belanuy, Biancherdini, Biolland, Burtolei, Breton, Cousin, Coudeville, Colombani, Dupré, Fischer, Garodet, Geanty, Jourès, Marchetti, Mangenot, Margueritte, Maunoni, Mouillie, Marty, Millotte, Paul, Pourtau, Salder, Vallette, gardes de Paris.

 

 

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