UA-67297777-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/09/2017

L’œuvre et la chapelle de la rue Haxo (La Croix, 31 mai 1938)

La Croix, 31 mai 1938

Les idées – LA CROIX – Les faits

 

Les massacres des otages

L’œuvre et la chapelle de la rue Haxo

  Le 67e anniversaire du massacre des otages a été commémoré tout récemment 85, rue Haxo.

  Au moment où socialistes et communistes manifestent devant le mur du Père-Lachaise, il n’est pas inutile de rappeler les assassinats de la Commune, dont le mur sanglant de la rue Haxo porte le témoignage indélébile.

*
* *

  Le 22 mai 1871, après l’entrée des troupes de Versailles à Paris, Mgr Darboy, archevêque de Paris M. Deguerry, curé de la Madeleine; M. Bonjean, président de la Cour de cassation les PP. Ducoudrav et Clerc, Jésuites; les PP. Pernv et Houillon, des Missions Etrangères, et d’autres otages ecclésiastiques et civils, détenus à Mazas, furent transférés à La Roquette. Les deux fourgons où l’on avait empilé les prisonniers traversèrent le faubourg Saint-Antoine au milieu des cris : « A bas les calotins ! N’allez pas plus loin ! Qu’on les coupe en morceaux ici ! »

  L’abbé Deguerry, toujours droit, malgré ses 74 ans, calme, « aussi peu soucieux que s’il se fût rendu en temps ordinaire chez un de ses amis » (récit du P. Perny), dit à Mgr Darboy, en lui montrant les missionnaires :

— Voyez donc, Monseigneur ces deux Orientaux qui viennent se faire martyriser à Paris ! N’est-ce pas curieux ?

  Un des prêtres demanda à l’archevêque :

— Monseigneur, vous qui avez écrit sur la vie de saint Thomas de Cantorbéry, pensez-vous que, théologiquement parlant, si on nous condamnait à mort, cette mort serait un martyre ?

— On ne nous tuerait pas, répondit le prélat, parce que je suis Mgr Darboy et vous M. Untel, mais parce que je suis archevêque et vous prêtre et à cause de notre caractère religieux notre mort serait donc un martyre.

  Le mercredi 24 mai, à 8 heures du soir, un détachement, composé des « Vengeurs de la commune et de différentes armes, arriva à la Roquette.

— Ah ! cette fois, nous allons les coucher criait leur chef, le capitaine Jean Viricq.

  Extraits de leurs cellules, Mgr Darboy, M. Deguerry, le président Bonjean, les PP. Ducoudray et Clerc, M. Allard, missionnaire et aumônier militaire, furent entraînés dans le chemin de ronde. Comme les assassins vomissaient les injures les plus grossières, un de leurs officiers leur cria :

— Taisez-vous ! Nous sommes ici pour les fusiller et non pour les insulter. Demain, la même chose nous arrivera peut-être, à nous aussi.

Mgr Darboy avait sur sa poitrine la croix de Mgr Affre, tué en juin 1848, et à son doigt l’anneau de Mgr Sicard, archevêque de Paris, assassiné en 1857. Il donnait le bras au président Bonjean, le curé Deguerry, au P. Ducoudray ensuite venaient les PP. Clerc et Allard. Sans une plainte, sans un murmure, ils s’encourageaient mutuellement. Arrivés à l’angle du second mur d’enceinte, ils se mirent à genoux, prièrent quelques secondes, puis se redressèrent et tombèrent sous un feu de file.

*
* *

La_Croix_31 mai 1938 (2).jpg

  Le lendemain, à la prison disciplinaire du 9e secteur, 38, avenue d’Italie, eut lieu le massacre des Dominicains d’Arcueil : les PP. Captier, Cotrault, Bourard, Delhorme et Chatagneret, deux professeurs et six serviteurs du collège. Cerisier, colonel de la 13e division, assisté d’une femme, dirigeait l’exécution. On fit croire aux prisonniers qu’on allait les libérer. Bobèche, directeur de la prison, vêtu d’une chemise rouge, tenant par la main son fils âgé de six ans, ouvrait la porte et criait :

— Allons , les calotins, arrivez et sauvez-vous !

  Les malheureux se précipitaient dehors, où ils étaient canardés par les fédérés à l’affût derrière les arbres et sous les portes cochères. Le P. Chatagneret, atteint de 31 coups, remuait encore.

— Tirez donc ! hurla Cerisier, ce gueux-là remue encore !

*
* *

  Le 26 mai, vers 4 heures de l’après-midi, 52 prisonniers furent extraits de La Roquette : 10 prêtres : les PP. Olivaint, Caubert, de Bengy, Jésuites ; les PP Radigue, Rouchouze, Tardieu, Tuffier, des Sacrés-Cœurs de Picpus le P. Planchat, des Frères de Saint-Vincent de Paul M. Sabattier, vicaire à Notre-Dame-de-Lorette, et Paul Seigneret, séminariste 36 gardes de Paris et 6 civils. Escorté de 150 gardes nationaux, bientôt renforcés par les « Enfants perdus de Bergeret », précédé de tambours et de clairons, le cortège suit le boulevard de Ménilmontant, longe le Père-Lachaise, remonte la rue de Ménilmontant, la rue de Puelba (actuelle rue des Pyrénées), la rue des Rigoles. Un homme à cheval ouvrait la marche, criant que c’étaient des prisonniers versaillais. Aussitôt la populace se déchaine :

— Mort aux curés ! Mort aux cognes !

 Un gamin de 14 ans, désignant un prêtre qui, exténué, s’appuyait sur son compagnon :

— Je voudrais bien me payer ce vieux-là ! dit-il.

A l’ancienne mairie de Belleville, une cantinière, revolver en main, prit la tête du cortège. La musique jouait une marche de chasseurs. Un spectateur demanda :

— Où les mène-t-on ?

— Au ciel répondit un garde qui jugea prudent de s’éclipser.

 Le cortège, devant lequel un jeune garçon dansait en jonglant avec son fusil, poursuivait, par la rue de Belleville, la montée du calvaire parmi les hurlements, les vociférations, les cris de mort des hommes, des femmes et des enfants.

  On arrive à la cité de Vincennes (85, rue Haxo), séparée de la rue par, une grille et composée de maisonnettes sordides, de misérables baraques, de jardins potagers, de terrains vagues. Au fond, un grand mur, une salle de bal en construction. Dans le pavillon du fond, la Commune avait établi le 2e secteur.

  Les prisonniers sont poussés dans l’enclos. Un brigadier d’artillerie, posté à l’entrée, abat son poing sur chacun d’eux.

— J’ai tant tapé dessus que j’en ai la patte toute bleue, se vantera-t-il à la fin de la journée.

  Prêtres et gendarmes sont collés contre le mur. A ce moment, il se produit quelque hésitation. Dans le pavillon du secteur, une sorte de Conseil de guerre délibère. Deux capitaines essayent de gagner du temps, mais se sauvent sous les menaces de la foule qui a envahi l’enclos.

— Pas de pitié pour les Versaillais ! Pas de calotins ! Pas de gendarmes ! crie la cantinière en déchargeant son revolver.

  C’est le signal du massacre.

  Les prêtres, les uns à genoux, les autres debout, présentent leur poitrine aux balles. Ils sont achevés à coups de pieds, de crosses, de baïonnettes. Les gardes et les civils subissent le même sort.

  Le lendemain, les cadavres, préalablement détroussés, furent jetés dans une fosse, devant le mur sanglant.

 Le même jour, rue de La Roquette, la Commune ajoutait quatre victimes ecclésiastiques au tableau de ses assassinats : Mgr Surat, vicaire général de Paris ; M. Bécourt, curé de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle ; le P. Houillon, missionnaire ; le Frère Sauget, des Ecoles chrétiennes.

*
* *

  Un des tueurs de la rue Haxo, le chaudronnier Joseph Rigaud, devant les 52 corps, avait dit :

— Voilà au moins un tas de fumier qui ne se relèvera pas !

  Il se trompait. « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens. » Sur ce terrain sanctifié par leur supplice, il y a une admirable floraison d’œuvres.

  En 1889, pour la première fois, la messe y fut célébrée dans un oratoire minuscule de 3 mètres sur 4, orné de fleurs, ainsi que le mur sanglant. Le 15 août 1892, quelques dames missionnaires s’installèrent dans un des pavillons de la villa des Otages (c’est le nom de l’ancienne cité de Vincennes) ; puis, peu à peu, les pavillons voisins furent achetés les uns après les autres, avant d’être remplacés par de nouvelles constructions. Le petit oratoire, après avoir subi plusieurs agrandissements, pour répondre à l’afflux des fidèles, va être remplacé par une magnifique chapelle dont la construction est fort avancée et qui doit être bénie par le cardinal Verdier le dimanche 23 octobre. C’est le 81e chantier du cardinal ; le premier coup de pioche a été donné en août 1935. Le devis prévu de 850 000 francs atteindra 1 500 000 fr. Nous sommes convaincus que la charité chrétienne permettra d’achever ce sanctuaire[1].

  Lors de la démolition de La Grande Roquette, les cellules qui avaient été occupées par les PP. Olivaint, Ducoudray, Caubert, Clerc et de Bengy furent acquises par l’œuvre et reconstituées, à la villa des Otages, où on peut les visiter chaque jour.

 Le 85, rue Haxo, est devenu un véritable centre d’apostolat, dans ce XXe arrondissement, essentiellement populaire. Sous la direction du R. P. Diffiné, digne successeur des PP. Pitot et Auriault, les œuvres se sont multipliées et développées : catéchismes, Congrégation de Marie-Immaculée, réunion d’hommes, patronages, cercle d’études, foyer pour les soldats des casernes des Tourelles et Mortier, colonies de vacances, etc.

  Voici quelques chiffres qui donneront une idée de l’activité et des résultats de l’œuvre des Otages depuis sa fondation, en 1893, jusqu’en 1937 : 3 606 baptêmes d’enfants, 207 d’adultes, 4 343 communions, 4 855 confirmations, 600 934 communions de fidèles (depuis 1902) ; aux patronages : 7 993 garçons, 8 000 filles aux colonies de vacances : 508 garçons, 1 354 filles ; 42 295 visites aux familles, aux pauvres, aux malades ; 17 abjurations dans les dix dernières années ; 35 vocations.

Qu’il me soit permis, pour terminer, d’adresser à nos nombreux lecteurs un chaleureux appel en faveur de cette admirable œuvre des Otages, si intelligemment dirigée par un véritable homme de Dieu.

de Grandvelle.

 

[1] Les dons sont reçus avec reconnaissance par le R. P. Diffiné, directeur de l’œuvre des Otages, 85, rue Haxo, Paris (XXe). (Chèque postal : Diffiné, Paris 248-18.)

19/02/2017

A la mémoire des Otages (18 juin 1921)

Le texte suivant est paru dans le Bulletin religieux de l'Archidiocèse de Rouen, numéro 25, du 18 juin 1921.

Bulletin_religieux_de_l'Archidiocèse_Rouen 2.jpg

CHRONIQUE GÉNÉRALE

Mardi 14 Juin.

[…]

A LA MÉMOIRE DES OTAGES

Les Otages, la Semaine Sanglante, la Commune, ce sont des termes dont, pour dater de cinquante ans, la signification particulière n’est pas oubliée. Nous pensons d’autant plus aux faits qu’ils évoquent que la possibilité nous semble moins invraisemblable de les voir se reproduire. Une Commune nouvelle ? Mais n’est-ce pas ce à quoi tendent nos actuels bolchevistes ! Celle de 1871 fut odieuse ; que serait celle de demain si, pour notre malheur, elle advenait ! Les projets de Révolution recrutent une masse plus nombreuse aujourd’hui qu’en 1871. La mentalité d’une partie de la classe ouvrière est faite par une presse perverse qui souhaite à la France le sort de la Russie et veut le réaliser par les moyens chers à Trotsky et à Lénine. Si ces idées triomphaient — et la débâcle financière. économique, jointe à l’état d’amoralité qui se généralise, pourrait en être l’occasion — l’ancienne Semaine sanglante ne serait qu’une amusette d’enfants auprès du terrorisme qu’il nous faudrait subir. C’est pourquoi les souvenirs de 1871 sont utiles à rappeler. Des leçons de toute sorte s’en dégagent. Aussi bien suffit-il, pour atteindre ce but sans éveiller les passions politiques, de rendre hommage aux victimes.

Elles furent nombreuses. Quarante-cinq laïques et vingt-quatre ecclésiastiques ou religieux furent emprisonnés à Mazas, puis, du 24 au 27 mai, massacrés à la Grande-Roquette, dans une impasse voisine de la place d’Italie, et rue Haxo. Des premiers le plus connu fut le président Bonjean, ramené à Dieu dans sa prison avant de mourir par le père Alexis Clerc. Des seconds Mgr Darboy, archevêque de Paris, fut le plus illustre. Redisons un à un les noms des autres.

Mgr Surat, protonotaire apostolique, vicaire général de Paris ; M. l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine ; l’abbé Bécourt, curé de Notre-Dame de Bonne- Nouvelle ; l’abbé Sabatier, deuxième vicaire de Notre-Dame de Lorette ; l’abbé Houillon, prêtre de la Congrégation des Missions étrangères ; l’abbé Planchat. aumônier du patronage de Sainte-Anne, à Charonne ; l’abbé Allard, prêtre libre, aumônier d’ambulance ; l’abbé Seigneret, séminariste de SaintSulpice ; les RR. PP. Olivaint, Ducoudray, Clerc, Gaubert, de Bengy, de la Compagnie de Jésus ; les RR. PP. Radigue, Rouchouze, Tardieu, Tuffier, de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie ; les RR. PP. Captier, Bourard, Cotrault, Delhorme, Chatagneret, du Tiers-Ordre enseignant de Saint-Dominique à l’école libre Albert-le-Grand, d’Arcueil. Mêlons à ces noms celui du cher Frère Saguet, Frère des Ecoles chrétiennes, instituteur adjoint à l’école communale d’Issy.

Pour commémorer le cinquantième anniversaire de leur mort, M. Geoffroy de Grandmaison en raconta éloquemment les péripéties aux conférences Laënnec et Olivaint. Et des services furent célébrés, le 23 mai, pour l’abbé Deguerry, à la Madeleine, son église ; le 24, à Notre-Dame, pour Mgr Darboy et les autres otages. Ici et là, S. E. le cardinal Dubois présida et donna l’absoute. MM. Richard, curé du Gros-Caillou et Verdrie, curé de Sainte-Clotilde, prononcèrent les oraisons funèbres. Une délégation de la Garde Républicaine en tenue était présente. Cette corporation d’élite, si souvent à la peine pour la sauvegarde de l’ordre, eut en effet, elle aussi, ses victimes du devoir lors de la Semaine sanglante : trente-cinq de ses sous-officiers et soldats furent massacrés. Qu’ils soient avec les autres à l’honneur.

En 1848, l’abbé Deguerry, encore curé de Saint-Eustache, avait déjà été menacé de mort. Comme il entendait des émeutiers, arrêtés devant son presbytère, crier : « le curé à la lanterne », il ouvrit sa porte et, du seuil, les interpella. « Savez vous ce que c’est qu’un curé ? Eh bien, je vais vous le dire. Un curé, c’est le peuple en soutane ». Il fit là-dessus tout un discours, et, comme il était éloquent, on l’acclama. Mais l’éloquence n’a pas toujours tant de succès, il le vit bien plus tard.

12/06/2016

Le Nunc demittis du Père Alexis Clerc

  Alors qu’il était encore emprisonné à Mazas, le père Alexis Clerc écrivit une dernière lettre, avant son transfert vers la prison de la Roquette ou l’attendait le martyr.

  Selon son biographe, le RP Charles Daniel, cette lettre constitue « vraiment son Nunc dimittis ».[1] Après avoir cité la lettre dans son intégralité, il rajoute ceci : « Un prêtre, ayant lu cette lettre aux fidèles du haut de la chaire, la comparait à celles de saint Ignace d’Antioche. Oui, certes, la ressemblance est frappante. C’est que le même Dieu habitait en eux et leur inspirait les mêmes ardeurs ; et si Clerc avait eu, comme cet illustre martyr, à s’expliquer devant des juges, il leur aurait tenu le même langage : « Je suis prêtre de Jésus-Christ, à qui je sacrifie tous les jours, et maintenant je souhaite me sacrifier moi-même en mourant pour sa gloire comme il est mort pour mon amour. »

  Quelques décennies plus tard, rendant hommage aux otages, dans la revue Etudes, un certain Y.B. confirme à son tour ce possible rapprochement avec la Lettre aux romains de Saint Ignace d’Antioche : « Une lettre d’actions de grâces, écrite de Mazas, le 16 mai, par le P. Alexis Clerc, mérite d’être rapprochée de l’épître fameuse aux chrétiens de Rome, où le martyr saint Ignace d’Antioche, au début du second siècle, chante avec amour son ardent désir d’être uni par le sacrifice de son sang au Pain véritable et vivant, Jésus-Christ »[2]

  Pour juger sur pièce nous donnons les deux lettres, d’abord celle du Père Alexis Clerc, suivie de celle de Saint Ignace d’Antioche, telle que disponible sur le site :

http://regnat.pagesperso-orange.fr/Doc200/IgnaceDAntioche...

 oOo

 

LETTRE DU PÈRE CLERC, 16 MAI 1871

 

Ah ! mon Dieu, que vous êtes bon ! et qu'il est vrai que la miséricorde de votre cœur ne sera jamais démentie !

Et nous, que de remerciements, que d'actions de grâces ne vous devons-nous pas ? Après avoir mille et mille fois répété l'expression de mon impérissable reconnaissance, et vous avoir offert à un titre nouveau les faibles services d'un cœur cependant sincère et dévoué, il me restera de souhaiter que le don que vous me faites vous soit toujours fait à vous-même, et surtout aux jours des épreuves.

Je n'avais pas osé concevoir l'espérance d'un tel bien. Posséder Notre-Seigneur, l'avoir pour compagnon de ma captivité, le porter sur mon cœur et reposer sur le sien, comme il l'a permis à son bien-aimé Jean. Oui, c'est trop pour moi, et ma pensée ne s'y arrêtait pas. Et cependant cela est. Mais n'est-il pas vrai que tous les hommes et tous les saints ensemble n'auraient non plus jamais osé concevoir l'Eucharistie ? Oh ! qu'il est bon, qu'il est compatissant, qu'il est prévenant, le Dieu de l'Eucharistie !

Ne semble-t-il pas nous faire encore ce reproche : « Vous ne demandez rien en mon nom, demandez donc et vous recevrez? » Je l'ai sans l'avoir demandé ; je l'ai et je ne l'abandonnerai plus, et mon désir de l'avoir, éteint faute d'espoir, est ranimé et ne fera que grandir à mesure que durera la possession.

Ah! prison, chère prison, toi dont j'ai baisé les murs en disant : bona crux ! quel bien tu me vaux ! Tu n'es plus une prison, tu es une chapelle. Tu ne m'es plus même une solitude, puisque je n'y suis pas seul, et que mon Seigneur et mon Roi, mon Maître et mon Dieu, y demeure avec moi. Ce n'est plus seulement par la pensée que je m'approche de lui, ce n'est plus seulement par la grâce qu'il s'approche de moi ; mais il est réellement et corporellement venu trouver et consoler le pauvre prisonnier. Il veut lui tenir compagnie ; il le veut et ne le peut-il pas puisqu'il est tout-puissant ? Mais aussi que de merveilles pour venir à bout d'un tel dessein ! Et vous entrez dans ces merveilles de la tendresse du coeur de Jésus pour son indigne serviteur.

Oh ! dure toujours, ma prison, qui me vaux de porter mon Seigneur sur mon cœur, non pas comme un signe, mais comme la réalité de mon union avec lui ! Dans les premiers jours, j'ai demandé avec une grande instance que Notre-Seigneur m'appelât à un plus excellent témoignage de son nom. Les plus mauvais jours ne sont pas encore passés ; au contraire ils s'approchent, et ils seront si mauvais que la bonté de Dieu devra les abréger, mais enfin nous y touchons. J'avais l'espérance que Dieu me donnerait la force de bien mourir; aujourd'hui mon espérance est devenue une vraie et solide confiance. Il me semble que je peux tout en Celui qui me fortifie et qui m'accompagnera jusqu'à la mort. Le voudra-t-il? Ce que je sais, c'est que, s'il ne le veut pas, j'en aurai un regret que ma seule soumission à sa volonté pourra calmer.

Mais s'il le veut, comme vous aurez une grande part à ce bienfait de la force qu'il m'aura prêtée !

 

Mazas2.png
La prison de Mazas

 

Ignace d’Antioche

LETTRE AUX ROMAINS

 

Ignace, dit aussi Théophore, à l'Église qui a reçu miséricorde par la magnificence du Père très haut et de Jésus-Christ son Fils unique, l'Église bien-aimée et illuminée par la volonté de celui qui a voulu tout ce qui existe, selon la foi et l'amour pour Jésus-Christ notre Dieu ; l'Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d'honneur, digne d'être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père ; je la salue au nom de Jésus-Christ, le fils du Père ; aux frères qui, de chair et d'esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus-Christ notre Dieu toute joie irréprochable.

I, 1. Par mes prières j'ai obtenu de Dieu de voir vos saints visages, car j'avais demandé avec insistance de recevoir cette faveur ; car, enchaîné dans le Christ Jésus, j'espère vous saluer, si du moins c'est la volonté de Dieu que je sois trouvé digne d'aller jusqu'au terme. 2. Car le commencement est facile ; si du moins j'obtiens la grâce de recevoir sans empêchement la part qui m'est réservée. Mais je crains que votre charité ne me fasse tort. Car à vous il est facile de faire ce que vous voulez, mais à moi il est difficile d'atteindre Dieu, si vous ne m'épargnez pas.

Il, 1. Car je ne veux pas que vous plaisiez aux hommes, mais que vous plaisiez à Dieu, comme, en fait, vous lui plaisez. Pour moi, jamais je n'aurai une telle occasion d'atteindre Dieu, et vous, si vous gardez le silence, vous ne pouvez souscrire à une oeuvre meilleure. Si vous gardez le silence à mon sujet, je serai à Dieu ; mais si vous aimez ma chair, il me faudra de nouveau courir. 2. Ne me procurez rien de plus que d'être offert en libation à Dieu (cf. Ph 2, 17; 2 Tm 4, 6), tandis que l'autel est encore prêt, afin que, réunis en choeur dans la charité, vous chantiez au Père dans le Christ Jésus, parce que Dieu a daigné faire que l'évêque de Syrie fût trouvé en lui , l'ayant fait venir du levant au couchant. Il est bon de se coucher loin du monde vers Dieu, pour se lever en lui.

III, 1. Jamais vous n'avez jalousé personne, vous avez enseigné les autres. Je veux, moi, que ce que vous commandez aux autres par vos leçons garde sa force. 2. Ne demandez pour moi que la force intérieure et extérieure, pour que non seulement je parle, mais que je veuille, pour que non seulement on me dise chrétien, mais que je le sois trouvé de fait . Si je le suis de fait, je pourrai me dire tel, et être un vrai croyant, quand je ne serai plus visible au monde. 3. Rien de ce qui est visible n'est bon. Car notre Dieu, Jésus-Christ, étant en son Père, se fait voir davantage. Car ce n'est pas une oeuvre de persuasion que le christianisme, mais une oeuvre de puissance, quand il est haï par le monde.

IV, 1. Moi, j'écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c'est de bon coeur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous vous ne m'en empêchez pas. Je vous en supplie, n'ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ. 2. Flattez plutôt les bêtes, pour qu'elles soient mon tombeau, et qu'elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C'est alors que je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra même plus mon corps. Implorez le Christ pour moi, pour que, par l'instrument des bêtes, je sois une victime offerte à Dieu. Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient libres, et moi jusqu'à présent un esclave (cf. 1 Co 9, 1). Mais si je souffre, je serai un affranchi de Jésus-Christ (1 Co 7, 22) et je renaîtrai en lui, libre. Maintenant enchaîné, j'apprends à ne rien désirer.

V, 1. Depuis la Syrie jusqu'à Rome, je combats contre les bêtes (cf. 1 Co 15, 32), sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c'est-à-dire à un détachement de soldats ; quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires. Mais, par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple, mais " je n'en suis pas pour autant justifié " (1 Co 4,4). 2. Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu'elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu'elles me dévorent promptement, non comme certains dont elles ont eu peur, et qu'elles n'ont pas touchés. Et, si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai. 3. Pardonnez-moi ; ce qu'il me faut, je le sais, moi. C'est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m'empêche par jalousie, de trouver le Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ.

VI, 1. Rien ne me servira des charmes du monde ni des royaumes de ce siècle. Il est bon pour moi de mourir (cf. 1 Co 9, 15) pour m'unir au Christ Jésus, plus que de régner sur les extrémités de la terre. C'est lui que je cherche, qui est mort pour nous ; lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. Mon enfantement approche, 2. Pardonnez-moi, frères ; ne m'empêchez pas de vivre, ne veuillez pas que je meure. Celui qui veut être à Dieu, ne le livrez pas au monde, ne le séduisez pas par la matière. Laissez-moi recevoir la pure lumière ; quand je serai arrivé là, je serai un homme. 3. Permettez-moi d'être un imitateur de la passion de mon Dieu. Si quelqu'un a Dieu en lui, qu'il comprenne ce que je veux, et qu'il ait compassion de moi, connaissant ce qui m'étreint (cf. Ph 1, 23).

VII, 1. Le prince de ce monde veut m'arracher, et corrompre les sentiments que j'ai pour Dieu. Que personne donc, parmi vous qui êtes là, ne lui porte secours ; plutôt soyez pour moi, c'est-à-dire pour Dieu. N'allez pas parler de Jésus-Christ, et désirer le monde. 2. Que la jalousie n'habite pas en vous. Et si, quand je serai près de vous, je vous implore, ne me croyez pas. Croyez plutôt à ce que je vous écris. C'est bien vivant que je vous écris, désirant de mourir. Mon désir terrestre a été crucifié, et il n'y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais en moi une " eau vive " (cf. Jn 4, 10 ; 7, 38 ; Ap 14, 25) qui murmure et qui dit au-dedans de moi: " Viens vers le Père " (cf. Jn 14, 12, etc.). 3. Je ne me plais plus à une nourriture de corruption ni aux plaisirs de cette vie ; c'est le pain de Dieu que je veux, qui est la chair de Jésus-Christ, de la race de David (Jn 7, 42 ; Rm 1, 3), et pour boisson je veux son sang, qui est l'amour incorruptible.

VIII, 1. Je ne veux plus vivre selon les hommes. Cela sera, si vous le voulez. Veuillez-le, pour que vous aussi, vous obteniez le bon vouloir de Dieu. 2. Je vous le demande en peu de mots : croyez-moi, Jésus-Christ vous fera voir que je dis vrai, il est la bouche sans mensonge par laquelle le Père a parlé en vérité. 3. Demandez pour moi que je l'obtienne. Ce n'est pas selon la chair que je vous écris, mais selon la pensée de Dieu. Si je souffre, vous m'aurez montré de la bienveillance ; si je suis écarté, de la haine.

IX, 1. Souvenez-vous dans votre prière de l'Église de Syrie, qui, en ma place, a Dieu pour pasteur. Seul Jésus Christ sera son évêque, et votre charité. 2. Pour moi, je rougis d'être compté parmi eux, car je n'en suis pas digne, étant le dernier d'entre eux, et un avorton (cf. 1. Co 14, 8, 9). Mais j'ai reçu la miséricorde d'être quelqu'un, si j'obtiens Dieu. 3. Mon esprit vous salue, et la charité des Églises qui m'ont reçu, au nom de Jésus-Christ (cf. Mt 18, 40, 41), non comme un simple passant. Et celles-là mêmes qui n'étaient pas sur ma route selon la chair, allaient au-devant de moi de ville en ville.

X, 1. Je vous écris ceci de Smyrne par l'intermédiaire d'Éphésiens dignes d'être appelés bienheureux. Il y a aussi avec moi, en même temps que beaucoup d'autres, Crocus, dont le nom m'est si cher. 2. Quant à ceux qui m'ont précédé de Syrie jusqu'à Rome pour la gloire de Dieu, je crois que vous les connaissez maintenant : faites-leur savoir que je suis proche. Tous sont dignes de Dieu et de vous, et il convient que vous les soulagiez en toutes choses. 3. Je vous écris ceci le neuf d'avant les calendes de septembre. Portez-vous bien jusqu'à la fin dans l'attente de Jésus-Christ.

 

ignacedantioche.jpg

oOo

[1] Expression tirée de la Bible, dans l’évangile de Saint Luc, au chapitre 2, 29 :

Nunc dimittis servum tuum,
Domine, secundum verbum tuum in pace. Traduction de la Vulgate.

« Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. » (Trad. Liturgique).

[2] Y.B. Le jubilé d’un holocauste. Les otages de la commune (24-27 mai 1871), in Revue Études, 58e année, tome 167e de la collection, 5 mai 1921.