24/03/2018
Premiers témoignages sur les Otages (Le Figaro, 30 et 31 mai 1871)
Peu de jours après ce que l’Histoire a retenu sous le nom de la semaine sanglante, le journal Le Figaro reparaît. Dans son numéro daté du 30 mai 1871, un court article est consacré aux otages qui furent fusillés durant ces terribles journées.
Dans son édition du lendemain, d’autres précisions sont apportés.
Ce sont des témoignages « sur le vif » qui manquent sans doute de recul mais qui ont toutefois le mérite de dire l’essentiel sur ces événements tragiques.
Note : les notes ont été rajoutées par nos soins.
Le Figaro, 18e année – 3e série – Numéro 78 – 30 mai 1871.
LES OTAGES
Hier, dimanche, à quatre heures du soir, ont été apportées, au palais de l’Archevêché, rue de Grenelle-Saint-Germain, les dépouilles de monseigneur Darboy et de M. l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine, assassinés mercredi dernier, à la prison de la Roquette, par les hommes qui ont prétendu, à la face de l’Europe, entreprendre une œuvre de régénération et de paix.
Monseigneur Darboy avait été arrêté comme otage quelques jours après le 18 mars et enfermé dans une cellule à Mazas, à côté de l’abbé Deguerry et d’une grande quantité d’autres ecclésiastiques qui n’ont dû leur salut qu’à la rapidité de l’attaque de notre armée victorieuse. Au fur et, à mesure que les fédérés subissaient des échecs, les menaces de mort contre ces vénérables prisonniers prenaient plus de force.
Les chefs de la Commune sentaient bien qu’ils tenaient là une proie magnifique, et que l’horreur de l’exécution de personnages si considérables serait pour eux-mêmes un triomphe. C’est la théorie de Troppmann appliquée au crime politique. Aussi ceux des écrivains de la Commune qui ont montré le plus de scepticisme en poussant le peuple à l’orgie ont-ils été les premiers à demander l’exécution des deux sommités du clergé parisien. Rochefort dans son Mot d’ordre, et Vermesch, dans le Père Duchêne, ont réclamé à plusieurs reprises leur assassinat.
Dès lundi, c’est-à-dire le lendemain de l’entrée de nos troupes dans Paris, les ecclésiastiques qui étaient à Mazas ont été transférés à la Roquette. C’est de l’un d’eux, miraculeusement échappé au massacre, que nous tenons tous les renseignements que nous donnons ici.
Le voyage d’une prison à l’autre s’effectua en plein jour, dans une voiture à claire-voie, au milieu d’une foule ivre qui criait « A mort. » Il faut dire que ces menaces n’épouvantaient plus les victimes qui étaient préparées à tout. Arrivées à la Roquette, elles y passèrent deux journées assez tranquilles. On leur laissait la liberté de se voir entre elles deux heures par jour, et les geôliers qui, pour la plupart, appartenaient à l’ancienne administration, leur montraient le plus d’égards possible.
Le mercredi matin, on appela une liste de six d’entre eux, absolument comme en 93. Mgr l’archevêque était le sixième. Les six otages furent amenés le long du mur extérieur de la prison et fusillés séance tenante. C’étaient Sa Grandeur; M. Bonjean, président de la Cour de cassation ; l’abbé Deguerry ; l’abbé Allard, aumônier des ambulances ; les Pères Jésuites Ducoudray et Clair[1]. Le peloton, d’exécution se composait de trente hommes du 181e et du 206e bataillon. Les cadavres furent dépouillés et transportés à l’ancienne mairie du 20e arrondissement, où ils sont restés jusqu’à hier.
Le jeudi, aucune exécution n’eut lieu. Pourquoi ? Caprice de bandits !
Le vendredi, seize autres otages furent passés par les armes de la même façon. C’étaient MM. Benzy, Caubert et Ollivaint[2], frères jésuites ; Petit, secrétaire général de l’archevêché ; Gard, séminariste ; Seiquesay, séminariste ; Houiller et Perny, missionnaires ; Sabatier, second vicaire de Notre-Dame-de-Lorette ; Planchat, aumonier du patronage de Charonne ; l’abbé Planchat avait consacré sa vie aux sociétés ouvrières. C’est sans doute à ce titre que les communeux l’ont fait périr. Ce jour-là furent aussi fusillés trois inconnus ; M. Jecker, le banquier, le financier des bons mexicains ; plus trente-cinq gendarmes, et trois gardes nationaux réfractaires.
Le samedi, quatre ecclésiastiques dont les noms ne nous sont pas parvenus, furent encore passés par les armes[3]. Ce fut le dernier meurtre qui eut lieu à La Roquette. Vers midi, ce qui restait de prisonniers allait être exécuté par la Commune, qui avait établi son quartier général à la prison, lorsqu’à l’instigation du gardien Pinet, qui faisait partie de l’ancien personnel, ils se révoltèrent et se barricadèrent avec leurs matelas dans le fond de la prison. Ils avaient avec eux cent soldats réfractaires, qui les aidèrent à prolonger leur résistance jusqu’à cinq heures du soir.
A ce moment, les chefs de l’insurrection, pris définitivement de panique s’enfuirent vers Belleville, et les prisonniers se virent naturellement délivrés. Parmi ceux des ecclésiastiques qui sortirent alors, nous citerons Mgr Maret, évêque de Sura, et l’abbé Bécou, curé de Bonne-Nouvelle.
Hier, il restait encore à la Roquette :
Cent militaires sortant des hôpitaux, et ayant refusé de se battre pour la Commune.
Quinze ecclésiastiques.
Cinquante-quatre sergents de ville.
Ces prisonniers doivent être libres à l’heure où nous écrivons.
Le directeur de la prison était un nommé François, demeurant, 20, rue de Charonne, qui avait été, sous l’Empire, à la tête de l’affaire de la Villette, dans laquelle Eudes avait tué un pompier.
Nous avons dit plus haut que les dépouilles de Mgr Darboy et de M. l’abbé Deguerry ont été transportées hier à l’archevêché. Elles sont renfermées dans deux cercueils en chêne blanc, avec ces simples inscriptions :
Sur l’un : « Monseigneur. »
Sur l’autre : « L’abbé Deguerry. »
Au moment où nous prenions ces renseignements, on s’occupait de l’embaumement des deux victimes, et de l’installation d’une chapelle funéraire où l’on puisse célébrer la messe en attendant le jour de leurs obsèques.
Source : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2721681/f1.item
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Le Figaro, 18e année – 3e série – Numéro 79 – 31 mai 1871.
LES OTAGES
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LesRR. PP. Jésuites sont parvenus à retrouver les corps des cinq membres de leur Compagnie, fusillés, comme nous l’avons dit hier, les 24 et 26 mai, et dont voici les noms :
Le R. P. Pierre Olivaint, supérieur de la résidence de la rue de Sèvres ;
Le R. P. Léon Ducoudray, supérieur de l’école préparatoire de Sainte-Geneviève ;
Les RR. PP. Alexis Clerc, Jean Caubert et Anatole de Bengy.
La cérémonie funèbre aura lieu mercredi, 31 mai, à neuf heures précises du matin, dans la chapelle de Jésus, 35, rue de Sèvres.
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Contrairement à ce qui a été dit par plusieurs journaux, M. Petit, secrétaire de Mgr Darboy, n’a pas été fusillé, il a réussi à se sauver.
Il en est de même de M. Gard, séminariste, dont, d’accord avec le rapport du Journal officiel, qu’on lira ci-après, nous annoncions hier la mort. M. Gard, emprisonné par la Commune, n’a pas été fusillé. Il avait été heureusement mis en liberté depuis un mois.
Le père Perny, missionnaire, a également pu être sauvé. Le père Houiller, mis, paraît-il, en liberté en même temps que lui, aurait disparu et on n’en aurait aucune nouvelle.
Voici le rapport du Journal officiel auquel nous faisons allusion plus haut.
Les sinistres pressentiments que faisait concevoir le sort des otages détenus par la Commune ne se sont que trop réalisés. Un instant, trop prompts à croire ce que nous désirions avec ardeur, nous avons accueilli avec joie la nouvelle de la délivrance de l’archevêque de Paris cette nouvelle était inexacte, et les scélérats qui ont inauguré leur révolte par l’assassinat des généraux Clément Thomas et Lecomte, ont couronné leur œuvre sanglante par le lâche massacre des victimes tombées entre leurs mains. Avant-hier, à la butte aux Cailles, ils fusillaient quinze frères hospitaliers qui, depuis le commencement de la campagne, avaient été des modèles de dévouement, de courage et de charité.
A Sainte-Pélagie, le même sort était réservé à plusieurs gendarmes et au malheureux M. Chaudey, ancien adjoint à la mairie de Paris, avocat à la cour de Paris, et dont la fin tragique portera le deuil dans le cœur de tous ceux qui ont pu apprécier son noble caractère et sa rare intrépidité. Il est tombé sous les coups de ceux que peut-être il avait secouru pendant le siège avec cette ardeur infatigable qui le faisait sans cesse s’oublier lui-même pour se prodiguer à ceux qui souffraient. Là ne devait pas s’arrêter la rage homicide des monstres dont le règne vient de finir.
Plus de deux cents personnes arrêtées par eux étaient retenues et gémissaient comme otages dans la prison de Mazas. Dieu seul peut savoir par quelles angoisses ces infortunés ont passé pendant leur longue captivité. Mardi dernier, ils furent extraits de Mazas et conduits à la Roquette.
Le lendemain mercredi soixante-quatre ont été égorgés dans la cour de cette maison de force ; nous transcrivons, le cœur navré, les noms de ceux de ces martyrs que nous transmettent nos télégrammes : Mgr Darboy, M. le président Bonjean, M. le curé Deguerry, l’abbé Surat, les pères jésuites Ducoudray, Clerc et Allard, les abbés Benzy, Olivaint, Caubert, Petit, Gard, Seigneray, Houillon, Polanchin.
Les autres victimes ne nous sont pas désignées. Cent soixante-neuf allaient être fusillées au moment de l’entrée de nos troupes, qui les ont ainsi arrachées à la mort. Nous pouvons encore donner sur cette lamentable tragédie aucun des détails qui devront être recueillis avec une pieuse fidélité, dans l’intérêt de l’histoire et pour l’honneur de ces glorieux martyrs dont la mémoire restera éternellement vénérée.
Nous savons cependant que le mercredi s matin au moment où les [ordres][4] de meurtre [il manque ici une ligne] ont essayé de soustraire aux bourreaux les sept premières victimes, en tête desquelles se trouvait l’illustre archevêque de Paris. Ce dernier lâchement injurié par les misérables qui allaient le frapper, est mort comme un héros chrétien, et on lui a entendu prononcer ces nobles paroles : « Ne profanez pas le mot de liberté, c’est à nous seuls qu’il appartient, car nous mourons pour la liberté et pour la foi. »
Le martyr disait vrai : lui et ses compagnons d’infortune ont péri assassinés par le plus hideux des despotismes ; ils ont déjà reçu, dans une meilleure vie, la récompense de leur sacrifice. Mais ils laissent à ceux qui, leur survivent le devoir de les venger par la punition exemplaire du forfait qui va épouvanter le monde, en même temps d’extirper jusqu’aux semences de la servitude morale qui, en abaissant les âmes, les rend, un jour d’aberration, capables de se souiller par des atrocités sans nom.
On remarquera dans ce rapport le nom de Mgr Surat : une confusion de noms nous avait fait confondre Mgr Maret, évèque de Sura, avec Mgr Surat, vicaire général du diocèse de Paris et protonotaire apostolique.
Mgr Surat et M. l’abbé Bécourt (et non Becon), curé de Bonne-Nouvelle avaient bien été délivrés le samedi 27 mai, ainsi que nous le racontions hier. Mais des renseignements conformes à ceux du rapport qu’on vient de lire et que nous avons malheureusement lieu de croire exacts, nous apprennent que les deux prêtres, saisis à une barricade voisine, y auraient été fusillés par les insurgés.
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Source : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k272169d.item
[1] Pour Clerc.
[2] Pour Olivaint.
[3] Il s’agit de : Mgr Surat, vicaire général de Paris, de M. Bécourt, curé de Bonne-Nouvelle, de M. Houillon, missionnaire apostolique de Chine et de M. Chaulieu, ancien employé de la Préfecture. Ils furent fusillés après avoir tenté de s’évader de la Roquette. (Cf. Perny, Paul, Deux mois de prison sous la Commune, Paris, Adolphe Lainé, 1871.
[4] Difficilement lisible.
14:47 Publié dans Biographie, Commune de 1871, Compagnie de Jésus | Lien permanent | Commentaires (0)
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