01/08/2010
Souvenirs de Vaugirard
Extraits du Journal du R.P. Edouard Prampain, SJ.
Dans son journal, tenu pendant le Siège de Paris par les troupes allemandes en 1870 et lors de la commune de 1871, le RP Edouard Prampain évoque les heures tragiques qu'il vécut avec les autres pères de la Compagnie de Jésus au Collège Vaugirard.
Parmi ces pères, se trouvait le Père Alexis Clerc.
Le R.P. Recteur, neufs pères et une quinzaine de Frères coadjuteurs, furent en charge des soins de l'ambulance et de l'administration du Collège.
Le Père Alexis Clerc, ancien lieutenant de vaisseau reçut le direction générale de l'ambulance en août 1870 (douze chambres d'officiers et cent vingt lits militaires installés dans la grande salle. L'auteur signale un trait marquant de la personnalité du Père Clerc : les "nouveaux pensionnaires [les blessés, NDLR] furent (...) bientôt gagnés par le bien-être qui les entourait, par la rondeur toute militaire du Père Alexis Clerc, par la gaieté des novices, par la sympathie générale." (p. 34)
Plus tard, le 13 octobre, alors que la bataille fait rage près de Bagneux, les pères sont partis relever les blessés où absoudre les mourants. Soudain, plus de nouvelles du Père Clerc. "Personne ne l'a vu. Impossible d'attendre ; nous reprenons à fond de train, le chemin de Paris. (...) Un peu au-delà du fort de Montrouge, assis sur un tas de pierres, au bord de la route, sans se troubler du bruit des caissons qui roulent ni du canon qui gronde encore, le Père Clerc récitait tranquillement son bréviaire. Il était entré, durant le combat, dans une des premières maisons de Bagneux où se trouvaient des mourants en grand nombre ; puis, son ministère achevé, il avait abandonné le village et, ne me retrouvant plus, attendait une voiture vide pour rentrer à Paris." (p. 52)
Mais l'auteur aura une autre occasion de parler du courage et de la témérité du Père Clerc. En janvier 1871, le dimanche 8, alors que les canons ennemis on t fait pleuvoir une pluie d'obus. Après les vèpres, les pères rejoignent l'ambulance en passant par la cour. Et voilà qu'un "matelot canonier s'avance, tranquillement, portant sur l'épaule un obus énorme qui n'a pas éclaté. Le Père Clerc l'arrête : " Qu'est-ce que tu nous apportes là ? -- un obus pour le major, mon aumônier ; il m'a dit qu'il voulait s'en faire une pendule. " Et voilà le marin qui, sans plus s'inquiéter des spectateurs, dépose son projectile à terre, devant la porte du Dessin et se met en devoir de dévisser l'écrou du culot avec un tourne à gauche. Autour de lui, on se regarde, on s'esquive. L'obus mal assujetti roule et se déplace ; le canonnier peine : " Sans vous commander, mes aumôniers, mettez-donc le pied dessus chacun de votre côté ; bon, comme ça. " Nous avons mis le pied dessus... on nous appelait, "mon aumônier", pouvions-nous faire autrement ? Vous pensez bien que l'obus n'a pas éclaté." (p. 87)
Certes, le RP Prampain ne cite pas le Père Clerc comme l'un de ceux qui à "posé son pied" sur l'obus. Mais il y a fort à parier qu'il en était vu qu'il a été le premier à interpeller le canonnier.
L'auteur ne sera pas présent à Paris aux tragiques jours de mai, ce qui lui vaudra sans doute de pouvoir témoigner dans son journal de la mort des martyrs de la commune et notamment du Père Clerc en lui rendant un dernier hommage :
"Par les derniers jours de sa vie, l'une des victimes appartenait à Vaugirard. Le Père Alexis Clerc dirigeait, pendant le siège, l'ambulance des blessés ; avec quel zèle, il nous en souvient peut-être ? Plus d'une fois, au jour de bataille, en relevant un soldat frappé à la tête ou au coeur, il m'avait dit : " c'est ainsi que je désirerai mourir. " Votre dernier voeu est exaucé, mon Père ; vous êtes tombé sous les balles ennemies, non pas, il est vrai, sur un champ de victoire, mais à côté de votre Recteur dont vous avez choisi de partager les derniers instants... Dieu vous refusait la mort du guerrier, parce qu'il vous réservait la mort du martyr." (29 mais 1871 - pp. 158-159)
Au-delà de l'évocation du Père Alexis Clerc, le Journal du Père Prampain mérite d'être lu, car il s'agit là d'un témoignage poignant et fidèle, sans fioriture inutile, d'évènements tragiques de l'histoire de France dont le souvenir tend à s'estomper.
Alain C (août 2010)
18:16 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.